Après avoir exploré les cieux de Columbia et brisé le cycle de ses illusions, BioShock Infinite: Burial at Sea – Épisode 1 vous ramène là où tout a commencé : Rapture. Mais cette fois, vous ne plongez pas dans les ruines d’un monde en décomposition, vous découvrez la ville à son apogée, scintillante, vibrante, en pleine effervescence… et pourtant déjà condamnée.
Sorti le 12 novembre 2013, ce premier volet du DLC réinvente Rapture sous un prisme nouveau, mêlant les codes de BioShock Infinite à l’univers claustrophobe et décadent de la ville sous-marine. Là où Infinite jouait avec le temps et les réalités parallèles, Burial at Sea joue avec la mémoire, avec la nostalgie, avec l’inévitable chute d’un monde qui ignore encore qu’il est en train de mourir.
Mais ce retour aux abysses est-il une réussite narrative et ludique, ou une simple relecture sans véritable profondeur ? Rapture peut-elle encore vous surprendre, ou êtes-vous condamnés à en être les témoins impuissants, une fois de plus ?
Une illusion de grandeur, un jeu d’ombres et de mensonges
Rapture est encore debout. Ses enseignes lumineuses clignotent dans l’obscurité abyssale, ses bars débordent de conversations et de rires, ses élites paradent dans leurs costumes impeccables, jouant leur rôle dans un rêve qui va bientôt virer au cauchemar. Mais vous savez déjà que cette splendeur est une façade. Vous savez que sous le luxe et l’opulence, les fondations de la ville sont rongées par l’avidité, la jalousie, la folie de ceux qui ont cru pouvoir bâtir une utopie loin des lois du monde extérieur. Et pourtant, vous y êtes. Rapture, avant sa chute. Une dernière nuit avant le chaos.
Vous incarnez toujours Booker DeWitt, détective privé à la mémoire défaillante installé dans cette cité en perdition. Votre bureau sent la fumée froide et le whisky bon marché, l’eau bat contre les vitres teintées d’une enseigne en néon fatiguée. Une cliente pousse la porte : Elizabeth. Différente, plus sombre, plus mystérieuse, plus mature. Elle vous engage pour une mission simple en apparence : retrouver une enfant disparue, une certaine Sally, perdue quelque part dans les bas-fonds de Rapture. Mais comme toujours, rien n’est simple à Rapture. Rien n’est jamais ce qu’il semble être. Cette quête vous entraîne dans les entrailles les plus sombres de la ville, là où les masques tombent, où les idéaux d’Andrew Ryan s’effritent sous le poids de la corruption et du pouvoir, où les monstres de demain commencent à émerger des ombres.
Elizabeth n’est plus la jeune femme innocente de Columbia. Elle est plus froide, plus distante, plus énigmatique, et surtout elle sait bien plus que ce qu’elle vous dit. Elle vous guide, vous manipule peut-être, et vous comprenez peu à peu que cette mission n’a rien d’une simple affaire de disparition.
Mais Burial at Sea n’est pas seulement une nouvelle incursion dans Rapture, c’est le point de convergence entre deux univers, la clé qui lie Columbia et la cité sous-marine, le chaînon manquant qui transforme deux histoires en une seule. Là où BioShock Infinite questionnait le cycle éternel des phares, des hommes et des villes, ce premier DLC construit un pont entre les illusions de grandeur de Comstock et l’obsession mégalomaniaque d’Andrew Ryan.
Car si Burial at Sea est une suite directe aux événements d’Infinite, il est aussi une préquelle au premier BioShock. Chaque détour, chaque nom familier murmuré au détour d’un dialogue, chaque décor aux allures de déjà-vu tisse un lien tangible entre ces réalités parallèles, comme si le destin de Rapture et de Columbia n’avait jamais été qu’une seule et même histoire, racontée sous deux angles différents.
Et si ce premier épisode est court, il est aussi implacable dans sa narration, révélant des vérités longtemps laissées en suspens tout en noyant le joueur sous de nouvelles questions. Chaque mot prononcé par Elizabeth, chaque regard échangé ou évité, chaque découverte pousse à repenser ce que l’on croyait savoir sur cet univers, à comprendre que la fin n’est jamais vraiment la fin, que chaque réponse est une nouvelle énigme, et que Rapture, comme Columbia, est condamnée à se répéter encore et encore… jusqu’à ce que quelqu’un brise enfin le cycle.
