Développé par Zockrates Laboratories et prévu pour le 26 juin 2025 sur Nintendo Switch, Ruffy and the Riverside se présente comme un platformer 3D volontairement anachronique, quelque part entre un prototype de Nintendo 64 jamais finalisé et un rêve éveillé de modder autrichien. Avec sa mécanique centrale de copie-collage de textures — le SWAP — et son monde coloré aux contours incertains, le jeu ambitionne de faire de l’expérimentation formelle un moteur ludique.
Mais derrière cette proposition singulière, parvient-il à construire une expérience cohérente, habitée, maîtrisée ? Ou n’est-il qu’un bac à sable déstructuré où l’audace se dissout dans la dispersion ?
Un monde qui tangue sous les aplats magiques
Ruffy and the Riverside vous projette dans une vallée fragmentée, distordue, en proie à une entité cubique nommée Groll. Le prétexte est classique : une force inconnue désintègre l’ordre établi, et un protagoniste involontaire — Ruffy, petit ours mutique accompagné d’une abeille nommée Pip — est contraint d’en restaurer l’équilibre. Ce point de départ, posé en quelques lignes dès l’introduction, ne cherche ni la densité, ni la tragédie. Il agit comme un socle fragile, suffisant pour laisser place à une exploration sans boussole.
Les personnages secondaires ne développent pas d’arc. Ils colorent. Sir Eddler, mentor bougon, plante un cadre absurde. D’autres, comme Tori ou les silhouettes fantomatiques croisées en chemin, jouent sur la rupture de ton : un mot décalé, un comportement incohérent, une fonction souvent décorative. Ce n’est pas une galerie. C’est un bruit de fond. Une ambiance. Chaque dialogue semble écrit pour déjouer l’attente, parfois avec humour, parfois sans effet.
Mais le monde ne se résume pas à ces saynètes. Il est structuré par un objectif simple : rassembler les lettres du mot RIVERSIDE et retrouver des marbles éparpillés. Six zones distinctes prolongent cette quête, chacune avec ses règles, ses micro-narrations, ses décors propres. L’univers ne raconte pas. Il juxtapose. Il agence. Il propose des fragments que le joueur réordonne sans hiérarchie.
La mécanique du SWAP, pouvoir de copier et coller des textures de l’environnement, ne vient pas justifier l’univers — elle le détraque. Elle fait du monde un espace instable, transformable à volonté. Et c’est dans cette dissonance que naît une forme de narration oblique. Pas par les mots, mais par la matière. Pas par le scénario, mais par la mutation.
Un monde à dissoudre et à réassembler en mouvement
Le cœur de Ruffy and the Riverside repose sur une mécanique unique : le SWAP. À tout moment, vous pouvez copier une texture de l’environnement – une surface d’eau, de pierre, de lave, de gélatine – et l’appliquer ailleurs pour modifier la physique du monde. Ce pouvoir, intégralement intégré au gameplay, transforme la plateforme en un exercice de transformation permanente, où le décor n’est jamais stable, jamais imposé, toujours reconfigurable.
Mais cette puissance mécanique ne s’accompagne d’aucune structure de contrôle rigide. Le jeu vous donne les clefs, mais ne verrouille pas les portes. Il laisse le joueur chercher, tenter, détourner. Les solutions ne sont pas uniques. Elles sont organiques. Si vous transformez un sol en boue pour ralentir un projectile, ou si vous collez une texture de vent sur une paroi pour vous projeter dans les airs, le jeu accepte. Il ne corrige pas. Il laisse faire.
Les zones explorables, au nombre de six, sont conçues comme des mini-systèmes. Chacune impose ses règles, ses blocs, ses énigmes implicites. Il n’y a pas de carte, pas de marquage, pas de guidage forcé. La progression repose sur la lecture des lieux, l’expérimentation, l’échec. Chaque environnement devient un puzzle géant, non pas par sa complexité formelle, mais par sa logique mouvante. C’est le joueur qui transforme les règles du jeu.
Mais cette liberté s’accompagne d’un certain flottement structurel. Le level design ne cherche jamais à contenir l’expérience. Il la laisse se disperser. Certains niveaux brillent par leur cohérence interne. D’autres souffrent de redondance, de vide, de rythme cassé. Le SWAP, outil de génie, n’est jamais limité. Mais cette absence de contrainte peut aussi affaiblir la tension. Il est parfois possible de contourner un défi sans l’avoir compris. Le monde accepte l’improvisation, mais ne la canalise jamais.
