Disponible depuis octobre 2020 sur Nintendo Switch, 9th Dawn III: Shadow of Erthil est un RPG indépendant développé par Valorware, un studio derrière lequel se cache en réalité un seul homme. À l’heure où les superproductions dominent le paysage vidéoludique, ce titre discret, vendu une quinzaine d’euros, continue de passer sous les radars, éclipsé par les géants du genre.
Pourtant, sous ses dehors modestes et ses atours graphiques rudimentaires, 9th Dawn III dissimule l’une des expériences de jeu de rôle les plus vastes, les plus riches, et les plus sincères de ces dernières années. Un jeu de cœur, taillé pour ceux qui savent voir au-delà de l’apparence, et qui osent se perdre sans autre horizon que la promesse d’un monde cohérent et vivant.
Car parfois, les plus grandes aventures naissent dans les endroits les plus inattendus.
Le souffle ancien d’un monde oublié
Dans 9th Dawn III: Shadow of Erthil, vous incarnez un héros anonyme, issu d’un village paisible et sans histoire, brutalement plongé dans une spirale de prophéties anciennes, de guerres intestines et de forces malfaisantes millénaires. Sous cette trame classique se cache un univers d’une richesse insoupçonnée, porté par une écriture humble mais diablement efficace.
Loin des récits linéaires habituels, 9th Dawn III déploie trois strates de narration entremêlées : l’histoire personnelle de votre avatar, le destin tourmenté du royaume en proie aux luttes de pouvoir, et les innombrables récits épars glanés au gré des rencontres, des parchemins oubliés, et des ruines silencieuses. Chaque zone explorée, du moindre donjon isolé à la plus modeste bourgade, est porteuse d’un fragment d’histoire qui vient enrichir l’ensemble, conférant au monde d’Erthil une cohérence organique rarement atteinte.
Le véritable exploit de 9th Dawn III réside dans cette capacité à transformer l’exploration en narration implicite. Ici, pas besoin d’interminables cinématiques ni de dialogues lourds ; le décor lui-même raconte. Une épave échouée, un temple dévasté, un message gravé dans une pierre moussue : tout contribue à faire exister ce monde en dehors du regard du joueur.
Seul vrai écueil : l’absence de traduction française, qui rend l’immense quantité de textes — dialogues, livres, journaux, quêtes — parfois difficilement accessible pour les non-anglophones. Un regret tant la qualité d’écriture, discrète mais omniprésente, participe pleinement à l’ivresse de la découverte.
9th Dawn III est ainsi un chant silencieux, une ode aux mondes perdus que seuls les explorateurs les plus patients sauront véritablement entendre.
La liberté absolue au prix du chaos
9th Dawn III: Shadow of Erthil offre au joueur une liberté presque totale, rare même dans les standards du RPG indépendant. Dès les premières minutes, le jeu vous place face à un choix : suivre le chemin tracé du didacticiel, ou vous en détourner pour vous perdre volontairement dans un donjon tentaculaire regorgeant de secrets, de dangers et de mystères. Et ce premier contact n’est qu’un avant-goût.
L’exploration devient rapidement le cœur battant de l’expérience. Chaque région du monde est truffée de zones cachées, de passages dérobés, de boss optionnels, et de quêtes annexes profondément liées à la cohérence du monde. Le level design, d’apparence rustique, révèle une profondeur insoupçonnée, où l’errance n’est jamais vaine, mais toujours récompensée par la découverte ou l’émerveillement.
Le gameplay, quant à lui, est aussi atypique qu’exigeant. Les déplacements s’effectuent à l’analogique gauche, tandis que l’attaque repose entièrement sur l’orientation du stick droit. Un système qui, bien qu’original, impose une maîtrise fine et révèle ses limites dans les affrontements à distance, où l’absence d’assistance au tir rend chaque flèche, chaque carreau, un exercice d’anticipation nerveuse.
À cette base singulière viennent s’ajouter une multitude de mécaniques annexes : apprivoisement de monstres pour le combat, pêche, minage, cuisine, alchimie… Chaque activité repose sur des mini-jeux simples mais addictifs, invitant le joueur à s’investir dans un monde vivant et foisonnant.
