Parfois.
Parfois, on ressent comme une connexion. Parfois, on se dit qu’un titre, présenté à travers un simple trailer, semble nous parler. Parfois, on est pris d’une intuition qui, bien qu’elle ne soit motivée que par un vague sentiment, semble plus forte encore que le réel.
Parfois, on découvre un jeu qui, contre toute attente, remet en question notre propre vision du monde, de la beauté, de la grandeur et du bien.
Parfois, une simple production indépendante nous rappelle que le jeu vidéo est bel et bien un art, avec un grand “A”.
Annoncé en février 2023, Afterimage s’est présenté à moi comme une évidence : un metroidvania aux réminiscences de Death Gambit. Immense. Magnifique. Poétique. Un jeu issu des studios chinois d’Aurogon, inconnu chez nous, mais déjà à l’origine de la trilogie GuJian sur PC ainsi que du MMO Swords of Legend Online.
Ces noms ne vous disent sans doute rien, car le studio ne s’est concentré jusqu’à présent que sur le marché chinois. Grâce à Modus cependant, leur dernière production est arrivée dans nos contrées. Et je n’aurais qu’un mot, tant pour les développeurs que pour l’éditeur : merci.
Image Rémanente
Dans Afterimage, vous incarnez Renée. La jeune femme, accompagnée d’une singulière créature volante, est une passeuse d’âme. Son rôle dans ce monde consiste à aider les défunts à rejoindre l’océan des âmes, afin que ces derniers puissent atteindre l’au-delà et se réincarner.
Lors d’une de ses missions, elle se retrouve confrontée à un vagabond, un être n’ayant pas eu la chance de recevoir ce dernier sacrement et revenu d’entre les morts sous la forme d’une entité enragée.
En rentrant chez elle pour en avertir Madame, la maîtresse de son ordre, elle découvre son village brûlé et sa cheffe morte, son âme volée par une étrangère encapuchonnée.
Débute alors une quête immense et intense pour retrouver l’âme dérobée de son mentor, mais également pour déjouer les plans d’une organisation décidée à changer l’ordre naturel des choses.
out en profondeur et en poésie, le scénario d’Afterimage vous plonge dans une épopée riche et écrite avec le plus grand soin, forte de passages chargés en émotions, en rebondissements et en découvertes imprévues.
Tout au long de l’aventure, les surprises ne cessent d’approfondir la richesse du lore, le tout sublimé par une narration mirifique, impactante et profonde.
Vous êtes rapidement invité à explorer les contrées de ce vaste monde, à traverser villes et campagnes, bourgades et grottes ; tout en découvrant bon nombre de personnages secondaires plus intrigants les uns que les autres.
Pas un seul ne vous laissera de marbre, tant ils ont été travaillés avec soin et disposent d’une profondeur insoupçonnée. Les questions fourmillent, tant sur la forme que sur le fond, car ils disposent tous d’un design singulier, d’une manière de s’exprimer différente et d’un but.
Certains ont un langage châtié, d’autres s’expriment de manière fort discourtoise, mais chacun a sa place dans la diégèse et jamais ne dénote. C’est un tour de force qui ne peut laisser de marbre, tant le travail et le soin apporté au moindre détail est prégnant.
De même, les quêtes annexes que ces derniers peuvent vous donner s’intègrent parfaitement à l’intrigue, toujours en lien plus ou moins immédiat avec votre mission ou l’environnement qui les entoure. Le discours est fluide, l’écriture optimisée et rien, absolument rien, ne semble dissonant.
Je me souviens de ce moment où, arrivé dans un biome fort de pièges et de passages sournois, j’ai rencontré un marchand prisonnier et blessé. Pour le secourir, il faut faire usage d’une bonne maîtrise du gameplay en empruntant des chemins de traverse, jusqu’à pouvoir l’atteindre et l’aider à s’en sortir.
Mais même là, la seule manière de le délivrer est de briser une partie de son précieux chargement, permettant ainsi à la fois de le débloquer… mais également d’avoir accès à sa boutique, qui vous offre alors la possibilité d’acheter une compétence secondaire fort utile et qui simplifie grandement la suite.
Afterimage est fait de toutes ces petites choses qui vous donnent l’irrésistible envie d’explorer, de vous perdre dans ses décors et ses paysages, de prendre des risques ; mais sans jamais vous y contraindre réellement.
C’est avant tout votre aventure, constituée d’une ligne directrice très vague. La trame principale vous enjoint en effet à rejoindre divers lieux très éloignés, vous laissant librement apprécier la découverte de son univers sans jamais vous imposer quoi que ce soit, mais toujours en vous récompensant pour le temps que vous prendrez.