Les mécaniques annexes — sauts muraux, nages accélérées, zones secrètes — prolongent la découverte sans jamais prendre le dessus. Pas de compétence à débloquer, pas d’arbre de talents. Tout est disponible dès le départ. La progression est horizontale. Ce n’est pas une montée en puissance. C’est un élargissement des possibilités de lecture.
Un rêve texturé dans les marges de l’ancien monde
Visuellement, Ruffy and the Riverside n’imite pas. Il détourne. Le jeu adopte une esthétique volontairement instable, entre low poly assumé et texture crayonnée, superposée, dissonante. Le monde semble dessiné à la main puis reconstruit à la hâte dans un moteur inadapté. Et c’est précisément ce décalage, cette tension entre le fait main et le glitch, qui donne au jeu son identité visuelle.
Les textures ne sont pas de simples surfaces. Elles sont le langage même du jeu. Le SWAP en fait des outils, des matières, des entités. Coller une texture de lave sur une pente ne produit pas un effet visuel : cela transforme le comportement du monde. Le graphisme n’est donc pas un habillage. Il est système. Il est gameplay. Ce lien entre l’image et la règle est rare, et ici pleinement assumé.
Mais cette puissance formelle n’efface pas les faiblesses techniques. Sur Nintendo Switch, certains environnements affichent des ralentissements notables, des clippings fréquents et des baisses de framerate en zone ouverte. Les transitions sont parfois brutales, les collisions approximatives, les animations secondaires rigides. Rien d’injouable. Mais rien de poli.
L’univers sonore suit cette logique d’étrangeté douce. La bande-son, composée de thèmes aux accents synthétiques et aux motifs dissonants, ne cherche jamais à caresser. Elle accompagne. Elle colore. Elle surgit. Chaque zone possède sa propre ambiance, identifiable, mais jamais frontale. Ce n’est pas une musique de fond. C’est une présence discrète, fragmentée, qui agit à la périphérie.
Les bruitages, eux, renforcent cette impression d’un monde à la fois enfantin et déréglé. Les pas sur les textures changent selon la matière. Les actions produisent des sons exagérés, comme issus d’une maquette sonore volontairement décalée. Pas de voix. Pas de doublage. Les dialogues s’affichent en silence, mais le monde parle autrement — par ses frottements, ses ruptures, ses textures sonores imprécises.
Une expérimentation stable sur des fondations mouvantes
Sur Nintendo Switch, Ruffy and the Riverside fonctionne. Mais cette stabilité n’est jamais franche. Le framerate tient, mais se fissure par à-coups dès que les zones ouvertes se remplissent d’effets simultanés. Certaines textures appliquées à la volée entraînent des saccades. Les transitions entre biomes provoquent des gels ponctuels. Le moteur ne s’effondre pas. Il trébuche. Souvent. Discrètement. Assez pour rappeler que ce monde est bricolé, instable, toujours sur le point de décrocher.
Les collisions ne sont jamais fiables. On flotte parfois au-dessus d’une surface pourtant solide. On tombe à travers un sol que rien ne distingue. Certains déclencheurs de quêtes réagissent avec un délai. Une texture mal orientée suffit à déformer une séquence entière. Rien n’est cassé en bloc. Tout est fissuré en détail. Et ce sont ces détails qui forcent à s’adapter, à contourner, à réessayer.
L’interface, dépouillée jusqu’à l’os, n’accompagne rien. Elle affiche l’essentiel, sans fioriture, sans guidage. Pas de carte. Pas de repère. Pas de tutoriel après les premières minutes. Le jeu attend du joueur qu’il comprenne seul. Qu’il devine. Qu’il accepte de ne pas tout contrôler. Ce choix radical participe à l’identité du jeu. Mais il exclut. Il rejette. Il fatigue.
Il n’y a pas de finition. Il y a de l’achèvement. Le jeu a été mené à terme, pas poli. Les bugs n’empêchent pas de jouer. Ils colorent l’expérience. Ils deviennent partie intégrante d’un monde qui ne promet jamais d’être lisse. À la question “est-ce stable ?”, la réponse est simple : suffisamment pour exister, pas assez pour convaincre.
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