Sur les pavés trempés d’Averno City, les gyrophares percent la nuit comme des éclairs de justice incertaine. The Precinct, développé par Fallen Tree Games et édité par Kwalee, est sorti le 13 mai 2025 sur Xbox Series X|S. Ce jeu d’action-aventure en vue isométrique vous place dans la peau de Nick Cordell Jr., jeune recrue de la police, dans une cité rongée par le crime et les souvenirs d’un père assassiné.
Inspiré des films policiers des années 80, le titre mêle patrouilles routinières, interventions musclées et enquêtes personnelles. Mais derrière les clins d’œil nostalgiques et la bande-son synthwave, une question persiste : peut-on vraiment faire régner l’ordre dans un monde qui penche vers le chaos ?
Justiciers solitaires et pactes brisés
L’histoire de The Precinct n’enrobe rien. Elle vous jette au cœur d’une ville malade, où Nick Cordell Jr., jeune officier sans illusions, reprend le flambeau d’un père assassiné dans l’exercice de ses fonctions. Ce n’est pas une quête de rédemption, ni une vengeance maquillée : c’est un enfoncement progressif dans les rouages d’un système qui a cessé de faire sens. Le jeu n’écrit pas un héros. Il vous laisse glisser dans une fonction, et c’est tout le vertige.
Le récit suit une trame linéaire mais tissée d’interactions dynamiques : descentes dans les repaires de gangs, courses-poursuites improvisées, interventions en temps réel sur des braquages ou des violences domestiques. La narration principale tient en une poignée de cinématiques, sobres, brutales, sans fioritures. L’identité de votre père, les ramifications de son meurtre, les manipulations internes de la hiérarchie : tout se devine plus qu’il ne s’explique.
Nick lui-même n’a rien d’un protagoniste flamboyant. C’est un flic fonctionnel, presque sec dans ses répliques, défini davantage par ses actes que par ses mots. Et cela fonctionne. Car The Precinct ne cherche pas à forger des liens émotionnels forcés. Il capte un monde où l’humanité s’efface dans les sirènes, les protocoles, les bavures.
Les figures secondaires gravitent autour de vous comme des satellites imprévisibles : supérieurs ambigus, indicateurs à la langue fendue, citoyens tantôt victimes, tantôt complices. Aucun ne se laisse apprivoiser. Et c’est précisément dans cette distance que le jeu affirme sa vision : Averno n’est pas là pour vous écouter. Elle vous observe, vous teste, vous digère.
Patrouilles bancales et chaos procédural
The Precinct s’érige sur une idée séduisante : mêler routine policière et chaos urbain dans un monde ouvert régi par une IA procédurale. Sur le papier, vous répondez à des appels, vous arrêtez des voleurs, vous déjouez des trafics, vous patrouillez à bord de votre voiture, vous enquêtez. Mais manette en main, les rouages grincent vite.
La boucle de gameplay repose sur des interventions générées dynamiquement, censées refléter la montée progressive de la criminalité à Averno. En réalité, le système peine à convaincre. Trop de répétitions, trop peu de conséquences. On arrête les mêmes suspects, dans les mêmes contextes, avec les mêmes animations. La promesse d’un écosystème vivant s’épuise dès les premières heures, comme si la ville n’avait qu’une poignée de scénarios à offrir.
Le pilotage des véhicules, pourtant au centre de l’expérience, souffre d’une physique flottante. Les courses-poursuites, pourtant fréquentes, manquent de tension : IA routière erratique, collisions peu punitives, sens de la vitesse absent. Le sentiment de poursuite urbaine s’effondre dans des trajectoires mécaniques et des virages dénués d’enjeu.
À pied, le constat est plus sec encore. L’animation des arrestations est rigide, les combats sont anecdotiques, et l’interaction avec les civils reste limitée à quelques scripts. Le jeu propose certes un arsenal non létal, des options d’escalade de conflit, et un système de grade… mais aucun de ces éléments n’est suffisamment exploité pour générer une vraie montée en puissance ou une tension tactique.
Le game design peine ainsi à instaurer un rythme : trop d’interventions sans enjeu, trop peu de moments marquants. Le système procédural, au lieu de créer une ville imprévisible, engendre une routine stérile, une répétition déguisée sous un vernis algorithmique. Aucune mission ne marque, aucun événement ne dévie vraiment de son canevas.