Le Bestiaire, par exemple, ne se débloque qu’à l’aune de l’exploration d’un chemin annexe et totalement optionnel. Une fois acquis, ce dernier se remplit à chaque combat et fournit de précieuses informations tant sur vos adversaires que sur le lore lui-même.
Le jeu vidéo est donc bel et bien un art.
Avec les années et la profusion de titres qui ne cessent de nous polluer, j’en étais devenu aigri, commençant même à envisager le médium vidéoludique comme une distraction un peu secondaire, désuète, sans réel intérêt.
J’en étais venu à ne plus considérer le jeu vidéo que comme un passe-temps, voire dans le pire des cas un labeur. Un titre sort, je le teste, j’écris, je publie,
je passe au suivant et plus jamais je ne le toucherai ni même n’y penserai.
Parfois encore, j’en étais venu à le considérer comme un divertissement familial, à l’image d’un jeu de société. Et mes tests s’en ressentaient : plus la moindre émotion, ni même d’avis subjectif, uniquement la veule tâche de noter les points positifs et négatifs, de le comparer à ses paires, cherchant à en extraire ce qui faisait de lui un titre singulièrement supérieur ou inférieur aux autres productions.
J’en avais perdu l’admiration et le plaisir, le goût et l’envie. Oui, ce travail a indubitablement fait de moi un être aigri qui ne peut plus jouir du plaisir simple de s’émerveiller. Je comprends aujourd’hui pourquoi.
Afterimage est un jeu indépendant chinois intégralement dessiné à la main. Chaque tableau, chaque biome, chaque personnage, chaque ennemi, chaque effet de particule, chaque pixel qui le compose, tout est parfait.
Visuellement somptueux, le titre ne cesse de surprendre de bout en bout, apportant systématiquement des nouveautés inattendues par une direction artistique tout simplement incroyable. Et jamais le plaisir ne tarit. À chaque nouveau biome, c’est une douce gifle qui vient vous effleurer la joue avec délicatesse. Vous passez d’un désert sombre et implacable à des contrées verdoyantes, de grottes éclairées par des cristaux iridescents à des niveaux jouant adroitement sur les ombres, le tout avec une fluidité et une cohérence parfaites.
Jouer à Afterimage est semblable à déambuler dans une galerie d’art en s’immergeant totalement dans l’univers d’un peintre aux émotions contraires. Chaque fibre, chaque coup de pinceau est l’expression de son âme et, bien que certaines transitions semblent abruptes, toutes sont en réalité reliées par une émotion sous-jacente bien plus puissante.
Pour parfaire cette imagerie, le bestiaire est également criant de vie. Très diversifié, chaque monstre s’intègre parfaitement dans son environnement avec logique et cohérence.
Vous traversez une forêt ? Préparez-vous à affronter des ennemis faits de bois et jetant des bombes pestilentielles, des champignons et autres animaux sauvages. Vous explorez une ville ? Ce sont les vagabonds à la silhouette humaine qui se dresseront contre vous.
Mais que serait un jeu d’une telle qualité sans une bande-son parfaitement adaptée et sublimant votre progression ? Musicalement, Afterimage oscille entre tristesse et hargne, chaque thème étant parfaitement en concordance avec les autres et vibrant d’émotion.
Le doublage, intégralement en anglais, est encore une fois sans la moindre fausse note. Les voix des comédiens correspondent aux personnages, qu’ils soient principaux ou secondaires, et leurs inflexions tout comme leur jeu sont toujours justes.
Le metroidvania ultime ?
Jusqu’à présent, je vous ai parlé de ressenti, de vibration des sens et d’exultation des émotions. Mais il ne faudrait pas oublier qu’avant d’être une œuvre d’art, Afterimage est surtout un jeu vidéo se voulant d’un genre très codifié et disposant de bon nombre de concurrents de qualité.
Que l’on parle de Castlevania, de Metroid ou tout simplement de l’exceptionnel Death Gambit, le metroidvania est indubitablement une singularité dans le monde du jeu vidéo, constitué d’allers-retours, de compétences à débloquer et de combats d’anthologie.
Oubliez tout cela. Oubliez tout ce que vous croyez savoir et aimer du genre. Car Afterimage en est certes l’héritier, mais à l’instar de l’aurore suivant la nuit, il sublime les contours du genre, en tire le meilleur et l’élève vers des sommets jusqu’alors jamais atteints.
