Développé par Blue Banshee Studio et publié par Ankama, Maliki: Poison of the Past est sorti le 22 avril 2025 sur Nintendo Switch. Premier jeu officiel tiré du webcomic de Souillon, ce RPG narratif entremêle tour par tour, énigmes environnementales et voyage temporel au sein d’un univers gangréné par une plante parasite. Mais sous ses couleurs douces et ses faux airs de production artisanale, ce jeu indépendant tient-il vraiment debout, ou s’effondre-t-il à mesure que ses racines remontent le fil d’un passé qu’il ne maîtrise pas ?
Une mémoire qui se déchire entre les strates
Vous incarnez Sand, silhouette effacée projetée dans le Domaine, un monde altéré par le Poison, parasite végétal qui tord les souvenirs, dévore les temporalités et souille les certitudes. Face à cette corruption organique, vous accompagnez Maliki et ses proches – Becky, Fang, Fénimale – dans une lente reconquête mémorielle, fragment par fragment. Chaque zone à purifier est un nœud temporel à délier, un moment ancien à revisiter, un épisode enfoui que le Poison a tenté d’effacer.
L’écriture adopte une tonalité intimiste, souvent mélancolique, en rupture avec le ton plus léger des strips d’origine. Ce choix renforce l’impact émotionnel des dialogues les plus sobres, et donne aux flashbacks une épaisseur inattendue. L’univers s’articule autour de la psyché de Maliki, morcelée, tour à tour vulnérable, lucide ou traversée par des pulsions destructrices. Certains dialogues touchent juste, notamment dans les séquences les plus dépouillées, où la voix intérieure devient plus cruelle que les ennemis à combattre.
Les personnages secondaires ne sont pas relégués au simple statut d’alliés. Chacun incarne un pan de la personnalité de Maliki : Fénimale comme instinct animal, Becky comme tendresse étouffée, Fang comme loyauté combative. Ce découpage narratif donne de la cohérence à l’équipe sans verser dans la caricature. On n’est pas dans un JRPG classique où les membres de l’escouade sont là pour meubler les cases : ici, chaque relation est justifiée par l’intrigue, chaque échange a un poids.
Mais cette force d’écriture s’accompagne d’un rythme bancal. Le jeu enchaîne parfois les séquences d’exposition trop bavardes avec des phases de silence brutales, où le récit suspend sa progression pour laisser place à un gameplay qui ne prolonge pas toujours la tension dramatique. Certaines scènes mériteraient d’être rejouées, d’être vécues autrement qu’à travers une mécanique ou un écran figé. À trop vouloir moduler les souvenirs, Maliki: Poison of the Past finit par figer certains pans de son récit au lieu de les faire respirer.
Un théâtre de glyphes et de points figés
Le gameplay de Maliki: Poison of the Past repose sur une boucle en apparence maîtrisée : exploration à la troisième personne, combats au tour par tour fondés sur une mécanique de Chrono Points, et énigmes environnementales où le temps devient matière à sculpter. Mais sous cette structure plurielle se cache un assemblage fragile, où chaque système fonctionne isolément, sans jamais fusionner en une mécanique organique.
Les affrontements reposent sur un équilibre délicat entre attaque, défense et rechargement. Chaque personnage dispose d’un nombre restreint d’actions à répartir entre compétences élémentaires, soutien ou manipulation du champ temporel. La promesse est claire : forcer le joueur à penser chaque action à l’échelle du tour et de la séquence. Mais très vite, la dynamique se grippe. Les combats manquent de nerf, de rythme, d’évolution. Le système de Chrono Points, pourtant original, s’épuise faute de montée en complexité. Certains ennemis deviennent de simples éponges à dégâts. Les escarmouches, censées être des pics narratifs ou tactiques, finissent par ralentir la progression plus qu’elles ne la nourrissent.
L’exploration s’inscrit dans des zones fermées à déverrouiller progressivement. À chaque souvenir corrompu correspond une carte à nettoyer, entre puzzles d’activation, plateformes et événements scriptés. Le level design, sobre mais lisible, ne se perd jamais dans le superflu, mais souffre d’un manque d’audace. Les énigmes se résolvent souvent mécaniquement, sans détour, et les boucles de retour sur zone ne génèrent pas de tension. Ce qui aurait pu être un parcours mémoriel labyrinthique devient une ligne droite polie par la sécurité.
Les interactions entre les membres du groupe sont limitées à l’utile. On switch entre personnages pour activer des capacités spécifiques : magie végétale, projection mentale, retour temporel. Chacun apporte une clef, jamais une surprise. Il n’y a pas de friction, pas de déséquilibre, pas de transgression. Les mécaniques collaboratives sont stables, efficaces, mais sans souffle. Rien ne dépasse. Le risque est absent, le jeu préfère la solidité à l’éclat.
