Il y a des RPG qui avancent à pas mesurés, rappelant l’âge d’or des batailles au tour par tour, et Astral Takers en fait partie. Kemco, fidèle à son héritage, ressuscite ici une formule classique : des combats tactiques où chaque action est pesée, des héros fragiles propulsés au cœur d’un monde fissuré, et une magie qui ne se contente pas d’orner le décor, mais devient la clef de toute survie.
Au centre, Revyse, jeune invocateur encore hésitant, et Aurora, silhouette amnésique dont le destin reste voilé. Leur quête n’est pas seulement une traversée de continents : elle est une marche vers la mémoire, la vérité et l’acceptation d’un pouvoir qui dépasse l’individu. Autour d’eux, les Échostones, fragments d’un passé ancien, permettent de convoquer alliés et esprits, bâtissant une équipe qui change à chaque souffle, à chaque menace.
Mais derrière les invocations et les artefacts, une interrogation subsiste : ce retour aux fondations du JRPG est-il une simple nostalgie mise en scène, ou parvient-il à retrouver la densité et le vertige qui faisaient la force de ses ancêtres ?
Fragments de mémoire et visages invoqués
Le récit d’Astral Takers s’ouvre sur une faille. Revyse, apprenti invocateur, n’est pas encore maître de son art, mais il se retrouve projeté dans une quête qui le dépasse : son monde chancelle, ses certitudes se fissurent, et son seul repère devient Aurora, jeune femme sans passé, surgie comme une énigme à ses côtés. Elle ne sait rien d’elle-même, mais ses silences, ses regards, ses doutes dessinent déjà une présence qui trouble l’équilibre du groupe.
La narration ne multiplie pas les intrigues secondaires. Elle trace une ligne claire, resserrée, où chaque pas est un dévoilement. La quête de mémoire d’Aurora devient le moteur de l’histoire, tandis que Revyse, dans ses hésitations et ses erreurs, se construit à travers elle. Leur relation, plus que l’intrigue elle-même, devient la véritable charpente : un duo fragile, où la confiance s’arrache, où les secrets non dits pèsent sur chaque décision.
Autour d’eux gravitent d’autres figures, invoquées à partir des Échostones. Huit compagnons peuvent ainsi être convoqués, mais seuls quatre combattent simultanément. Ces alliés, fragments d’anciennes existences ou silhouettes arrachées à la légende, portent chacun une identité esquissée. Aucun n’occupe durablement le centre, mais tous contribuent à nourrir l’impression d’un monde hanté par sa propre mémoire, où les personnages sont moins des partenaires que des échos.
Goldan, antagoniste central, agit comme un contrepoint sombre. Son ambition n’est pas seulement politique, mais métaphysique : contrôler les flux d’invocation, détourner la magie des Échostones pour plier l’histoire à son désir. Son rôle, classique dans sa structure, fonctionne par excès : plus que ses actions, c’est sa présence théâtrale, son obsession déclarée, qui imprègne l’avancée des héros.
L’écriture, fidèle à la tradition de Kemco, ne s’autorise pas l’ambiguïté. Elle reste claire, directe, parfois trop appuyée, mais jamais incohérente. Ce qui lui manque en subtilité, elle le gagne en rythme : le récit avance sans détour, sans se perdre dans des quêtes périphériques. La force d’Astral Takers n’est pas d’inventer des figures inoubliables, mais de maintenir un fil narratif tendu, soutenu par la relation centrale entre Revyse et Aurora, fragile mais tenace.
Une invocation répétée dans le souffle du tour par tour
Astral Takers ne cherche pas à vous perdre dans des cartes infinies ni à vous éblouir par des systèmes tentaculaires. Ici, tout se joue dans l’instant figé d’un affrontement. Le monde est une succession de couloirs étroits, de donjons sobres, de villages qui servent d’escale. Ce n’est pas l’espace qui importe, c’est la cadence : marcher, être interrompu, se battre. Encore. Encore. Jusqu’à ce que la mécanique devienne une respiration contrainte.
Les combats ne sont pas une explosion de surprises. Ils sont une attente, une tension. Vous savez qui frappera, quand l’ennemi lancera son coup, à quel moment la défense cédera. Cette transparence impose une autre forme de pression : l’obligation de prévoir, de composer chaque action comme un pas de danse sur une corde raide. Attaquer trop tôt, c’est s’exposer. Soigner trop tard, c’est céder. Tout repose sur cette lisibilité brutale, qui ne pardonne pas l’erreur.
Les Échostones ajoutent un vertige discret. Huit compagnons invoqués, quatre présents à la fois. Ce ne sont pas des figures bavardes, mais des armes. À vous de choisir qui portera le poids de l’assaut, qui encaissera, qui maintiendra le souffle du groupe. La rotation des alliés, dans ses premiers instants, offre une impression de puissance et de variété. Mais cette illusion s’effrite. Les choix se figent, les combinaisons se répètent, et le système finit par s’éroder sous la répétition.
Le level design, réduit à sa plus stricte fonction, n’invente rien. Quelques coffres, des bifurcations anecdotiques, et surtout cette pluie constante de rencontres aléatoires qui brise le rythme. L’exploration n’est pas récompensée : elle est punie par la répétition des combats. On avance non par curiosité, mais par obligation.
C’est là la force et la faille d’Astral Takers. Sa mécanique est claire, efficace, tendue. Mais elle enferme. Elle répète. Elle finit par user. Le jeu impose une grammaire sans détour : combat, respiration, combat, nouvelle marche. Une rigueur qui séduira par sa constance, mais qui étouffe quand on espérait un souffle plus ample.
Un théâtre figé dans la nostalgie et la répétition
L’univers d’Astral Takers se donne à voir comme un monde suspendu entre hommage et retenue. Les sprites animés portent une énergie sincère : gestes nets, incantations éclatantes, attaques qui jaillissent dans des éclairs saturés de couleur. Mais cette vigueur se heurte vite à ses limites. Les décors, bien que variés en apparence – forêts assombries, plaines balayées par le vent, donjons creusés dans la roche – se répètent, recyclent leurs motifs, et finissent par se fondre dans une uniformité discrète. Tout fonctionne, rien n’explose. L’image ne trahit pas, mais elle n’imprime pas non plus.
La direction artistique choisit l’efficacité plutôt que l’audace. Chaque lieu semble répondre à une attente, coché sur une liste : le village paisible, la caverne brûlante, la forteresse finale. Rien ne surprend, rien ne déroute. L’impression générale est celle d’une surface polie, d’un monde qui refuse la démesure. La technique suit : stable, propre, jamais défaillante, mais enfermée dans un carcan qui bride toute ampleur visuelle.
Le son, en revanche, saisit davantage. Les thèmes de combat claquent avec énergie, portés par des percussions martiales et des mélodies incisives qui rappellent les RPG d’antan. L’oreille reconnaît la volonté de rythmer chaque affrontement, d’offrir une pulsation qui compense la rigidité des images. Les musiques des villages, plus calmes, instillent une respiration bienvenue, même si elles s’effacent rapidement dans l’oubli. Ce n’est pas une partition qui cherche la grandeur, mais une bande-son qui assume son rôle : soutenir, maintenir, porter la cadence.
Astral Takers trouve son équilibre dans la modestie. Un monde graphique propre mais figé, une musique qui pulse sans marquer, un habillage sonore qui fonctionne par défaut. Tout est en place, rien ne déborde. Suffisant pour accompagner la marche, insuffisant pour la transcender.
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