Au départ, tout semble assez commun : Renée dispose d’une attaque principale, d’un dash vers l’arrière pour esquiver et de la possibilité d’utiliser l’énergie accumulée dans les combats pour se soigner.
Bien vite cependant, toute l’ampleur du gameplay s’impose à vous. Votre héroïne répond parfaitement à la moindre de vos commandes, peut interrompre ses attaques et orienter son arme.
Vous avez le sentiment que chaque mouvement exécuté est précisément celui que vous demandez, que jamais vous ne perdrez à cause d’une imprécision de gameplay. Et c’est effectivement le cas.
Puis vous débloquez votre première compétence (le dash vers l’avant). Vous gagnez un niveau, découvrant alors le système d’amélioration lié aux points de talents, l’arbre de compétences attenant à cette mécanique, le menu des objets récupérables, les armes et armures, puis les réminiscences et les armes secondaires.
Et chaque progression, chaque apprentissage semble d’une logique imparable, sans besoin d’un long et fastidieux tutoriel. Tout au contraire, l’équipe d’Aurogon a fait le choix d’intégrer les apprentissages de manière interne à la découverte, via de simples fenêtres textuelles qui apparaîtront au gré de votre périple lorsque vous acquerrez de nouvelles fonctionnalités.
C’est simple, fluide, en ne brisant jamais l’immersion.
Renée peut donc utiliser plusieurs types d’armes très différentes, que ce soit une épée longue, une paire de dagues, un fouet, une faux ou encore un katana. Point d’armes à distance, sinon la magie qui fait d’énormes dégâts mais est soumise à une barre de mana bien faible. L’intelligence du titre vient, bien entendu, (j’en parle comme d’une évidence, alors que Afterimage innove totalement) du fait que chacune est très différente des autres et s’utilise d’une manière singulière.
L’épée longue est rapide et attaque devant elle, les dagues le sont plus encore et permettent des combos aériens dévastateurs mais vous exposent aux ennemis, la faux est ample et dispose d’une excellente portée mais s’avère relativement lente, le fouet permet d’attaquer de plus loin encore tout en augmentant le taux de critique à son extrémité. Vu qu’il est possible d’en équiper deux (chacune sur les touches X et Y), vous aurez tôt fait de découvrir vos préférences et de les utiliser en conséquence. Le bouton B, lui, permet d’utiliser la magie via des grimoires dissimulés dans le monde. De nouveau, ces sorts sont particulièrement puissants mais puisent énormément dans votre jauge de magie, vous contraignant à les réserver pour des situations particulièrement dangereuses, ou contre les boss.
Jusque-là, vous trouverez sans doute que j’exagère les qualités du titre ; car toutes ces fonctionnalités sont déjà présentes dans d’autres jeux du genre. Certes… mais je n’ai pas encore parlé des talents.
Lorsque Renée monte de niveau, elle obtient un point de talent. Ces derniers sont également récupérables via des cristaux que vous pouvez acheter auprès de certains vendeurs ou trouver lors de l’exploration. Et c’est via un arbre de compétences énorme qu’ils s’utilisent.
Chaque branche de ce dernier oriente Renée vers une spécialité, que ce soit des armes ou de la magie. Certains talents sont passifs et augmentent vos caractéristiques, d’autres vous permettent de débloquer des améliorations pour vos armes.
C’est alors que d’autres manières de jouer et d’appréhender vos équipements s’offrent à vous. Et ces compétences, bien que peu nombreuses, font évoluer logiquement et simplement le gameplay tout au long de l’aventure, sans jamais vous contraindre à vous souvenir de combinaisons inutilement complexes ni en vous bombardant d’informations disparates.
Car chacune de ces compétences est capée par le système de niveau. Il faudra donc se battre et progresser pour avoir la possibilité de les débloquer… Ce qui, très logiquement, signifie maîtriser les précédentes pour en apprendre de nouvelles.
Pour parfaire ce système, vous aurez également la possibilité de trouver (ou d’acheter) divers équipements. Les armures donnent ainsi des bonus spécifiques face à certains types de dégâts, les accessoires offrent d’autres possibilités de gameplay différentes.
Souvenez-vous de mon exemple ci-dessus concernant ce fameux marchand blessé. En le secourant, j’ai ainsi pu acheter une “dague flétrie”. Une fois équipé, cet accessoire restaure une partie de ma vie à chaque ennemi vaincu. En tuant un loup, vous aurez la possibilité de trouver un anneau augmentant de manière significative vos points de magie, et ainsi utiliser plus fréquemment vos sorts.