Enfin, les mécaniques de gestion – cuisine, soins, entretien de la ferme – évoquent davantage une promesse de variété qu’un véritable pilier de gameplay. Elles apparaissent en surface, effleurent l’univers, mais ne produisent ni tension ni gratification. Elles remplissent un espace mort, sans jamais redessiner la structure du jeu.
Des souvenirs dessinés sur une toile humide
Visuellement, Maliki: Poison of the Past joue une partition double. D’un côté, les portraits en 2D affichés pendant les dialogues conservent le trait souple, nerveux et expressif de Souillon. De l’autre, les environnements et personnages modélisés en 3D adoptent un style chibi pastel, volontairement minimaliste, qui évoque davantage la maquette que le monde vivant. Cette tension entre l’illustration et le volume n’est jamais résolue. Elle produit une esthétique bancale, où les dialogues respirent mais où l’exploration reste figée dans une douceur inoffensive.
Les décors, qu’ils soient forestiers, urbains ou intérieurs, respectent un certain équilibre formel. Mais tout semble peint dans une même gamme désaturée, sans contraste fort, sans variations marquantes. Il ne s’agit pas d’un défaut de direction artistique, mais d’un choix assumé : celui de ne pas heurter, de rester dans une zone confortable, presque ouatée. Ce parti pris nuit à la tension dramatique. Le Poison, censé tordre la réalité, n’altère jamais la palette. Les zones corrompues ne transpirent ni la violence ni la souffrance. On avance dans un monde malade qui ne saigne pas.
Les animations, à la fois dans les déplacements et les combats, respectent une certaine fluidité. Aucun ralentissement majeur n’entrave les actions simples. Mais sur Nintendo Switch, le framerate vacille dès que plusieurs effets s’enchaînent. Certaines transitions entre zones s’accompagnent de légères saccades, et les phases de combat les plus chargées perdent parfois leur lisibilité. Rien de rédhibitoire, mais une gêne constante qui empêche le jeu de trouver un vrai tempo.
La bande-son, composée par Starrysky avec la participation de Motoi Sakuraba, élève nettement l’ensemble. Les nappes synthétiques se mêlent à des motifs mélodiques plus classiques, construisant une ambiance tantôt contemplative, tantôt inquiétante. Certaines pistes accompagnent les zones avec une justesse rare, notamment dans les niveaux liés à l’enfance de Maliki. Ce sont ces instants suspendus, ces respirations musicales, qui donnent au jeu ses plus belles aspérités.
Mais le mixage sonore n’est pas toujours à la hauteur. Les bruitages manquent de texture. Les effets de sorts, les impacts ou les interactions environnementales restent plats, presque absents. Et surtout, l’absence de doublage dans les dialogues retire une part de présence aux personnages. Les lignes s’affichent, bien écrites, bien jouées sur le papier… mais le silence leur vole une part de leur poids.
Une structure fissurée sous les couches du temps
Sur Nintendo Switch, Maliki: Poison of the Past peine à maintenir la solidité technique nécessaire à son ambition narrative. Le jeu n’est pas instable, mais il est constamment traversé de petites fractures : ralentissements, bugs de scripts, comportements erratiques dans certaines énigmes. Ce ne sont pas des incidents isolés. Ce sont des occurrences fréquentes, persistantes, qui grignotent lentement l’expérience sans jamais la faire chuter brutalement.
Les combats souffrent parfois d’un gel soudain de l’interface. Certains ennemis restent figés en fin de tour. Parfois, un personnage refuse de répondre à une commande, nécessitant un retour au menu. Les dialogues peuvent se bloquer, surtout après des cinématiques ou lors de séquences liées à la ferme. Ce ne sont pas des anomalies rares. Ce sont des ratés structurels que plusieurs critiques ont relevés avec constance.
Le framerate, déjà évoqué, s’effondre dans certaines zones végétales riches en particules. Ces chutes ne rendent pas le jeu injouable, mais détruisent toute sensation de fluidité dans les puzzles ou les déplacements libres. Les transitions entre les souvenirs, pourtant centrales dans la narration, manquent parfois leur effet à cause de ces ralentissements.
En dehors du cœur de gameplay, le système de sauvegarde automatique se révèle capricieux. Certains checkpoints sont mal placés. Il n’est pas rare de devoir répéter une énigme entière après un crash ou une mauvaise sortie de veille. L’ergonomie souffre également d’un manque de finition. Certains menus répondent lentement, et l’absence de carte rend l’orientation fastidieuse dans les niveaux à plusieurs couches.
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