Dans les coulisses d’un théâtre fantasmagorique, là où l’espoir et l’illusion se confondent, Balan Wonderworld tend un rideau usé.
Conçu par Yuji Naka et Naoto Ohshima, figures légendaires derrière la naissance de Sonic, développé par Balan Company et édité par Square Enix, le jeu s’annonçait comme un hommage vibrant à l’imaginaire, un rêve éveillé où chaque costume serait une clé vers de nouveaux mondes.
Sorti en mars 2021, il promettait d’ouvrir grand les portes de l’émerveillement, offrant à la Nintendo Switch une aventure aussi magique qu’audacieuse.
Mais derrière les éclats de lumière et les couleurs acidulées, la scène chancelle. Le rêve se fissure sous les maladresses, les ratés techniques et les choix de conception hasardeux, laissant au final une production où l’enthousiasme se mue trop souvent en consternation.
Rêves égarés dans le labyrinthe de l’oubli
Tout commence par une promesse brisée : celle d’un voyage initiatique porté par l’imaginaire et la guérison. Dans Balan Wonderworld, vous suivez Leo Craig et Emma Cole, deux âmes blessées, aspirées malgré elles dans un univers onirique par l’énigmatique maître de cérémonie, Balan.
Chaque chapitre du jeu érige un monde façonné par les angoisses ou les regrets d’un inconnu, transformant chaque décor en métaphore, chaque costume en exutoire.
En théorie, l’idée caresse l’étoffe des plus belles fables. En pratique, la narration se désagrège sous le poids de son propre chaos. Les motivations des personnages secondaires s’effleurent sans jamais s’ancrer, les transitions entre douleur intime et environnement fantastique se font sans liant, laissant le joueur errer d’un tableau à l’autre sans jamais comprendre véritablement la nature de son périple.
À peine esquissés, les drames personnels s’effacent dans un flou déroutant. Aider un fermier hanté par un cyclone ? Traverser un monde sans comprendre ce qu’il symbolise ? Chaque tentative d’émotion échoue, dissoute dans un récit où les scènes finales — danses collectives absurdes, dénouements sans explication — achèvent de rompre le fragile pacte d’immersion.
Balan, censé incarner la force salvatrice liant ces fragments de destin, reste lui-même un pantin sans chair, une présence creuse réduite à quelques apparitions spectaculaires dénuées de véritable sens.
Dans Balan Wonderworld, les rêves sont là, mais brisés, éparpillés, incapables de recomposer le moindre souffle d’émerveillement.
Costumes de plomb sur scènes désertées
Au cœur de Balan Wonderworld, le système de costumes se veut le moteur du voyage, la clef pour franchir obstacles et mystères.
Mais ce qui aurait pu être un festival de créativité se transforme rapidement en procession laborieuse.
Chaque costume, loin de multiplier les possibles, enferme le joueur dans une rigidité mortifère : une seule capacité par habit, trois costumes transportables à la fois, et aucune alternative si la panoplie nécessaire venait à disparaître au premier coup reçu.
L’expérience devient alors un lent ballet de frustrations : changer de costume pour simplement pouvoir sauter, perdre une capacité vitale au moindre contact ennemi, rebrousser chemin, parfois même recommencer entièrement un niveau pour retrouver un pouvoir indispensable.
Chaque interaction, au lieu de nourrir la découverte, freine la progression jusqu’à la rendre mécanique, fastidieuse, absurde.
Les exemples ne manquent pas : un costume permet de flotter… mais vous interdit toute attaque. Un autre offre une attaque… mais vous cloue au sol, condamnant toute velléité d’exploration aérienne.
Ce cloisonnement systématique transforme les niveaux en parcours d’obstacles peu inspirés, où l’expérimentation est non seulement découragée, mais lourdement punie.
Même la structure des niveaux, censée épouser la variété des costumes, se révèle d’une linéarité désolante.
Peu d’exploration réelle, des allers-retours sans saveur, des pièges visibles à des kilomètres, et une répétitivité glaçante qui s’installe dès les premiers mondes pour ne jamais lâcher prise.
Balan Wonderworld ne propose pas un terrain de jeu. Il impose un carcan, une succession d’épreuves sans rythme ni exaltation, écrasées sous le poids de leurs propres mécaniques mal pensées.
Éclats fanés sous les projecteurs vacillants
Sur le papier, Balan Wonderworld offre un festin visuel : des mondes éclatants de couleurs, des créatures fantasques, des décors tirés d’un rêve enfantin.
Mais sur Nintendo Switch, cette vision féerique se heurte violemment aux murs de la réalité technique.
Le framerate, instable jusqu’à la rupture, plonge souvent sous la barre des 15 images par seconde. Chaque apparition d’ennemis, chaque pivot brutal de la caméra, transforme l’action en une suite d’images saccadées, brisant toute fluidité et rendant les contrôles incertains, voire inutilisables lors des séquences critiques.
Graphiquement, malgré une direction artistique pleine de bonnes intentions, la version Switch souffre de textures crénelées, de modèles grossiers et d’une absence flagrante d’antialiasing. Les mondes, censés inviter à la rêverie, prennent alors des allures de maquettes inachevées, où les détails se dissolvent dans une bouillie de pixels au moindre mouvement de caméra.
La bande-son, en revanche, tente de sauver les apparences. Les compositions musicales, riches et bien produites, offrent des instants de respiration : des mélodies légères pour les phases d’exploration, des envolées plus rythmées pour les affrontements et les boss.
Mais cette réussite sonore se heurte elle aussi à la monotonie du reste. Rejouer encore et encore les mêmes morceaux dans des niveaux trop semblables finit par émousser leur charme, laissant la musique flotter, déconnectée du plaisir ludique qu’elle aurait dû sublimer.
Dans Balan Wonderworld, l’esthétique tente de masquer les fissures… mais sous les projecteurs vacillants, même les plus beaux costumes finissent par s’effilocher.
Les coulisses désertées d’un spectacle brisé
Derrière ses paillettes ternies, Balan Wonderworld expose une mécanique globale vidée de sa substance.
Les niveaux, pourtant prometteurs sur le plan visuel, peinent à offrir autre chose qu’une suite d’aller-retours sans tension ni émerveillement. L’exploration, censée être le cœur du plaisir, est sacrifiée au profit d’une collecte fastidieuse de statues de Balan, imposée comme un passage obligé pour débloquer de nouveaux chapitres.
Les ennemis, amorphes et inoffensifs, se dressent mollement sur votre chemin, souvent battus d’un simple saut ou d’une attaque élémentaire ridicule… à condition, évidemment, d’avoir équipé le bon costume. Leur réapparition systématique lors des retours en arrière achève de transformer les niveaux en corvées mécaniques, vidant les rares tentatives de challenge de tout leur sens.
Quant aux boss, malgré quelques idées de mise en scène, ils se résument le plus souvent à l’exploitation répétitive d’une mécanique unique, là encore dépendante du costume porté. Rarement dans un jeu de plateforme récent, l’ivresse de l’affrontement a semblé aussi absente.
Même les mini-jeux de rythme, les Balan’s Bout, échouent à insuffler un peu de variété. Répétitifs jusqu’à l’absurde, sans réel impact sur la progression en dehors d’une collecte de gemmes artificiellement gonflée, ils viennent alourdir encore davantage un jeu déjà lesté par ses propres faiblesses.
Sur Switch, les freezes sporadiques, les crashs ponctuels et les chargements anormalement longs viennent parachever cette impression de production précipitée, jamais réellement peaufinée, jamais vraiment pensée pour la console de Nintendo.
0 commentaires