Sorti en 2010, BioShock 2 avait la lourde tâche de succéder à un chef-d’œuvre. Dix ans après la chute de Rapture, ce second opus vous plonge une nouvelle fois dans les profondeurs de la ville sous-marine, non plus en tant que simple survivant, mais dans la peau d’un Protecteur, un de ces Big Daddies que l’on craignait tant dans le premier jeu.
Avec sa version remastérisée, BioShock 2 bénéficie d’une mise à jour graphique et technique, offrant une expérience optimisée sur les consoles modernes. Mais cette suite, souvent comparée à son illustre prédécesseur, parvient-elle à justifier son existence, ou n’est-elle qu’une simple extension du mythe de Rapture ?
Une lutte entre contrôle et libre arbitre, entre paternité et sacrifice
Derrière les vitres fissurées et les couloirs noyés, Rapture n’est pas morte. Dix ans après la chute d’Andrew Ryan, la ville sous-marine continue de pourrir dans ses entrailles, gangrenée par de nouvelles forces, de nouvelles idéologies, de nouvelles illusions.
Vous n’êtes plus un simple survivant échoué. Vous êtes le Sujet Delta, un Protecteur, un Big Daddy, une de ces créatures que vous redoutiez tant dans le premier BioShock. Mais là où le joueur craignait autrefois leur lenteur implacable et leur force brutale, vous découvrez ce qu’ils sont réellement : des âmes brisées, des fantômes piégés dans des scaphandres, des pantins sans volonté propre.
Et pourtant, vous n’êtes pas comme les autres. Vous avez quelque chose que l’on vous a enlevé, quelque chose que vous devez retrouver à tout prix : Éléanor. Cette Petite Sœur que vous étiez chargé de protéger n’est plus une enfant, elle est devenue l’objet de toutes les convoitises, une clé pour Rapture, une figure centrale dans le conflit qui oppose ceux qui cherchent encore à s’emparer de la ville.
Là où Andrew Ryan prônait une liberté totale, un monde où chacun était libre de bâtir sa propre destinée sans intervention de l’État ou de la morale, Sofia Lamb impose une vision radicalement opposée. Pour elle, Rapture ne s’est pas effondrée à cause de l’ADAM ou de la science sans éthique, mais à cause de l’individualisme débridé de Ryan. Là où Ryan croyait aux hommes libres, Lamb croit en un collectif sans identité, en un grand esprit unifié, où chaque individu doit se sacrifier pour un bien supérieur.
Et c’est dans cette guerre idéologique que vous êtes projeté, non pas en tant que simple spectateur, mais en tant qu’outil, en tant qu’arme vivante, comme vous l’avez toujours été.
Là où le premier BioShock vous enfermait dans une illusion de libre arbitre avant de la briser sous le poids de la manipulation, BioShock 2 prend un chemin différent. Vous n’êtes plus manipulé par un autre, vous êtes prisonnier d’un lien, celui qui vous unit à Éléanor, ce fil invisible qui vous ramène toujours à elle. Votre volonté n’est pas imposée par un “je vous prie”, mais par quelque chose d’encore plus viscéral : l’instinct, l’attachement, l’amour inconditionnel d’un père pour son enfant.
Et c’est là que réside toute la force de BioShock 2. Vous n’êtes pas juste un Protecteur, vous êtes un père, et chaque pas que vous faites dans cette ville condamnée est une quête pour retrouver ce lien que l’on a tenté de briser.
Mais Rapture ne vous facilitera pas la tâche.
Si le premier opus vous faisait affronter des Chrosômes déments, fruits de la dégénérescence de la ville, BioShock 2 vous confronte en plus à ce qu’ils ont laissé derrière eux : les Grandes Sœurs. Plus rapides, plus agressives, plus imprévisibles, ces créatures ne sont pas que de simples ennemies puissantes, elles sont le miroir de ce qu’Éléanor pourrait devenir, un avertissement constant de ce que Rapture fait aux êtres les plus vulnérables.
Et à mesure que vous avancez, chaque journal audio, chaque rencontre, chaque confrontation vous rapproche de la vérité. Éléanor n’est plus une simple victime, elle est l’héritière de Rapture, le fruit des expériences de Lamb, un symbole vivant de cette idéologie collectiviste qui cherche à la remodeler à son image.
Votre combat n’est plus seulement une question de survie, c’est une lutte pour sauver ce qu’il reste d’elle, pour lui offrir un avenir qui ne soit pas dicté par les fantômes du passé.
Mais dans Rapture, les choix ont toujours un prix.