Une fois cette mécanique intégrée, il devient encore plus plaisant de partir explorer les coins les plus reculés de la carte afin d’en découvrir les secrets, mais également les équipements permettant de se composer un set parfaitement adapté à son propre style de jeu. Et c’est là que je vais vous parler du meilleur aspect d’Afterimage. Car oui, il y a encore mieux.
La maîtrise du level design
Qu’est-ce qui définit un metroidvania ? La réponse est évidente : le fait de débloquer des capacités secondaires afin de revenir dans d’anciens niveaux pour accéder à des zones jusque-là inaccessibles.
Double saut, dash, glissades… Les possibilités sont nombreuses pour permettre aux développeurs de vous fournir toutes les clés nécessaires à l’exploration. Et malgré tout, bien des titres – surtout indépendants – se cassent les dents sur cette partie.
Mais, et vous l’aurez compris, Afterimage la maîtrise avec une aisance déconcertante. Dès le tout début du jeu, vous passerez devant des endroits impossibles à atteindre, mais également des zones secrètes, des endroits destructibles ou encore des séquences de plateforme nécessitant une bonne maîtrise. Tout est agencé pour vous faire comprendre quelle compétence il faudra utiliser, si l’endroit est atteignable ou non à ce stade de votre progression, quelle récompense vous pourrez espérer glaner en revenant plus tard.
En débutant l’aventure, vous trouvez ainsi rapidement un coffre légèrement trop haut pour votre saut. Il semble donc logique que vous puissiez revenir avec un double saut.
Un peu plus loin, c’est une plateforme branlante qui vacille sous votre poids mais ne s’effondre pas. Une charge vers le sol est tout indiquée. Au-delà, c’est un dash qui semble nécessaire, puis une glissade, etc. Et systématiquement, vous voyez clairement ce qui vous attend : ces fameux coffres ronds renferment de l’équipement. L’intense lumière bleue indique la présence d’un point de compétence. La rose, d’un objet spécial sans doute lié à une quête.
Comme pour le reste, l’apprentissage est logique et se fait au prisme de vos découvertes, sans vous assaillir de tutoriels ni d’explications alambiquées. Malgré toutes ces entraves, Afterimage veut vous récompenser. Alors, il va mettre sur votre route des zones dissimulées mais logiques, des passages secrets, des plateformes atteignables avec des compétences que vous possédez déjà. Nul besoin d’une compétence pour atteindre ce coffre-ci, puisqu’il vous suffit de vous laisser tomber et d’utiliser une attaque pour ralentir votre chute. Là, un point de compétence. Mais pour l’atteindre, il vous faut soit disposer du double saut… soit tout simplement sauter sur les plateformes présentes bien au-dessus.
Avec une once de réflexion, bien des secrets peuvent s’offrir à vous dès le début de l’aventure, vous donnant immédiatement ce sentiment d’accomplissement, comme si vous étiez parvenu à déjouer les obstacles à la seule force de votre maîtrise du jeu. Mais non, loin de là. Car tout ceci avait été prévu par les développeurs depuis le début. Ils vous ont volontairement laissé diverses manières d’atteindre certains endroits, ont sciemment placé sur votre route des indices assez subtils pour vous inciter à tenter.
Et ce plaisir de l’exploration, de la découverte, vous poussera indubitablement à revenir à chaque fois que vous débloquerez une compétence spéciale… d’autant plus que ce n’est pas tout.
Car d’autres compétences, cette fois optionnelles, ont également été ajoutées au jeu. Ces dernières doivent être trouvées en explorant des zones annexes ou achetées auprès de certains personnages secondaires. Elles rendent alors certains passages plus simples (comme en supprimant le brouillard) et permettent une fois de plus d’accroître l’intérêt de l’exploration.
Mais que serait tout ceci sans un level design mirifique ? Eh bien, rassurez-vous : c’est ici le cas. Afterimage vous permet d’explorer sans jamais ressentir ce sentiment de redondance pourtant si fréquent dans les autres metroidvania, grâce à une maîtrise des décors qui donne le vertige tout en s’intégrant parfaitement au lore et au biome en question.
Dans la forêt, vous utiliserez les branches des arbres. Dans les ruines, ce sont des plateformes de pierres et des ascenseurs secrets. Dans les bois envahis de créatures intelligentes, ce sont les pièges qui vous permettront de vous en sortir et de progresser. Rien n’est laissé au hasard, et de nouvelles surprises vous attendent tout au long de votre progression.
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