Publié le 22 octobre 2025 aux éditions Mangetsu, « Froid Glacial » rassemble huit nouvelles du maître du manga d’horreur Junji Itō. 400 pages de cauchemars, de détails horrifiques et de bizarreries visuelles.
Chaque histoire y explore une facette différente du malaise : un nouvel élève aux pouvoirs troublants dans un club paranormal, des canalisations qui s’ouvrent sur l’agonie, des fruits gorgés de sang, des ballons à visages humains flottant comme des spectres…
Mais au-delà de l’effet gore, Itō revient à l’essentiel ; et c’est soudain le cœur qui se glace.
Les visages du cauchemar
Comme souvent chez Junji Itō, Froid Glacial ne suit pas une histoire unique mais une série de variations sur la peur. Huit récits, huit formes d’angoisse, reliés par un même sentiment d’étouffement. Ici, l’horreur ne vient jamais du monstre, mais de ce qu’il réveille en nous : la fascination, la culpabilité, la honte, l’obsession.
Chaque nouvelle se déploie comme une dissection minutieuse du quotidien. Un élève rejoint un club d’occultisme et découvre que la réalité a cessé d’obéir à la logique ; une maison perdue dans la neige devient le théâtre d’une solitude glaciale ; des fruits, suintants et charnels, transforment leurs cueilleurs en spectres avides. Rien n’est spectaculaire : tout est dérangeant. Itō n’explique jamais, il montre. Ses récits s’ouvrent sur un détail, un désordre presque banal, et finissent par basculer dans l’insoutenable sans qu’on sache exactement quand le cauchemar a commencé.
Les personnages obéissent à la mécanique propre à son œuvre : des anonymes pris dans des situations qu’ils ne comprennent pas, condamnés à observer leur propre perte. L’auteur ne cherche jamais à créer l’empathie, il capture la fragilité. Tous ces visages effrayés, figés dans un cri muet, deviennent autant de miroirs du lecteur. Froid Glacial fonctionne ainsi comme une galerie de portraits hantés : des gens ordinaires, que le fantastique ne sauve pas, mais déforme.
On retrouve ici la précision narrative d’Itō : une manière de faire naître la terreur dans le détail du geste ou de l’expression. Une porte entrouverte, un regard vide, une ombre trop longue suffisent à faire vaciller la réalité. L’horreur devient une lente contamination, d’abord psychologique, puis physique. Les métamorphoses, récurrentes, traduisent une idée simple mais obsédante : dans l’univers d’Itō, tout corps est une prison qui finit toujours par se fissurer.
Mais derrière la monstruosité, il y a un ton presque mélancolique. Froid Glacial n’est pas une explosion de peur, c’est une descente en température. Les personnages ne luttent pas, ils se laissent glisser. L’auteur, lui, ne cherche pas à effrayer mais à dérégler. C’est ce calme, cette distance clinique, qui donne au recueil sa force : une horreur sans cri, sans rythme imposé, où la glace fond lentement sous la peau.
Le dessin comme instrument du froid
Dans Froid Glacial, Junji Itō renoue avec ce qui fait la signature de son œuvre : un art du découpage chirurgical, où chaque plan, chaque trait, chaque silence devient une arme. Le rythme n’est jamais celui du cri, mais de la rétention. Tout repose sur la maîtrise du temps visuel : un enchaînement lent, méthodique, presque hypnotique, où la peur naît du décalage entre la fixité du dessin et la menace invisible.
Le mangaka use du contraste comme d’une lame. Les pages alternent entre des compositions d’un calme absolu et des surgissements de déformation totale : visages éclatés, corps étirés, textures organiques qui semblent respirer. Itō ne cherche pas la beauté, il cherche la dissonance. Les pleins et les vides, les blancs immaculés et les aplats d’encre noire construisent un espace qui étouffe le lecteur. On a froid, littéralement.
Son trait, d’une précision clinique, s’attarde sur les détails les plus triviaux : la neige qui fond, la buée sur un carreau, un filament de salive ou la texture d’une peau. Ces détails, à force d’insistance, deviennent inquiétants. Le monde d’Itō est trop réel pour être stable. Le dessin lui-même semble contaminé ; il se déforme à mesure que l’histoire progresse, comme si la page refusait de contenir l’horreur qu’elle engendre.
Le découpage joue sur la tension du regard. Les plans rapprochés s’enchaînent jusqu’à l’étouffement, puis une case large vient soudain relâcher la pression, révélant une scène d’horreur figée dans le silence. Ce va-et-vient entre proximité et distance donne à chaque chapitre une respiration glaciale : on retient son souffle sans s’en rendre compte.
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