Les Petites Sœurs sont toujours là, errant dans les ruines, pompant l’ADAM des cadavres sous la surveillance d’autres Protecteurs. Et une fois de plus, le choix s’impose à vous : les sauver ou les exploiter.
Mais là où BioShock vous posait cette question comme un dilemme moral pur, BioShock 2 le lie directement à votre quête personnelle. Chaque Petite Sœur que vous sauvez devient temporairement votre fille, vous suit, vous parle, vous demande de l’accompagner jusqu’à sa récolte d’ADAM, vous plaçant dans la peau d’un Protecteur comme vous l’étiez autrefois pour Éléanor. Chaque décision que vous prenez face à elles est une répétition de ce que vous préparez pour votre propre enfant.
Et lorsque la fin arrive, elle n’est plus seulement une conséquence de vos choix, elle est entre les mains d’Éléanor elle-même.
Elle a grandi en vous observant. Elle a vu ce que vous avez fait. Elle a appris de vos actes.
Alors, quand vient l’heure de quitter Rapture, ce n’est pas vous qui tracez votre propre destinée, c’est elle qui choisit d’être ce que vous lui avez montré.
Avez-vous été un monstre comme ceux qui ont détruit cette ville, un prédicateur d’une idéologie du plus fort, ou avez-vous su briser ce cycle infernal, lui offrir une voie différente en lui apprenant la valeur de la vie et de l’espoir ?
Là où BioShock questionnait votre libre arbitre, BioShock 2 vous fait ressentir la véritable portée de vos choix. Vous n’êtes pas un simple instrument cette fois-ci. Vous êtes un modèle, un héritage. Vous êtes un père.
Et comme tout père, vous devez accepter que vos actions ne disparaîtront jamais… elles laisseront toujours une trace.
Une force brute libérée
Si BioShock vous plaçait dans la peau d’un survivant armé et rusé, BioShock 2 vous transforme en une machine de guerre. Vous n’êtes plus un simple humain errant dans les couloirs de Rapture, vous êtes un Protecteur, un monstre d’acier et de chair, une force que l’on ne peut plus ignorer.
Ce changement de perspective se ressent immédiatement dans le gameplay. Vous êtes plus puissant, plus résistant, plus dangereux, et cela change profondément l’approche des combats. Là où vous deviez éviter les affrontements directs dans le premier jeu, BioShock 2 vous donne les outils pour les dominer, mais sans jamais vous rendre invincible.
La première grande évolution du gameplay réside dans la possibilité d’utiliser simultanément une arme et un plasmide. Fini les interruptions frustrantes du premier opus, où vous deviez alterner entre l’un et l’autre. Désormais, vous pouvez geler un ennemi tout en lui envoyant une rafale de balles, électrocuter une pièce entière avant d’abattre méthodiquement vos adversaires, ou encore les projeter contre un mur tout en leur assénant un coup fatal à la foreuse. Cette synergie fluidifie les affrontements et encourage les combinaisons stratégiques, rendant chaque combat plus dynamique et jouissif.
Mais ce n’est pas parce que vous êtes un Protecteur que Rapture devient un terrain de jeu facile. Les chrosômes ont évolué, les Grandes Sœurs sont là, et surtout, chaque balle, chaque seringue d’EVE reste une ressource précieuse. Vous pouvez prendre l’ascendant sur vos ennemis, mais à condition de gérer intelligemment vos munitions, vos améliorations et votre environnement.
Comme dans le premier jeu, vous disposez d’un arsenal varié, mais cette fois conçu pour un Protecteur. La foreuse, signature des Big Daddies, est une arme brutale, capable de déchiqueter un ennemi au corps-à-corps, mais elle consomme du carburant, ce qui la rend risquée si vous êtes mal préparé. Le canon à rivets est précis et puissant, parfait pour éliminer les cibles à distance. Le lance-harpon, bien qu’un peu lent, inflige des dégâts colossaux et peut empaler les ennemis sur les murs, ajoutant une satisfaction viscérale aux combats.
Comme dans BioShock, chaque arme dispose de plusieurs types de munitions, chacune adaptée à une situation précise. Les balles classiques permettent une approche équilibrée, les munitions électriques paralysent les ennemis dans l’eau, les projectiles perforants transpercent les armures des ennemis les plus robustes. Chaque combat devient une gestion de ressources et une réflexion sur la meilleure manière d’aborder l’ennemi.
Mais BioShock 2 introduit également un nouveau concept de gameplay : la défense des Petites Sœurs. Lorsqu’une Petite Sœur est récupérée, elle peut être envoyée récolter de l’ADAM sur un cadavre, mais cela déclenche une vague d’ennemis attirés par cette précieuse ressource. Vous devez protéger la fillette pendant qu’elle remplit sa seringue, transformant chaque phase de récolte en un combat de survie pour lequel il faut méthodiquement se préparer.
