Sorti le 8 avril 2025 sur Xbox Series X|S, South of Midnight est un jeu d’action narratif façonné par Compulsion Games comme on façonne une légende maudite. On y incarne Hazel Flood, jeune femme arrachée à son deuil et projetée dans les entrailles surnaturelles du Deep South. Ce n’est pas un conte. C’est une mémoire diffractée. Une errance hantée par les traumatismes familiaux, les monstres tapis dans les marécages, les silences que personne n’ose rompre.
Avec son esthétique de marionnette saccadée, ses paysages délavés et son blues spectral, South of Midnight choisit la blessure au lieu de la fresque. Pas de grande guerre à gagner. Juste une vie à raccommoder, fil par fil.
Mais peut-on vraiment réparer un monde quand il refuse d’admettre qu’il a été brisé ?
Fantômes de sang et trames disloquées
L’histoire de South of Midnight ne se livre pas. Elle s’effiloche. Hazel Flood ne cherche ni la gloire ni la vengeance. Elle cherche sa mère, disparue dans le fracas d’un ouragan, et trouve à la place un héritage qu’elle n’a jamais demandé. Elle est une Tejedora, une tisseuse du réel, chargée de réparer les fils brisés du “Grand Tapis”, cette trame magique qui relie les vivants aux morts, les souvenirs aux blessures, les mensonges aux origines.
Mais ici, rien n’est stable. Chaque rencontre ravive un non-dit. Chaque zone est le reflet d’un trauma collectif enterré sous la boue. Les monstres que vous affrontez ne sortent pas de livres pour enfants : ils naissent des injustices raciales, des silences familiaux, de la violence sociale d’un Sud qui préfère oublier ce qu’il a fait. Le jeu ne crie pas. Il murmure, avec insistance.
Hazel avance sans certitude, sans mentor, sans armée. Elle croise des figures ambigües : la “Granny” qui parle aux corbeaux, l’homme-araignée pris dans ses propres filets de douleur, ou encore les reflets déformés de sa propre mère, éparpillés dans des échos hallucinés. Aucun personnage n’explique. Aucun ne rassure. Tous portent un fragment de vérité, jamais la totalité.
La narration évite la linéarité comme on évite un piège. Elle tisse, détisse, retient. Elle oblige à suivre les émotions plutôt que les faits. C’est un récit par omission, par résistance. Et dans chaque blanc, il y a plus à comprendre que dans n’importe quel monologue.
Poids du geste et rituel de l’épure
South of Midnight refuse la démonstration. Il préfère l’épure. L’action y est lente, posée, presque cérémonielle. Hazel n’est pas une combattante, elle devient une survivante. Elle tisse, elle pare, elle esquive. Son arme — un éventail d’os et de magie — est moins un outil d’agression qu’un prolongement de sa volonté. Chaque coup demande du rythme. Chaque esquive, de la précision. Ce n’est pas un jeu de réflexe. C’est un jeu d’intention.
Les affrontements, eux, sont des poches de résistance. Peu nombreux, souvent marquants, mais vite répétitifs. On alterne entre sorts élémentaires, attaques rituelles et parades liées au “tissage” du réel. Le système est cohérent, chargé de symboles, mais il peine à se renouveler sur la longueur. On comprend vite. On maîtrise trop vite. Et au bout d’un moment, on traverse plus qu’on ne combat.
Le level design épouse cette logique. Zones semi-ouvertes, reliées par des nœuds narratifs. Pas d’exploration libre. Juste des chemins qui se plient à la volonté du récit. L’espace est sculpté autour des souvenirs : maisons en ruines, marécages asphyxiés, ponts suspendus au-dessus du vide. C’est beau, mais cloisonné. Chaque détour est guidé. Chaque secret, balisé.
Les phases de plateforme — peu nombreuses — jouent sur les élans, les grappins, les ancrages mémoriels. Là aussi, rien d’exigeant. Le jeu ne veut pas vous tuer. Il veut que vous ressentiez. Mais cette ambition narrative se heurte parfois à la mollesse des mécaniques. On veut croire à la tension. On sent le geste. Mais on n’a pas toujours peur de tomber.
Figures découpées et mémoire picturale
Visuellement, South of Midnight ne ressemble à rien d’autre. Le choix de l’animation en stop-motion donne à chaque personnage une étrangeté, une rigidité volontaire, comme s’ils étaient tous arrachés à un rêve mal cadré. Hazel ne court pas. Elle glisse, elle flotte, elle trébuche parfois. Chaque mouvement semble ralenti par le poids de ce qu’elle porte. Ce n’est pas de la maladresse. C’est une esthétique.
Les décors, eux, déclinent un Sud mythifié, abîmé, hanté. Forêts de cyprès noyées sous le silence. Bayous figés dans la brume. Bicoques éventrées par les ouragans. Tout est trempé dans une palette chaude, saturée, presque étouffante. La lumière découpe plus qu’elle n’éclaire. Chaque zone semble suspendue dans le temps, comme si elle se souvenait de ce qu’elle avait été, mais refusait de l’admettre.
Techniquement, le jeu reste propre mais limité. Quelques textures tardent à s’afficher. Certaines animations d’ennemis peinent à suivre la mise en scène. La fluidité, globalement stable sur Xbox Series, accuse quelques chutes dans les environnements les plus chargés en effets visuels. Rien de catastrophique, mais la cohérence artistique surpasse nettement l’exécution brute.
La bande-son, elle, est une incantation. Guitares slide, voix étouffées, rythmes de transe. Chaque thème évoque un rituel oublié, un deuil ancien, un murmure dans les bois. La musique ne soutient pas l’action. Elle la hante. Même le silence, dans ce jeu, a un poids. On entend les branches craquer, l’eau croupir, les chaînes rouiller. Et parfois, une chanson perce. Trop triste pour être chantée. Trop belle pour être oubliée.
Déchirures techniques et coutures modernes
Sur Xbox Series X|S, South of Midnight tient la route, mais parfois du bout des doigts. La direction artistique masque beaucoup, mais pas tout. Les chutes de framerate se font sentir dans les zones les plus denses, notamment quand plusieurs effets de tissage s’enchaînent. Le jeu reste fluide dans l’exploration, mais les combats en souffrent, surtout dans les séquences où la magie altère l’environnement en temps réel.
Les temps de chargement sont brefs, les transitions entre zones plutôt douces, mais le moteur montre ses limites. Pop-in environnemental, collisions capricieuses avec certains objets, et animations faciales trop figées lors des dialogues clés. Rien qui brise l’immersion, mais assez pour rappeler que derrière le charme artisanal, il y a une machine encore imparfaite.
L’accessibilité, elle, avance. Le jeu propose plusieurs options : police agrandie, contraste augmenté, désactivation des QTE, et assistance à la visée magique. Mais pas de doublage alternatif hors anglais, pas de narration des menus, et surtout aucune personnalisation avancée des contrôles. Ce n’est pas un refus. C’est un oubli.
La rejouabilité reste faible. L’histoire est linéaire, les embranchements mineurs, les collectibles narratifs disséminés mais non essentiels. Pas de mode New Game+, pas de mécaniques de montée en puissance, pas de quête secondaire marquante. Ce n’est pas un jeu qui veut être refait. C’est un jeu qui veut être vécu, une fois, jusqu’au bout, sans retour en arrière.
0 commentaires