En 2018, 20XX surgissait comme un éclat de lumière bleutée dans le ciel saturé des roguelites. Fils spirituel de Mega Man X autant que manifeste de l’indépendance créative, le jeu de Batterystaple Games s’était taillé une place de choix dans le cœur des amateurs de challenge et de précision. Mais il portait encore les stigmates d’une ambition bridée : une esthétique enfantine, une narration anecdotique, quelques scories de jeunesse.
Cinq ans plus tard, 30XX débarque sur Nintendo Switch tel un messager venu d’un futur meilleur. Non pas pour tout réinventer, mais pour parfaire ce qui méritait encore d’être poli, sublimer ce qui avait été effleuré. Nouvelle direction artistique, gameplay affiné jusqu’à l’obsession, contenu démultiplié, et même un récit tissé avec un soin inattendu pour le genre.
Le pixel vibre, l’acier chante sous vos coups, et la promesse de 20XX renaît, enfin tenue. Mais 30XX est-il seulement l’héritier qu’on espérait ? Ou bien est-il devenu le nouveau maître du temple, là où tant d’autres n’ont été que disciples imparfaits ?
Sous les pixels, les cicatrices de l’humanité déchue
Si 20XX se contentait de murmurer son récit entre deux écrans de chargement, 30XX ose donner une voix, un visage et une mémoire à ses héros. Dès les premières secondes, vous êtes happés dans un prologue saisissant : Ace, le combattant d’élite, traverse un monde en ruine, à la recherche d’une captive dont le sort semble lier bien plus que son propre destin. Mais là où l’on attendrait la libération triomphante, survient l’échec brutal, l’affrontement impossible, la défaite implacable.
C’est dans cette chute initiale que tout se joue. Le monde de 30XX n’est pas une terre de conquête : c’est une blessure béante, une mosaïque éclatée d’univers parallèles où la survie est un acte de foi. Nina, délivrée contre toute attente par la mystérieuse antagoniste, rejoint la résistance silencieuse d’une Arche flottante, repaire d’âmes perdues et de combattants épuisés. Ici, plus de manichéisme naïf : les alliés doutent, les ennemis questionnent, et les murs de l’Arche résonnent des non-dits et des regrets.
Les dialogues, sobres mais ciselés, tissent une toile de nuances, esquissant les contours d’un conflit où le Bien n’est plus une évidence, et où chaque rencontre semble chargée d’une lourde mélancolie. Ace n’est pas un sauveur. Nina n’est pas une princesse passive. Tous deux portent en eux le poids des choix impossibles, des serments trahis, des espoirs à reconstruire.
La traduction française, particulièrement soignée, ose parfois des envolées poétiques inattendues, donnant aux échanges une texture émotionnelle rare pour un roguelite d’action-plateforme. Sans jamais ralentir le rythme, le récit de 30XX accompagne chaque saut, chaque combat, comme une lame d’ombre planant sur l’épopée lumineuse.
Non, ce n’est pas un roman fleuve. Mais c’est un récit qui sait quand parler… et surtout quand se taire.
Quand le mouvement devient une danse gravée dans l’acier
Dans 30XX, le gameplay n’est pas un simple véhicule pour l’action. Il est l’action elle-même, sublimée, magnifiée, épurée. Là où 20XX frôlait déjà l’excellence, cette suite pulvérise les derniers obstacles par une refonte minutieuse, quasi chirurgicale, de ses sensations.
Chaque saut est une promesse tenue, chaque dash une évasion millimétrée, chaque coup une respiration offensive. L’ajout phare — la charge automatique héritée des épisodes ZX — transforme le maniement de Nina et d’Ace en un ballet nerveux, où la fluidité prime sur l’effort. Fini d’écraser frénétiquement les gâchettes : le jeu vous autorise à penser au mouvement, à l’espace, à la lecture des patterns, plutôt qu’à votre propre dextérité digitale.
Le bestiaire, presque entièrement renouvelé, regorge de créatures grotesques et élégantes, véritables partitions mouvantes que votre instinct devra déchiffrer. Quant aux boss, ils n’ont plus rien des figures classiques du genre : ils imposent désormais des affrontements chorégraphiés, des séquences où l’échec est souvent le prix d’une inattention minuscule.
Le level design, repensé autour d’une génération semi-aléatoire intelligente, parvient au miracle de concilier imprévisibilité et cohérence. Chaque biome, qu’il s’agisse de cités ruisselantes de néons, de jardins mécaniques ou de gouffres cristallins, propose des variations de gameplay d’une finesse inattendue : plateformes activables, ascenseurs piégés, niveaux aquatiques aux mécaniques inversées, salles de réflexion tactique…
À l’intérieur de ces mondes changeants, les Défis de Gloire redéfinissent eux aussi l’exigence. Fini les courses contre la montre : place à des épreuves de perfection pure, où la moindre éraflure vous prive de votre récompense. Et dans l’ombre, toujours, rôde Delta, cet androïde implacable qui vous propose des pactes infernaux, ou des duels d’une brutalité rare pour ceux qui osent le défier.