Cette mécanique change totalement la dynamique des affrontements. Vous ne vous contentez plus d’attaquer, vous devez préparer le terrain : poser des pièges électrifiés, pirater des tourelles, placer des mines, choisir l’endroit idéal pour l’affrontement. Ce n’est plus une simple escarmouche, c’est une bataille à planifier, un siège à repousser.
Mais cette nouveauté n’est pas exempt de défauts. Les phases de défense des Petites Sœurs deviennent répétitives autant que de frustrantes à la longue. Le schéma est toujours le même : récupérer une Petite Sœur, trouver un cadavre, se préparer, combattre, recommencer. Si cette mécanique apporte de la diversité au gameplay, elle souffre d’un problème majeur : le jeu n’en vaut pas forcément la chandelle. Récoler ou sauver une petite sœur sans pour autant passer par ces phases de collectes vous octroie suffisamment d’ADAM pour vous en sortir, surtout si vous êtes déjà un vétéran du premier opus.
Enfin, le piratage, qui faisait partie intégrante du gameplay du premier opus, a été revu et corrigé. Fini les puzzles de plomberie qui cassaient le rythme, désormais le piratage repose sur un mini-jeu basé sur des réflexes, où vous devez arrêter une aiguille au bon moment pour réussir votre intrusion. Cette refonte rend l’action plus rapide et plus fluide, d’autant que ces derniers n’interrompent pas l’action. Des ennemis peuvent donc survenir, et un échec signifie souvent le déclenchement d’une alarme mortelle.
BioShock 2 ne réinvente pas la roue, mais il affine et améliore la formule originale, offrant des combats plus nerveux, une gestion plus dynamique des ressources et une approche plus stratégique des affrontements. Vous êtes un Big Daddy, et pour la première fois, vous ressentez la puissance de cette armure… mais aussi ses limites.
Rapture ne vous laisse pas devenir un dieu, elle vous donne juste les outils pour survivre… si vous savez comment les utiliser.
Un monde qui s’effrite
Rapture n’a jamais été un lieu conçu pour le confort. Elle est un tombeau, une machine en train de s’effondrer sur elle-même, une illusion qui se délite. Et dans BioShock 2, elle semble encore plus fragile, plus rongée par le temps, plus menaçante que jamais.
Si vous aviez l’impression de traverser une ville moribonde dans le premier jeu, cette fois, vous évoluez dans ses ruines, dans ce qu’il reste d’un rêve qui n’a jamais eu la moindre chance de survivre. Les couloirs sont plus délabrés, les structures plus instables, l’eau s’infiltre dans chaque recoin, et ce qui était autrefois un sanctuaire de luxe est devenu un champ de bataille pour des créatures désespérées.
Mais Rapture n’a pas perdu son âme pour autant.
Là où BioShock vous enfermait dans des espaces parfois oppressants, BioShock 2 adopte une structure plus variée, alternant entre des zones plus vastes et des corridors étroits, jouant sur le sentiment de claustrophobie et d’ouverture en fonction des besoins du scénario. Vous traversez des quartiers oubliés, des districts entiers abandonnés, où les fantômes de Rapture vous observent encore à travers les affiches de propagande déchirées et les vitraux souillés par le temps.
Et cette fois, vous avez un avantage que Jack n’avait pas dans le premier jeu : la possibilité de marcher sous l’eau.
Certains passages vous font quitter les intérieurs en ruines pour plonger directement dans les profondeurs de l’océan, marchant parmi les débris, entre les algues ondoyantes et les créatures marines qui ont repris possession de cette utopie déchue. Ces moments offrent une respiration bienvenue, un contraste entre la violence des affrontements et le calme absolu des abysses, vous rappelant que Rapture est un vestige, une ville que l’océan finira par avaler entièrement.
Mais ne vous méprenez pas : si Rapture est plus belle que jamais, elle est aussi plus dangereuse.
L’exploration ne se limite pas à de simples déplacements, elle est une question de survie. Les stations de soin, les distributeurs de munitions, les caméras de surveillance, tout peut être piraté pour vous donner un avantage ou pour transformer l’environnement en piège mortel pour vos ennemis. Mais chaque action a un coût, et choisir de pirater un distributeur plutôt que d’acheter directement un kit de soin peut se révéler une erreur fatale si vous êtes pris au dépourvu.
Le level design est aussi pensé pour vous forcer à être méthodique. Les caches de munitions sont bien souvent dissimulées, les passages alternatifs sont là pour les joueurs les plus curieux, et certaines améliorations ne se trouvent qu’en prenant le temps d’explorer chaque recoin.
