En 2020, un modeste studio brésilien nommé Cadabra Games se lançait dans une aventure aussi audacieuse qu’hasardeuse : donner vie à Adore, un jeu de capture de monstres au concept hybride. Propulsé sur Steam en accès anticipé, le titre a vu son destin façonné par une communauté fidèle, jusqu’à se frayer un chemin vers les consoles.
Aujourd’hui, c’est sur Nintendo Switch que nous vous proposons de découvrir cette œuvre atypique, sortie officiellement le 3 août 2023 sous la bannière de l’éditeur QUByte Interactive. À l’heure où le genre du monster-catching semble inépuisable, Adore parvient-il à imposer sa propre voix, ou s’égare-t-il dans l’écho des tentatives passées ? La réponse se trouve peut-être dans les terres troublées de Gaterdrik…
Une intrigue en quête d’âme
Dans Adore, vous endossez le destin de Lukha, jeune Adoreur porteur d’un fardeau bien au-delà de sa compréhension. Marqué par l’essence de Draknar, dieu des créatures autrefois vénéré avant de sombrer dans l’oubli, Lukha se voit investi d’une double mission : ressusciter la divinité disparue et démêler les fils d’une antique conspiration. Une quête aux apparences grandioses, mais dont la portée narrative s’effrite au fil des heures.
Le périple de Lukha n’échappe jamais vraiment à la linéarité. Si les prémices laissent espérer une exploration profonde du monde de Gaterdrik et de ses croyances anciennes, la progression reste figée dans une succession d’objectifs sans souffle ni surprise. Pas l’ombre d’un retournement de situation marquant, pas le moindre vertige narratif : l’intrigue avance, inébranlable, sur des rails trop familiers, sans jamais éveiller une véritable tension dramatique.
D’autant que le jeu, entièrement en anglais, demande un effort constant pour en saisir les subtilités. Si le niveau de langue reste accessible, il n’en reste pas moins que l’univers de Adore, truffé de termes spécifiques et de créatures aux noms inventés, impose de mémoriser un vocabulaire dense et parfois hermétique. Pour les joueurs réfractaires à la langue de Shakespeare, l’expérience peut vite s’avérer laborieuse.
Ainsi, entre la légèreté du scénario et l’absence d’une localisation française, l’immersion dans cet univers mystique se révèle souvent compromise. Et l’on sent déjà poindre d’autres désillusions, plus structurelles encore…
Entre stratégie bridée et errances de design
Sous ses atours séduisants, Adore tente de réinventer le jeu de capture de monstres en y insufflant une approche en temps réel, bien éloignée des confrontations au tour par tour popularisées par ses aînés. Vous incarnez toujours Lukha, mais ici, chaque monstre, chaque affrontement, chaque capture se joue au cœur de l’action, exigeant de vous autant de réflexes que de sang-froid.
Loin des classiques sphères de capture, Adore introduit le concept de Particules, ressources précieuses et limitées, indispensables pour ajouter une créature à votre escouade. La mécanique se veut originale : chaque tentative nécessite de maintenir une pression constante sur votre Joy-Con dans une zone de capture instable, sous la menace permanente d’attaques ennemies. Le nombre de Particules, sévèrement restreint, impose une gestion méticuleuse de vos ambitions de collectionneur et renforce une tension permanente.
Sur le papier, cette approche aurait pu engendrer des confrontations haletantes. Mais dans les faits, plusieurs écueils viennent ternir l’expérience. La caméra isométrique imposée, mal adaptée au genre, nuit considérablement à la lisibilité des combats. Sur Nintendo Switch, surtout en mode portable, il devient difficile de distinguer les monstres, de repérer leurs comportements spécifiques ou d’identifier une créature rare avant qu’il ne soit trop tard. Cette contrainte visuelle, jamais compensée par une interface plus claire, plonge l’exploration dans une monotonie visuelle qui finit par étouffer la curiosité.
La structure même du jeu, organisée en missions roguelite, renforce cette impression d’enfermement. À travers un simple portail, vous choisissez votre prochaine expédition, limitée à quelques objectifs répétitifs : exterminer des créatures, collecter un artefact, traquer un monstre légendaire. Les zones, générées de manière aléatoire, peinent à masquer la répétitivité criante des environnements et l’absence presque totale de surprises ou de secrets cachés.
Pour tenter d’insuffler du rythme, les développeurs ont introduit une téléportation rapide entre les différentes zones au sein d’une même mission. Un aveu à peine dissimulé de la vacuité de certains espaces, incapables de nourrir l’exploration autrement que par l’accumulation d’ennemis sans relief.
Pourtant, au milieu de ce schéma désenchanté, quelques fulgurances émergent. La limitation stricte des Particules offre une tension palpable lors des missions de capture, et la possibilité d’assembler une équipe de créatures aux capacités variées, en déployant jusqu’à deux monstres simultanément, vient dynamiser les affrontements. Le système de synergies, permettant d’attribuer des effets secondaires aux membres de votre équipe, ajoute une couche de personnalisation appréciable, bien que trop souvent réduite à la course aux dégâts bruts.