Mais 9th Dawn III ne s’arrête pas là. Son système de jeu de cartes, le Fyued, introduit un jeu dans le jeu d’une richesse surprenante, avec près de 180 cartes à collectionner et des duels possibles contre presque tous les PNJ du monde.
Face à cette abondance, le seul véritable écueil est une prise en main initiale déroutante, un système de combat parfois approximatif, et une courbe d’apprentissage raide, surtout pour ceux peu familiers avec des mécaniques aussi brutes.
Pourtant, derrière cette rudesse, 9th Dawn III propose l’une des expériences de jeu les plus immersives et chronophages qu’un amateur d’exploration puisse espérer trouver.
Les trésors ensevelis sous la laideur
À première vue, 9th Dawn III: Shadow of Erthil repousse plus qu’il n’attire. Ses graphismes, dessinés à la main et animés sur deux maigres frames, confèrent aux personnages et aux environnements un aspect artisanal rudimentaire, presque grossier, où chaque mouvement rappelle le bruissement d’une feuille de papier retournée.
Visuellement, le jeu oscille constamment entre le maladroit et l’affreux. Les proportions étranges, les animations saccadées, la palette de couleurs criarde ou ternie selon les zones… tout semble crier l’amateurisme d’un développeur solitaire, dépassé par l’ampleur de son ambition graphique.
Et pourtant, au-delà de cette laideur assumée, 9th Dawn III parvient à tisser une atmosphère unique. Chaque donjon, chaque recoin du royaume possède sa propre identité, dessinée à la main avec une sincérité palpable. L’environnement, bien que rugueux, devient au fil des heures un compagnon fidèle, familier, presque attachant. Les défauts visuels se transforment en marques d’une œuvre profondément humaine, forgée dans la passion brute plutôt que dans le polissage clinique.
Côté sonore, 9th Dawn III fait preuve d’une retenue notable. Les musiques d’ambiance, souvent discrètes, viennent habiller l’exploration sans chercher à la dominer. Si les thèmes musicaux restent assez génériques et peinent à marquer durablement la mémoire, ils soutiennent efficacement la solitude et l’ampleur de l’aventure.
Quant aux bruitages, rudimentaires eux aussi, ils remplissent leur office sans éclat ni réel désagrément, participant à ce sentiment général de minimalisme fonctionnel.
Dans un monde vidéoludique où l’apparence prime souvent sur l’essence, 9th Dawn III rappelle que la beauté véritable peut parfois naître sous les oripeaux les plus improbables.
L’éternité nichée dans les interstices de l’aventure
9th Dawn III: Shadow of Erthil n’est pas seulement vaste ; il est inépuisable. À une campagne principale déjà monumentale viennent s’ajouter des couches de contenu secondaire qui repoussent sans cesse les limites du jeu indépendant.
Le mode campagne, riche de centaines d’heures pour qui souhaite explorer chaque recoin, s’accompagne de multiples options de rejouabilité. Le mode « Hard » intensifie la brutalité des combats ; le mode « Permadeath » impose une tension constante où la moindre erreur peut anéantir des dizaines d’heures de progression ; et enfin, le mode « Speedrun » retire toutes les aides pour offrir une expérience dépouillée, destinée aux plus aguerris.
Mais l’ajout le plus spectaculaire reste le mode Roguelike, véritable jeu dans le jeu, où des donjons générés aléatoirement défient le joueur dans une course effrénée vers la survie, en exploitant uniquement les ressources dénichées en chemin. Une variation bienvenue qui renouvelle totalement l’approche classique de l’exploration méthodique.
Et tout cela, rappelons-le, offert gratuitement au fil des mises à jour, preuve d’une générosité rare et d’un respect profond pour la communauté.
À ces dimensions mécaniques s’ajoute un multijoueur local, permettant de partager cette épopée titanesque avec un allié de fortune, ajoutant encore une couche de camaraderie à un monde déjà profondément vivant.
9th Dawn III réussit ainsi ce tour de force : faire de l’infini un compagnon de route, un appel constant à l’exploration, au défi, à l’apprentissage, sans jamais céder aux artifices vides qui parasitent tant de RPG modernes.
Dans l’ombre discrète de son esthétique fruste, il offre l’expérience rare d’une vie d’aventure, sincère, exigeante, et viscéralement humaine.
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