Mais si l’exploration est récompensée, elle est aussi périlleuse. Rapture ne vous laisse jamais tranquille. Les chrosômes réapparaissent dans des zones déjà visitées, les Grandes Sœurs peuvent surgir à tout moment, et chaque salle peut devenir un piège mortel si vous ne restez pas sur vos gardes.
Et c’est là que BioShock 2 réussit brillamment son pari. Contrairement au premier jeu, qui misait énormément sur la découverte d’un monde inconnu, cette suite se concentre sur la survie dans un monde que vous connaissez déjà, mais qui vous échappe encore. Rapture vous est familière, mais elle ne vous appartient pas.
Et même si vous vous sentez plus puissant en tant que Protecteur, la ville ne tarde jamais à vous rappeler que vous n’êtes qu’un intrus dans un royaume en train de s’effondrer.
Une beauté décomposée
Si BioShock 2 reprend l’architecture magistrale et l’identité visuelle unique du premier jeu, cette version remastérisée lui offre un nouvel éclat, sublimant les contrastes entre la grandeur passée et la décrépitude actuelle de Rapture.
Visuellement, les textures sont plus détaillées, les effets de lumière retravaillés, et l’eau omniprésente bénéficie d’un rendu plus réaliste, rendant les inondations, les reflets et les fuites à travers les parois fissurées plus immersifs que jamais. Les ambiances lumineuses sont plus marquées, accentuant la tension des couloirs plongés dans la pénombre et les rares moments de grâce où les néons vacillants rappellent le faste révolu de la cité.
Mais ce n’est pas seulement la technique qui impressionne, c’est le soin apporté à la mise en scène environnementale. Les appartements désertés conservent les traces d’un quotidien brisé, les salles de réunion abandonnées témoignent des derniers soubresauts politiques de Rapture, et chaque affiche de propagande lacérée, chaque vitrine brisée raconte l’histoire d’une ville qui a sombré dans la folie et le chaos.
Cependant, si l’aspect visuel gagne en finesse, BioShock 2 Remastered n’échappe pas à certaines limites techniques. Les modèles de personnages restent rigides, et les animations faciales, bien que légèrement améliorées, accusent toujours un retard par rapport aux standards actuels. Les chrosômes, bien qu’effrayants dans leur comportement imprévisible, souffrent de la même répétitivité visuelle quand le premier opus, leurs expressions étant souvent figées et peu variées.
Mais là où BioShock 2 excelle, c’est dans son sound design.
Là encore, le jeu joue sur le contraste entre grandeur et ruine. Les morceaux jazzy des années 30 et 40 résonnent dans les salles de danse désertées, les échos des annonces de propagande résonnent dans les corridors noyés, et le grésillement des haut-parleurs défectueux semble murmurer les derniers soupirs de Rapture.
Les bruits de pas dans l’eau, les structures qui craquent sous le poids de la pression, et les coups lointains d’un Big Daddy contre une paroi métallique renforcent le sentiment d’être pris au piège dans un monde qui s’effondre lentement.
Mais ce sont les voix qui donnent à Rapture toute sa personnalité.
Les cris des chrosômes résonnent comme des appels à l’aide déformés, leurs murmures paranoïaques vous poursuivent dans l’ombre, et leurs accès de rage éclatent sans prévenir, faisant de chaque rencontre une montée de tension imprévisible.
Les voix d’Andrew Ryan et de Sofia Lamb, échos de deux visions opposées, continuent de hanter les ruines de la cité, l’un prêchant l’individualisme absolu, l’autre répétant ses mantras collectivistes. Mais là où Ryan était un monstre d’orgueil, Lamb est une présence plus insidieuse, une manipulatrice douce et méthodique, dont la voix calme cache des ambitions bien plus inquiétantes.
Enfin, Éléanor, omniprésente dans votre quête, s’exprime à travers les haut-parleurs, et chaque message qu’elle vous adresse est empreint d’une sincérité fragile, renforçant l’attachement du joueur à ce personnage qui représente votre dernière lueur d’humanité dans Rapture.
La musique, signée Garry Schyman, oscille entre grandiloquence et mélancolie, entre les envolées orchestrales qui accompagnent les moments de tension et les notes plus douces qui rappellent que Rapture n’a pas toujours été un enfer.
Le travail sonore de BioShock 2 Remastered est l’une de ses plus grandes réussites, rendant la ville plus oppressante que jamais, mais aussi plus tragique, comme un monument englouti dont les échos résonnent encore à travers le temps.
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