Malheureusement, faute de nécessiter de véritables stratégies de combat — la force brute primant sur toute subtilité —, le potentiel tactique d’Adore s’érode rapidement, laissant au joueur le sentiment amer d’une répétition sans enjeu.
Des créatures fascinantes perdues dans un monde sans éclat
Visuellement, Adore avance un paradoxe troublant. Sur le papier, le jeu possède des atouts réels : le design des monstres frappe par son inventivité, les illustrations statiques bénéficient d’un soin artistique manifeste, et l’identité visuelle, souvent portée par de superbes artworks, laissait augurer d’une plongée vibrante au cœur de Gaterdrik.
Mais dès que l’on prend en main l’aventure, la magie s’évapore. La caméra isométrique écrase la perspective, déformant la perception des environnements et réduisant la faune bariolée du jeu à de simples silhouettes difficilement identifiables. Sur Nintendo Switch, notamment en mode portable, ce choix artistique maladroit devient un véritable handicap, où repérer un monstre rare tient davantage du miracle que de l’observation méthodique.
L’univers d’Adore ne parvient jamais à instaurer ce souffle d’exotisme et de mystère que l’on attendrait d’un jeu de chasse fantastique. Cinq biomes seulement, tous redondants dans leurs motifs et leurs teintes, se succèdent sans véritable rupture esthétique. Aucun contraste marqué entre les différentes régions, aucun décor marquant pour jalonner votre périple : Gaterdrik devient rapidement un fond interchangeable, vidé de son pouvoir évocateur.
Côté bande-son, le constat est tout aussi mitigé. Les musiques, discrètes et génériques, peinent à insuffler l’énergie ou l’émotion nécessaires à l’exploration. Aucun thème mémorable ne vient imprégner les moments forts, aucun éclat sonore ne souligne les captures rares ou les affrontements cruciaux. Les bruitages, quant à eux, remplissent leur fonction sans éclat particulier, renforçant l’impression d’une production sage, presque timorée.
Enfin, l’absence de doublages vocaux renforce la distance émotionnelle avec l’univers de Adore. Le jeu, déjà peu loquace, se prive ainsi d’une dimension d’incarnation qui aurait pu insuffler un peu d’âme aux échanges et renforcer l’attachement à l’histoire de Lukha.
Adore aurait pu être un monde à contempler avec émerveillement. Il n’est, hélas, qu’une succession de zones fonctionnelles, portées par un souffle artistique qui, malgré de beaux éclats de design, finit par s’éteindre avant même d’avoir embrasé l’imaginaire.
Sous les oripeaux du roguelite
Derrière sa façade colorée et ses créatures au design léché, Adore cache une ossature technique plus fragile qu’il n’y paraît. Pensé comme un roguelite léger, le titre de Cadabra Games adopte une structure segmentée où chaque mission devient un îlot déconnecté, accessible depuis un simple portail. Si cette approche favorise des sessions de jeu courtes, parfaitement adaptées à la Nintendo Switch en mode nomade, elle trahit également une pauvreté systémique qui finit par miner l’expérience.
La liberté promise par le choix des missions est purement illusoire. Les objectifs, limités à quelques variations banales (exterminer, collecter, capturer), se répètent sans cesse, piégeant rapidement le joueur dans un cycle de routine mécanique où seul l’intérêt pour les créatures à capturer parvient, par instants, à raviver l’attention.
Le manque de variété dans les environnements, déjà souligné par la pauvreté visuelle, trouve ici une résonance plus cruelle encore. La génération aléatoire des cartes n’apporte qu’un semblant de diversité : les différences entre deux niveaux tiennent davantage de l’anecdote que de la véritable surprise. L’exploration, privée d’objets cachés, de trésors ou même de chemins alternatifs, devient un exercice purement utilitaire, privé d’enjeu, d’émerveillement ou de curiosité.
Face à cette vacuité, les développeurs ont tenté d’introduire quelques mécanismes d’ajustement, comme la possibilité de se téléporter rapidement entre les zones d’une mission pour éviter des trajets fastidieux. Une rustine bienvenue, mais qui souligne surtout l’absence de contenu à découvrir entre les points d’intérêt.
Enfin, si les mécaniques de capture et de combat disposent d’idées séduisantes — gestion limitée des Particules, invocations stratégiques des monstres —, elles ne suffisent pas à compenser l’usure rapide du gameplay, prisonnier d’un manque de renouvellement évident. Même la personnalisation via les synergies, pourtant prometteuse, s’essouffle faute d’une véritable diversité d’effets et de stratégies viables.
Au fond, Adore donne parfois l’impression d’une promesse non tenue : celle d’un monde riche et palpitant, où la chasse aurait été un art subtil et gratifiant. À la place, le joueur se retrouve à arpenter en boucle des couloirs dépeuplés, poursuivant des objectifs mécaniques dans un univers qui, malgré quelques éclats d’inventivité, peine à justifier ses propres ambitions.
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