Un retour aux fondamentaux, une approche plus méthodique du combat
Si BioShock Infinite avait dynamité la formule de la série en privilégiant l’action rapide et les affrontements aériens, Burial at Sea – Épisode 1 revient aux racines du gameplay originel, réintégrant l’atmosphère claustrophobe et la tension des premiers combats dans les couloirs exigus de Rapture. Vous n’êtes plus un guerrier fondant sur ses ennemis depuis les Sky-Lines, vous êtes redevenu un survivant, un prédateur traqué dans une ville où chaque coin d’ombre peut dissimuler une menace.
Le premier changement tient à la gestion des ressources. Fini l’abondance de munitions et de soins distribués à la volée par Elizabeth : ici, la pénurie est réelle. Chaque balle compte, chaque seringue d’EVE est une ressource précieuse, et l’exploration est une nécessité absolue si vous espérez tenir plus de quelques affrontements. Fouiller les tiroirs, crocheter les serrures, récupérer des munitions sur les cadavres… Rapture ne vous donne rien gratuitement, et chaque erreur se paie au prix fort.
L’arsenal, quant à lui, se rapproche davantage de celui du premier BioShock, avec un retour aux armes lourdes et brutales, conçues pour frapper fort et avec parcimonie. Le revolver au design rétro-futuriste impose un tir précis et létal, tandis que le fusil à pompe retrouve sa puissance destructrice dans les combats rapprochés. Mais contrairement aux armes de Columbia, conçues pour le chaos des batailles à ciel ouvert, celles de Rapture ont été pensées pour un combat plus méthodique, plus calculé.
Et pour accompagner ce retour aux affrontements plus tendus et plus tactiques, les Toniques d’Infinite cèdent à nouveau la place aux Plasmides, ramenant cette sensation de puissance fragile, où chaque pouvoir est une extension de votre survie plutôt qu’un simple outil de destruction massive.
Burial at Sea intègre pour la première fois un véritable aspect infiltration, où le combat n’est plus une obligation, mais un choix. Avec une approche furtive bien exécutée, il est possible de traverser certaines zones sans jamais alerter un seul chrosôme, en neutralisant silencieusement les menaces avant qu’elles ne puissent réagir. Ce n’est plus un bain de sang inévitable, c’est un jeu d’équilibriste, une danse silencieuse où le moindre faux pas peut vous coûter cher. Et cela change fondamentalement la façon d’aborder les combats. Là où Infinite vous poussait à foncer et à utiliser votre environnement pour dominer l’affrontement, Burial at Sea vous impose la retenue, la patience, l’observation.
Si certains apprécieront ce retour à une tension plus proche du premier BioShock, d’autres pourraient regretter une certaine lourdeur dans le rythme des combats, accentuée par le fait que l’épisode 1 reste relativement court, ce qui ne laisse pas toujours le temps d’exploiter pleinement ces nouvelles mécaniques.
Mais malgré sa durée limitée, Burial at Sea réussit ce que peu de DLC parviennent à accomplir : réintroduire la peur et la tension dans une formule qui, jusque-là, semblait s’en être détachée. Vous n’êtes plus un héros, vous n’êtes plus un messager de mort fondant sur ses ennemis… Vous êtes un homme perdu dans une ville qui n’a jamais voulu de vous.
Un labyrinthe de luxe et de déchéance
Columbia était un spectacle, une fresque lumineuse suspendue entre les cieux, une ville qui se donnait en représentation, qui voulait être admirée. Rapture, elle, n’a jamais cherché à plaire, et ce Burial at Sea le rappelle avec une brutalité implacable. Ce DLC n’est pas qu’un retour à la ville sous-marine, c’est un retour à sa structure, à son ADN, un monde fait de corridors, de recoins sombres, de ruelles mal éclairées et de pièces figées dans le temps. Là où Infinite vous lançait dans des arènes aériennes ouvertes, Burial at Sea referme les murs sur vous, vous enferme dans un espace qui vous contrôle autant que vous le contrôlez.
