Sorti le 29 août 2023 sur Nintendo Switch, Agatha Christie – Hercule Poirot: The London Case, développé par Blazing Griffin Games et édité par Microids, poursuit l’ambition entamée avec The First Cases : moderniser les enquêtes du célèbre détective belge tout en conservant l’élégance et la subtilité de l’œuvre originale.
Cette fois, Poirot quitte le huis clos des manoirs pour s’aventurer dans les galeries d’art de Londres, dans une affaire de vol qui se transforme en véritable labyrinthe psychologique. Mais derrière l’élégance de l’intrigue et la richesse des références, le portrait du détective s’effrite, modernisé jusqu’à parfois trahir l’essence même de son personnage.
Une enquête raffinée sous un masque étranger
Dans The London Case, vous incarnez un jeune Hercule Poirot, encore inspecteur pour la Sûreté belge, jouissant d’une petite notoriété fraîchement acquise. Mandaté pour protéger un tableau précieux au sein d’une célèbre galerie d’art londonienne, Poirot se retrouve, bien entendu, au cœur d’une affaire bien plus complexe que prévu.
L’intrigue, écrite avec soin et parfaitement doublée en français, déroule un récit solide, riche en ramifications et en fausses pistes, maîtrisant avec élégance l’art du Whodunnit cher à Agatha Christie. Les amateurs y retrouveront un foisonnement de références discrètes, des clins d’œil subtils comme l’apparition du fidèle William Hastings ou les échos troublants d’Anastasia Barbanine, réminiscente de la mystérieuse Vera Rossakoff.
Tout respire le respect de l’œuvre originale, jusqu’à cette volonté assumée de complexifier les structures narratives, d’offrir aux joueurs un éventail de chemins et d’embranchements plus élaborés.
Mais au-delà du soin apporté à l’univers, le traitement du personnage de Poirot divise. Car si l’on retrouve son goût pour la réflexion, sa posture, son physique et son approche de l’enquête trahissent l’esprit des romans. Le jeune détective ici dépeint, inspiré de l’interprétation de John Malkovich, se montre bien plus tactile, méthodique et terre-à-terre qu’intellectuel et orgueilleusement distant.
Un Poirot moderne, séduisant pour les néophytes, mais étranger à ceux qui connaissent l’original sur le bout des doigts.
Les cellules grises en mode assisté
Sur le terrain du gameplay, The London Case poursuit la formule peaufinée de The First Cases, en affinant l’expérience d’enquête visuelle et mentale sans révolutionner l’approche.
Vous devrez interroger suspects et témoins, fouiller chaque recoin à la recherche d’indices, puis assembler vos trouvailles dans la fameuse carte mentale, signature de la série. Relier les indices, formuler des déductions, confronter les mensonges : tout l’arsenal du détective est là, méticuleusement reconstruit.
La carte mentale, en particulier, reste l’un des grands plaisirs du jeu, offrant une structure logique séduisante, qui donne l’illusion d’une grande liberté d’analyse.
Mais derrière cette élégance, The London Case reste un Visual Novel déguisé, tenant souvent le joueur par la main, guidant ses pas et ses raisonnements sans lui laisser réellement l’occasion d’échouer ou de se tromper. L’enquête avance à un rythme balisé, empêchant le frisson de la véritable déduction libre.
Si l’ensemble reste accessible et agréable, on regrettera le manque de nouveautés mécaniques par rapport à l’opus précédent. Aucune véritable surprise, mais un confort bien rodé, suffisamment solide pour séduire les amateurs d’enquêtes bien écrites, tout en restant un peu trop sage pour combler ceux en quête de défis plus acérés.
L’élégance surannée d’une époque disparue
Visuellement, The London Case reconduit la vue isométrique de son prédécesseur, plaçant le joueur au-dessus des scènes comme un marionnettiste observant ses pions évoluer dans des décors délicatement façonnés.
Si la technique trahit parfois l’ambition — aliasing marqué, animations rigides, textures dépassées —, l’essentiel est ailleurs. Car l’ambiance générale, la patine légèrement délavée, le souci du détail dans les décors et dans les costumes, plongent immédiatement dans l’Angleterre feutrée du début du XXe siècle.
Chaque galerie, chaque bureau, chaque ruelle respire une authenticité chaleureuse, sublimée par une direction artistique inspirée. Les suspects, eux aussi, affichent des silhouettes reconnaissables et travaillées, incarnant chacun un archétype de roman policier sans jamais sombrer dans la caricature.
La mise en scène ose parfois quelques cadrages cinématographiques bienvenus, insufflant un souffle discret mais réel à certaines séquences-clés.
Sur le plan sonore, le doublage français s’impose comme un atout majeur, soutenant le jeu d’acteur même lorsque certaines scènes peinent à trouver leur naturel. Les musiques, discrètes mais élégantes, accompagnent l’aventure sans jamais la dominer, laissant le poids des dialogues et des silences tisser l’atmosphère.
Un écrin modeste, parfois brinquebalant techniquement, mais porté par une vraie fidélité d’âme à l’univers d’Agatha Christie.
Un hommage sincère au prix de quelques trahisons
The London Case s’impose comme une continuation respectueuse de l’expérience proposée par The First Cases, reprenant toutes les bases solides sans leur insuffler de réels bouleversements.
L’écriture soignée, les références discrètes aux romans d’Agatha Christie, la fluidité de la navigation entre indices et déductions séduiront les amateurs de mystères classiques, heureux de retrouver un Poirot jeune, affûté et méthodique.
Mais au-delà de cette fidélité apparente, un léger malaise s’installe pour les connaisseurs. Car si l’esprit général de l’œuvre est respecté, le traitement du personnage de Poirot s’éloigne drastiquement de celui façonné par Christie. Le détective méthodiste, presque tacticien physique, n’est pas le génie assis dans son fauteuil, maniant fierté, foi, et obsession de l’ordre mental comme armes principales.
Ce glissement vers un Poirot modernisé, à la posture et aux méthodes plus proches d’un Sherlock Holmes, laissera les puristes frustrés, même si le néophyte, moins ancré dans les textes d’origine, pourra s’en accommoder sans heurt.
À défaut d’être une trahison absolue, The London Case reste une relecture audacieuse, consciente de ses choix, mais parfois trop lisse et trop dirigiste pour combler totalement l’attente des plus exigeants.
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