Il y avait ici la possibilité d’inventer un genre, de capter la complexité d’un métier, de mettre le joueur dans une position inconfortable face au pouvoir qu’il exerce. Mais The Precinct n’ose pas. Il boucle, il tourne, il patrouille — sans jamais vraiment déranger.
Lumières froides sur bitume sans relief
Visuellement, The Precinct revendique une identité rétro-futuriste, avec une caméra isométrique légèrement inclinée et un rendu volontairement stylisé. La ville d’Averno, baignée dans une lumière bleue artificielle et striée de néons, évoque les polars urbains des années 80. Mais si l’ambiance fonctionne à distance, elle s’écroule dès qu’on s’en approche.
Les environnements, bien que variés sur le plan topographique (quartiers riches, zones industrielles, bidonvilles), souffrent d’un manque cruel de densité visuelle. Les textures sont lisses, les décors statiques, les intérieurs recyclés. Le cycle jour/nuit n’apporte que peu de variations d’atmosphère, et la météo dynamique peine à générer une vraie tension visuelle. Il y a des intentions, mais elles s’étiolent dans une exécution datée.
Les modèles de véhicules, au cœur du gameplay, sont eux aussi minimalistes. Peu détaillés, mal intégrés dans les collisions, ils participent à l’impression d’un monde flottant, presque abstrait. Les piétons, clonés à l’excès, renforcent cette impression d’un théâtre sans mise en scène.
Côté sonore, l’expérience est plus convaincante. La bande-son, résolument synthwave, ancre le jeu dans son esthétique 80s sans sombrer dans la caricature. Les nappes électroniques, les basses pulsées, les nappes analogiques — tout cela fonctionne pour créer une ambiance nocturne, presque hypnotique. Mais là encore, la répétition est le talon d’Achille : les morceaux tournent en boucle, les variations sont rares, et l’intensité ne suit pas l’action.
Les bruitages font le strict minimum : coups de freins, radio de patrouille, coups de feu étouffés. Rien de désagréable, mais rien de marquant non plus. Quant aux voix, elles sont fonctionnelles mais sans souffle. Les dialogues sont rares, les intonations mécaniques, et aucune séquence ne vient renforcer la personnalité des protagonistes.
The Precinct a une direction artistique. Mais elle ne dépasse jamais le stade de l’esquisse. L’identité visuelle existe, mais elle n’est jamais sublimée par la technique. C’est une ville fantôme qui voudrait parler, mais dont la bouche reste figée.
Simulations en panne et ambition bridée
Sous ses airs de bac à sable urbain, The Precinct se voulait plus qu’un jeu d’action : une véritable simulation policière. Un monde ouvert systémique, réactif, façonné par l’IA. Mais en l’état, cette ambition reste suspendue. L’intelligence artificielle, vantée comme adaptative, se montre désespérément rigide. Les civils réagissent mécaniquement, les criminels agissent selon des scripts prévisibles, et l’environnement ne réagit que marginalement à vos actions.
Sur Xbox Series, le jeu tourne en 60 fps avec une relative stabilité, mais la fluidité n’efface pas les approximations : déchirures d’image, pathfinding défaillant des PNJ, glitches de collision en voiture, bugs d’interaction avec les menottes ou les portes. Rien de catastrophique, mais une série d’aspérités qui finissent par entamer la crédibilité du monde.
Le contenu annexe est généreux en volume, mais pauvre en substance. Missions de routine, patrouilles aléatoires, braquages répétitifs… tout repose sur la même boucle : localiser, intervenir, cocher. Aucune montée dramatique, aucun système de réputation, aucune tension systémique. Même les quartiers de la ville ne développent pas une personnalité propre, rendant le découpage urbain purement cartographique.
L’absence de mode multijoueur ou coopératif vient accentuer cette impression d’isolement. The Precinct est pensé comme une expérience solo, mais il ne parvient jamais à créer ce lien de proximité ou d’attachement qu’exige ce type d’univers. Vous êtes seul, oui — mais seul face à un vide procédural, pas face à une ville qui respire.
Quant à la rejouabilité, elle repose uniquement sur la boucle libre de patrouille. Pas de progression alternative, pas de fins multiples, pas de nouveaux modes. Une fois la trame principale achevée, il ne reste qu’un monde en veille, répétant ses routines dans l’indifférence.
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