Chaque amélioration est pensée, calibrée, polie. Pas une mécanique n’est superflue. 30XX est un hommage à la vitesse, au rythme et à la maîtrise ; un jeu qui vous demande de danser avec lui, non de le dominer par la force.
Quand la nostalgie pixelisée s’enlace au souffle du futur
Oubliez les rondeurs enfantines de 20XX ; 30XX embrasse son héritage avec une majesté retrouvée. Visuellement, c’est un monde où le pixel n’est plus une contrainte technique mais un choix artistique revendiqué, magnifié par une direction qui tutoie les hauteurs de l’élégance néo-rétro.
Chaque sprite, chaque arrière-plan, chaque effet de lumière semble ciselé avec une délicatesse d’orfèvre. Les armures rutilantes d’Ace, les vagues énergétiques de Nina, les éclats cristallins des niveaux souterrains, tout respire la maîtrise graphique d’une équipe qui a compris que la nostalgie n’exigeait pas la simplicité, mais l’authenticité.
Les environnements, eux, explosent en biomes distincts, où chaque texture raconte une histoire silencieuse : jungles biotechnologiques, cathédrales mécaniques, ruines fractales suspendues dans le vide… Aucun monde n’est un simple décor : ils sont des écosystèmes vivants, imprégnés d’une identité visuelle propre, nourrie par des palettes audacieuses et des animations organiques.
Les quelques cinématiques, bien que succinctes, achèvent de parfaire cet univers : courtes, poignantes, viscérales, elles renforcent cette impression d’être à la fois acteur et témoin d’une épopée vouée à la disparition.
Côté bande-son, 30XX frappe avec la même précision. La musique, composée par Brandon “Cityfires” Ellis, oscille entre réminiscences électro-chiptune et envolées synthétiques modernes. Chaque niveau pulse sous les nappes d’une partition mélancolique, où les sonorités des vieilles consoles s’enlacent aux battements électroniques d’une ère perdue. Ce n’est pas une simple bande-son rétro : c’est une élégie du pixel, un hommage vibrant aux bandes originales des années 90, transcendé par une production contemporaine.
Le sound design suit cette ligne de crête : sec, précis, jamais intrusif. Les impacts résonnent comme des promesses fracassées, les alarmes hurlent leur détresse mécanique, et le silence, parfois, pèse plus lourd que mille notes.
30XX n’est pas qu’un jeu beau à voir ou à écouter. C’est une relique moderne, un témoignage vivant du fait que le pixel art, lorsqu’il est porté par une passion authentique, peut encore frapper droit au cœur.
Quand l’excellence ne se contente plus d’un seul chemin
Sur Nintendo Switch, 30XX brille par une stabilité sans faille. Le framerate reste solidement ancré à 60 images par seconde, même dans les séquences les plus denses, où les effets visuels se multiplient comme autant de feux d’artifice numériques. L’affichage est limpide, sans le moindre accroc, que vous jouiez en mode docké ou portable. La fluidité devient ici un vecteur naturel de l’immersion, au service du rythme effréné du gameplay.
L’ergonomie générale a également connu une refonte salutaire. L’interface, entièrement modernisée, offre une lecture claire des statistiques et des modules d’amélioration, même si l’on peut regretter, avec un brin de nostalgie, la disparition de l’affichage visuel des équipements sur le modèle du personnage. Les menus restent sobres, réactifs, sans surcharge inutile.
Le contenu, lui, explose dans toutes les directions. 30XX propose deux expériences parallèles : d’un côté, le mode Roguelite traditionnel, où chaque mort vous ramène au hub central ; de l’autre, un mode Mega Mode, plus proche de l’action-plateforme classique, où chaque niveau vaincu devient un point de sauvegarde, permettant de recommencer sans tout perdre. Cette double approche respecte à la fois les puristes du roguelite et les amateurs de progression méthodique.
Mieux encore, 30XX ouvre grand ses portes à la communauté grâce à un éditeur de niveaux intégré, accessible et déjà foisonnant. Des créations en pagaille, allant de simples arènes de défis à de véritables micro-Metroidvania, permettent de renouveler l’expérience indéfiniment. Un choix brillant, qui donne au jeu une longévité potentiellement infinie.
Enfin, la coopération locale, déjà saluée dans 20XX, fait son retour sans faiblir. Partager une run avec un partenaire sur le canapé reste une source de chaos joyeux et de coordination exaltante, rappelant ce que le jeu vidéo peut offrir de plus simple et de plus pur.
30XX est un coffre au trésor où chaque recoin, chaque mode, chaque défi semble forgé pour durer. Un jeu qui refuse l’érosion du temps, en multipliant ses chemins, sans jamais trahir son cœur.
0 commentaires