Il est des jeux dont on se demande s’ils ont vraiment été pensés pour être joués, ou simplement pour exister. Gun Gun Pixies, sorti sur Nintendo Switch en septembre 2019, est de ceux-là.
Derrière ses couleurs criardes et ses voix suraiguës se cache un concept aussi improbable que délicieusement absurde : deux extraterrestres de taille minuscule, Bee-tan et Kame-pon, sont envoyées sur Terre pour infiltrer un dortoir féminin, observer les humaines dans leur habitat naturel… et leur tirer dessus avec des balles de bonheur pour les aider à résoudre leurs “problèmes existentiels”.
Développé par Compile Heart et édité par PQube, le jeu jongle maladroitement entre infiltration de salon, shooter mou, et visual novel exagérément verbeux, le tout saupoudré d’un fan-service si omniprésent qu’il finit par étouffer toute tentative de lecture au second degré.
Gun Gun Pixies n’est pas un jeu à prendre au sérieux. Mais cela ne signifie pas qu’il est au-dessus de toute critique.
Car derrière ses airs d’OVNI gentiment pervers à la japonaise se dessine une œuvre profondément maladroite, dépassée techniquement et artistiquement, et dont l’humour graveleux masque mal un vide ludique béant.
Un jeu qui semble croire qu’un concept étrange suffit à entretenir l’attention, mais qui oublie en chemin qu’on ne peut pas se cacher éternellement derrière le ridicule assumé.
Reste à savoir si Gun Gun Pixies mérite d’être qualifié d’échec total… ou s’il a su, malgré lui, atteindre une forme de divertissement involontaire.
Observatrices du chaos, hôtesses de l’absurde
Le postulat narratif de Gun Gun Pixies tient du pastiche volontaire, mais se prend étrangement au sérieux. Dans ce monde où les aliens sont à peine plus grands qu’une souris, deux recrues de la planète Pandemo — Bee-tan, énergique et irrévérencieuse, et Kame-pon, timide et obsessionnelle — sont envoyées en mission d’observation anthropologique sur Terre. Leur cible : un dortoir universitaire exclusivement féminin, dont les résidentes semblent prises dans une spirale d’angoisses, de complexes, et de solitude émotionnelle.
Le twist ? Nos deux espionnes sont équipées de pistolets à “happy bullets”, censés résoudre les tourments psychologiques des humaines… en les arrosant de projectiles mignons à coups de “pew pew”. Une thérapie non conventionnelle, qui flirte en permanence entre le burlesque grotesque et la gêne assumée.
Ce qui aurait pu être traité avec un minimum de légèreté devient très vite un catalogue d’archétypes fatigués : la tsundere agressive, l’ultra-populaire refoulée, la geek repliée sur elle-même… Chaque personnage secondaire semble extrait d’un manuel d’écriture automatique de visual novel, sans nuance ni développement.
Et pourtant, le jeu prend le temps de détailler leurs états d’âme à travers des dialogues interminables, parfois touchants dans l’intention, mais plombés par une écriture maladroite et une traduction anglaise rigide et sans subtilité.
Bee-tan et Kame-pon, quant à elles, tiennent lieu de guides comiques dans cette spirale farfelue. Leurs échanges, volontairement absurdes et parsemés de non-sens cosmiques, tentent tant bien que mal d’imposer un ton parodique. Mais leur caractérisation, excessive et binaire, empêche toute véritable empathie : on les observe comme des mascottes mal réglées, incapables d’évoluer au-delà de leur fonction décorative.
Au final, le récit de Gun Gun Pixies ressemble à un script étiré jusqu’à la rupture, un enchaînement de scènes semi-intimes forcées et de confessions existentielles artificielles, reliées par des segments d’action anecdotiques. Ni drôle, ni percutant, ni franchement choquant, le jeu échoue à donner vie à ses personnages, les condamnant à errer dans une comédie qui ne sait jamais si elle doit faire rire ou fuir.
Tirer sans viser, ramper sans raison
Dans Gun Gun Pixies, on incarne des extraterrestres armées jusqu’aux dentelles, infiltrant des chambres étudiantes géantes… en mode shooter à la troisième personne, à l’échelle d’une fourmi. Sur le papier, cela a presque des allures de Toy Commander revisité sous stéroïdes kawaii.
Mais une fois manette en main, le rêve fond comme un glaçage rose en plein soleil.
Les phases d’infiltration consistent à se faufiler discrètement autour des résidentes humaines — parfois dénudées, souvent en pleine crise existentielle — sans se faire repérer. Hélas, cette promesse d’infiltration retombe très vite dans une boucle absurde : tourner autour d’un lit, grimper sur une étagère, observer une scène de dialogue, puis arroser l’occupante à coups de projectiles censés résoudre ses problèmes psychologiques.
Le système de tir est désespérément rigide. La visée manque de précision, les sensations sont molles, les hitboxes approximatives. On tire sur des “points faibles émotionnels” façon Senran Kagura light, mais sans le punch, ni le rythme. L’IA ennemie, composée d’objets animés (chaussettes géantes, alarmes sentinelles, lampes hostiles), oscille entre le pathétique et l’inerte.
L’action, déjà faible, devient rapidement une corvée répétitive, où la difficulté provient plus de la caméra mal fichue que de l’ingéniosité du level design.