Mais cette fois, Rapture est encore debout. Et c’est là que réside toute la puissance de ce retour : vous découvrez enfin la ville telle qu’elle était avant sa chute, ses restaurants encore animés, ses théâtres où résonnent encore les voix des comédiens, ses galeries marchandes où l’élite s’amuse sans voir les fissures sous leurs pieds, ses petites sœurs aux difformités dissimulées sous des masques enfantins. C’est un monde en trompe-l’œil, un décor magnifique qui cache déjà des ombres trop profondes pour être ignorées.
Les chrosômes ne sont pas encore totalement des monstres, mais vous sentez qu’ils le deviendront bientôt. Le déséquilibre est palpable, l’ordre est fragile, et chaque recoin que vous explorez vous rapproche un peu plus du gouffre qui avalera cette ville et tous ceux qui l’habitent.
Le level design de Burial at Sea joue brillamment avec cette dualité : dans les premiers instants, vous marchez dans une Rapture presque intacte, un mirage où tout semble encore fonctionner, mais très vite, vous basculez dans des zones plus sombres, plus délabrées, celles où les expériences interdites de Fontaine ont déjà commencé, celles où les premiers signes de l’addiction à l’ADAM rongent les habitants, celles où les murmures des fous résonnent déjà dans l’ombre.
Et comme toujours, Rapture récompense ceux qui prennent le temps d’explorer. Des caches secrètes, des enregistrements audio disséminés dans les coins les plus reculés, des indices sur ce qui va arriver dans l’épisode suivant, tout est là pour ceux qui veulent comprendre au-delà de l’évidence. Mais malgré cette richesse, la structure du DLC reste plus linéaire que les anciens BioShock. L’exploration est plus dirigée, plus limitée, et bien que chaque détour puisse cacher un secret, la liberté de mouvement est bien moindre que dans le premier BioShock ou même dans BioShock 2.
Mais qu’importe si Burial at Sea vous enferme dans un chemin déjà tracé… car au fond, n’avez-vous jamais eu le choix ?
Une ville au sommet de sa gloire
Si BioShock Infinite émerveillait par la grandeur et la clarté de Columbia, Burial at Sea – Épisode 1 éblouit par une Rapture que l’on n’avait encore jamais vue ainsi : vivante, animée, en pleine lumière, à quelques instants de son extinction. Les néons colorés, les reflets sur les sols de marbre, les affiches de propagande encore intactes, tout est un hommage à ce que Rapture aurait pu être si elle n’était pas rongée par son propre orgueil. Les bars sont remplis de conversations, les salons de coiffure résonnent des commérages de l’élite, les vitrines des galeries marchandes exposent encore les créations d’un monde qui voulait rivaliser avec les dieux.
Ce n’est pas une ville en pleine prospérité, c’est une ville en train de retenir son souffle. Vous voyez déjà les fissures derrière les dorures, vous entendez déjà les murmures dans les ruelles sombres, et plus vous avancez, plus la lumière artificielle des néons semble vaciller, prête à s’éteindre définitivement. Et lorsque la descente commence, lorsque vous quittez les quartiers chics pour les sous-sols moites et les laboratoires interdits, Rapture redevient ce qu’elle a toujours été : une prison où seuls les plus forts survivent.
Graphiquement, Burial at Sea sublime encore plus l’univers de BioShock en exploitant au mieux le moteur d’Infinite. Les textures sont plus détaillées, les jeux de lumière plus dynamiques, et chaque décor regorge d’un soin du détail qui rappelle que Rapture, même au bord du gouffre, reste un chef-d’œuvre d’architecture et d’idéologie.
La musique oscille entre jazz feutré et notes angoissantes, entre la douceur trompeuse d’une ville qui se veut idyllique et les sons étouffés d’une réalité qui s’effondre. Les échos des conversations mondaines laissent place aux râles des premiers chrosômes, et chaque coup de feu, chaque cri, chaque bruit de pas dans les couloirs déserts vous rappelle que vous êtes en train de plonger vers l’inévitable.
Et au centre de tout cela, il y a Elizabeth. Son timbre de voix n’a plus la naïveté de Columbia, elle est plus distante, plus tranchante, et pourtant chaque mot qu’elle prononce semble pesé, chaque silence semble dissimuler une vérité qu’elle ne veut pas encore révéler. Et lorsque le voile tombe, lorsque vous comprenez enfin pourquoi elle est là, pourquoi elle vous a ramené ici, il est trop tard pour faire marche arrière.
Rapture vous a déjà avalé.
0 commentaires