Absurdika: Rebuild, développé par Denis Lutsenko et sorti sur Nintendo Switch le 8 mai 2025, est un jeu de plateforme 2D au couteau entre les dents. Ni fable contemplative ni errance arty, il choisit la violence frontale de l’absurde, l’excès comme seul refuge dans un monde qui ne pardonne rien.
Reboot d’un jeu sorti dans l’anonymat en 2021, cette version Switch ne corrige pas le passé. Elle l’amplifie. Vous incarnez un homme piégé dans sa propre mémoire, armé d’une tronçonneuse et d’une culpabilité à peine maquillée. Dix niveaux, une poignée de phrases laconiques, et un enfer monochrome à reconstruire par le sang.
Mais derrière la crudité de son trait et la brutalité de son gameplay, Absurdika: Rebuild a-t-il encore quelque chose à dire… ou n’est-il que le dernier spasme d’un cauchemar pixelisé qui se prend pour une catharsis ?
Un démon sans nom dans un monde sans cause
L’histoire de Absurdika: Rebuild ne se raconte pas. Elle se broie. Vous n’avez ni nom, ni foyer, ni mission claire. Seulement un homme, une tronçonneuse, et une suite de visions taillées à la serpe. Chaque niveau est un éclat de mémoire brisé, un théâtre mental où s’affrontent la peur, la honte, la résignation. Aucun dialogue. Aucune explication. Le jeu ne vous prend pas la main : il vous l’arrache.
L’introduction vous montre un quotidien banal — maison, routine, lumière crue — puis tout explose. Un flash blanc, un bruit sourd, et le décor bascule. Dès lors, chaque tableau devient une allégorie sanglante : escaliers sans fin, labyrinthes mouvants, monstres grotesques. Vous êtes dans l’esprit du protagoniste, mais il n’y a pas de clé. Seulement des murs.
La seule figure persistante, c’est ce démon. Présent dans les arrière-plans, parfois dans des éclats de dialogues laconiques, il représente votre double, votre juge, votre dernier souvenir. Il ne parle pas pour expliquer. Il accuse. Il se tient entre vous et la sortie. Entre vous et la reconstruction de ce monde qui, peut-être, n’a jamais existé.
Mais Absurdika refuse le drame explicatif. Pas de trauma surligné, pas de confession en fin de partie. Le jeu ose ne rien dire, pour mieux laisser deviner. C’est un cauchemar, pas un scénario. Une pulsion, pas une trame. Et dans cette sécheresse, il parvient à créer une forme de tension rare : celle du joueur face à ce qu’il ne comprendra jamais vraiment.
Marcher sur des clous, sauter dans le vide
Absurdika: Rebuild n’est pas un jeu de plateforme. C’est un test de résistance. Chaque niveau est une mécanique hostile, construite pour broyer vos nerfs et piétiner vos réflexes. Vous sautez, vous meurez. Vous recommencez, vous échouez. Et parfois, par épuisement ou miracle, vous passez. Il ne s’agit pas d’avancer. Il s’agit de survivre à une boucle punitive, jusqu’à la rupture.
La physique est volontairement approximative. Le personnage glisse, chute, rebondit mal. Les plateformes sont étroites, les pièges instantanés, les timings d’un sadisme millimétré. Les déplacements tiennent plus du supplice que de la chorégraphie. Et pourtant, c’est cette cruauté systémique qui définit l’expérience : le gameplay n’est pas imparfait par accident, il l’est par dogme.
La structure des niveaux repose sur un enchaînement linéaire de tableaux, chacun pensé comme un piège fermé. Pas d’exploration, pas de secrets, pas de respiration. On saute, on meurt, on recommence. La seule mécanique secondaire — la tronçonneuse — permet d’ouvrir certaines zones, de trancher des murs organiques, ou de terrasser quelques ennemis grotesques. Mais elle ne donne aucun pouvoir réel. Ce n’est pas une arme. C’est un acte.
Les checkpoints sont rares. Les erreurs, irréparables. Les animations, minimales. L’ensemble évoque un Super Meat Boy vidé de son humour et gonflé à la bile. C’est sale. C’est court. C’est brutal. Mais chaque séquence s’imprime dans le muscle : non pas parce qu’elle est fluide, mais parce qu’elle résiste.
On ne peut pas parler de level design au sens classique. Il n’y a pas de variation de rythme, pas de montée en intensité. Seulement un couloir de douleur, avec quelques éclats de fulgurance : un écran renversé sans avertissement, une inversion des commandes à mi-parcours, un clone agressif qui vous suit à la trace. Absurdika ne conçoit pas ses niveaux comme des puzzles, mais comme des obstacles.
Noir d’encre, rouge de faute
Visuellement, Absurdika: Rebuild frappe par sa sécheresse. Aucun décor, aucune profondeur, aucun ornement. Le jeu se compose de silhouettes noires, de fonds blancs crayeux et de quelques éclats rouges. Pas de textures. Pas de perspective. Seulement des formes tranchantes, comme découpées au cutter dans du papier sale. C’est brutal, volontairement moche, et parfois presque sublime dans son refus de séduire.
Chaque élément graphique semble avoir été dessiné à la main, puis digitalisé sans correction. Les animations sont minimales : une marche rigide, des sauts imprécis, des morts sèches. L’ensemble évoque une bande dessinée de gare traversée sous psychotropes. Certains ennemis — figures distordues aux membres trop longs — imposent un malaise visuel réel. D’autres sombrent dans l’abstraction totale : simples masses mouvantes, sans contours, sans lisibilité. Il ne s’agit pas de comprendre. Il s’agit de subir.
La mise en scène est inexistante. Pas de cinématiques. Pas de scripts. Seulement des textes brefs, posés sans emphase, comme des souvenirs mal rangés. Mais à travers cette rigueur graphique, le jeu affirme une esthétique : celle du rejet, de la dissonance, de l’anti-système. Absurdika ne veut pas être beau. Il veut être sale. Il veut coller.
Côté sonore, même logique de dépouillement. Pas de musique orchestrale, pas de bande-son continue. Un thème dissonant vous accueille au menu principal — une boucle électronique stridente — puis le silence. Pendant le jeu, seules quelques notes distordues apparaissent, au gré des niveaux : piano désaccordé, vrombissements électroniques, cris étouffés. Ce ne sont pas des musiques. Ce sont des intrusions.
Les bruitages, eux, sont précis. Chaque mort claque. Chaque saut produit un choc sec. La tronçonneuse, grinçante, lacère plus les tympans que les murs. Le mixage est brutal : certains sons saturent volontairement, d’autres semblent compressés à l’extrême. L’ensemble n’est pas immersif. Il est agressif.
Et c’est là que réside la force de Absurdika: sa direction artistique ne cherche pas la cohérence. Elle cherche l’impact. À coups de noir, de rouge et de cris sourds, le jeu impose un langage visuel et sonore qui ne ressemble à rien d’autre — parce qu’il refuse d’être reconnu.
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