Et parlons-en, du level design : chaque mission se déroule dans des chambres quasi-identiques, que l’on arpente encore et encore à la recherche d’objectifs insignifiants. Les variations sont minimes, les obstacles inexistants, et les rares zones “à débloquer” ne servent qu’à rallonger artificiellement la durée de vie.
Même les phases de “combat de boss”, censées dynamiser l’ensemble, se limitent à des séquences de tir sur rail mollement dirigées, avec peu d’intérêt stratégique.
Entre deux missions, le jeu alterne avec des dialogues de visual novel interminables, parfois drôles par accident, mais souvent noyés dans un flux verbeux sans rythme ni direction.
Il ne reste alors qu’un sentiment : celui d’un gameplay mécaniquement pauvre, sans surprise, et tragiquement répétitif.
Le concept aurait pu donner lieu à une expérience farfelue, rythmée, inventive. Ce que livre Gun Gun Pixies, c’est un enchaînement d’idées mal exploitées, mal exécutées, et rarement amusantes.
Entre plastique criard et silence embarrassé
Visuellement, Gun Gun Pixies donne l’impression de s’être échappé d’un tiroir oublié de la PlayStation 2. Les personnages, bien qu’animés avec une certaine exubérance, semblent flotter dans des décors plats, répétitifs et désespérément vides. Les chambres dans lesquelles se déroulent les missions sont des clones les unes des autres, décorées de quelques meubles génériques, de textures floues et d’objets à la physique douteuse.
L’échelle miniature, pourtant au cœur du concept, n’est jamais exploitée avec inventivité : pas de verticalité maligne, pas de perspective originale, seulement des pièces fixes où chaque centimètre semble figé dans un low-poly approximatif.
Le character design, quant à lui, mise tout sur le cliché : silhouettes exagérées, poses aguicheuses, costumes échancrés. Mais ces partis pris visuels n’ont rien d’un choix artistique audacieux — ils relèvent plutôt d’une stratégie paresseuse, comme si le jeu comptait uniquement sur le fan-service pour masquer l’absence de véritable direction artistique.
Les animations sont limitées à l’essentiel : courir, viser, tirer, rouler. Tout semble conçu avec un moteur daté, où chaque action manque d’impact, de fluidité, de poids. Les effets spéciaux, quant à eux, se limitent à quelques étincelles roses et des halos lumineux répétitifs, dénués de toute variété.
Côté bande-son, Gun Gun Pixies peine tout autant à convaincre. Les musiques d’ambiance sont des boucles anodines, vaguement entraînantes, mais vite redondantes. Aucune composition ne se distingue, aucune atmosphère ne se dégage. On navigue dans un univers sonore aseptisé, où même les effets sonores des tirs, des ennemis ou des déplacements semblent recyclés d’une bibliothèque par défaut.
Le doublage japonais, fidèle au ton parodique de l’ensemble, est sans doute l’élément le plus vivant du jeu… à condition de supporter les voix suraiguës, les cris stridents et les soupirs exagérés, qui frôlent parfois l’auto-parodie mais finissent souvent par lasser.
Gun Gun Pixies n’essaie même pas de cacher son manque d’ambition graphique ou sonore. Il se contente de proposer le strict minimum fonctionnel, espérant sans doute que son humour décalé suffira à faire oublier son absence de finition.
Le fan-service comme unique carburant
En tant que production hybride mêlant shooter mou, infiltration light et visual novel bavard, Gun Gun Pixies n’est ni un pur jeu d’action, ni une véritable aventure narrative. C’est un objet marketing à peine déguisé, conçu pour un public très ciblé, qui trouve dans son contenu un prétexte à l’exposition permanente de ses protagonistes.
Sur le plan technique, le jeu tourne correctement sur Nintendo Switch, sans ralentissements notables ni bugs bloquants. Mais c’est à peu près tout ce que l’on peut lui accorder. Les temps de chargement sont étonnamment longs pour un titre aussi peu exigeant graphiquement, et la navigation dans les menus est lente, imprécise, sans vraie ergonomie.
Quant à l’interface, elle semble sortie d’un visual novel fauché, où chaque fenêtre de dialogue ou écran de mission aurait été conçu sans aucune attention au confort de lecture.
Gun Gun Pixies propose une progression linéaire, découpée en chapitres, chacun introduit par une longue phase de dialogues avant de déboucher sur une mission d’infiltration qui se répète presque à l’identique. Aucune variation de gameplay ne vient surprendre. Aucun défi réel n’est proposé. Pas de système de progression, pas de montée en puissance : chaque mission est une simple redite, légèrement modifiée dans son habillage, mais toujours identique dans son fonctionnement.
Le fan-service est omniprésent — parfois jusqu’à l’épuisement. Poses suggestives, angles de caméra douteux, dialogues lourdement équivoques… Tout est fait pour mettre le joueur dans une posture d’observateur ambigu, tiraillé entre l’absurde et le gênant. Mais au lieu de jouer avec les codes ou de les détourner intelligemment, Gun Gun Pixies s’en contente paresseusement, sans ironie ni recul. On reste alors face à un jeu qui, tout en revendiquant sa débilité joyeuse, n’offre aucune lecture secondaire ni profondeur réelle.
Aucune option multijoueur, aucune mission bonus, aucun contenu déblocable ne vient relever l’ensemble. Une fois terminé, Gun Gun Pixies n’a plus rien à offrir — si ce n’est l’envie pressante d’aller chercher ailleurs ce que ce jeu n’a jamais vraiment essayé de construire : un propos, une mécanique, ou simplement une idée solide.
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