À une époque où la nostalgie sert souvent de toile de fond pour masquer l’absence d’idées neuves, Spy Bros.: Pipi & Bibi’s DX débarque sans honte ni fanfare sur Nintendo Switch, comme un fantôme ressuscité d’une salle d’arcade enfumée du début des années 90.
Sorti le 14 février 2023 et signé RAWRLAB Games, ce remake du très confidentiel Pipi & Bibi’s de Toaplan efface toute trace de son ADN originel sulfureux pour proposer une relecture « tout public », édulcorée, mais profondément ancrée dans son ADN arcade pur et dur.
Le jeu abandonne ses provocations d’antan pour se concentrer sur l’essence même du scoring nerveux et du die-and-retry instantané. Avec ses graphismes pixel art modernisés, ses filtres CRT optionnels, et un mode coopératif en local jusqu’à quatre joueurs, Spy Bros. prétend ramener l’esprit des arcades sur canapé, sans monnayeur mais avec autant de sueur sur les doigts.
Reste à savoir si ce retour minimaliste a su préserver l’étincelle ludique capable d’enflammer autre chose qu’une simple curiosité de collectionneur.
Deux agents, zéro trame, une mission impossible
Ne cherchez pas d’épopée palpitante ou de drame sous-jacent dans Spy Bros.: Pipi & Bibi’s DX. Le scénario tient sur un ticket de borne d’arcade : vous êtes deux agents secrets, Pipi et Bibi, infiltrés dans des immeubles regorgeant de dangers, et votre seul objectif est d’y déposer des bombes avant de vous échapper sans encombre.
Pas de discours, pas de cinématiques grandiloquentes, pas d’ambiguïté morale : juste l’action brute, immédiate, dénuée de tout vernis narratif. À l’époque de sa sortie initiale, l’arcade imposait ses règles : l’histoire était un prétexte, et Spy Bros. respecte à la lettre cet héritage minimaliste.
La principale « originalité » du remake est d’avoir remplacé les fameux écrans de récompense légèrement coquins du titre original par des illustrations innocentes et cartoonisées mettant en scène nos deux espions farfelus. Un choix qui aseptise définitivement l’univers, mais qui correspond à l’ambition affichée de proposer une expérience tout public.
Au-delà de ce lifting moral, Pipi et Bibi ne sont pas des personnages développés, ni même caractérisés autrement que par leur mission. Ils sont des avatars du joueur, des silhouettes filantes dans un ballet d’esquives et de sabotages minutés. Leur absence de personnalité est assumée, presque revendiquée : ici, seuls les réflexes parlent, pas les dialogues.
Dans Spy Bros., la véritable histoire est celle que vous écrivez vous-même, à coups de placements millimétrés, de courses éperdues et de plans échafaudés en une fraction de seconde pour tromper l’ennemi et la montre.
L’art du sabotage en deux dimensions
Dans Spy Bros.: Pipi & Bibi’s DX, chaque partie est une course contre la montre et contre vos propres réflexes. Le principe, hérité directement de l’arcade pur jus, est d’une simplicité assassine : infiltrer un bâtiment, poser des bombes sur tous les points stratégiques, et fuir avant que tout n’explose. À l’écran, cela se traduit par une plateforme en écran fixe, où chaque étage est relié par des escaliers ou des passages secrets à découvrir à la volée.
Le gameplay repose intégralement sur la fluidité des déplacements et l’anticipation des ennemis. Car pendant que vous courez, les bâtiments grouillent d’adversaires patrouillant selon des patterns précis mais nombreux : robots, agents de sécurité, pièges mobiles… La moindre erreur se paie comptant, et les vies s’envolent plus vite qu’une poignée de crédits dans un café des années 90.
Le design des niveaux est d’une efficacité mathématique. Chaque étage est un casse-tête mouvant où il faut évaluer rapidement les risques, trouver le chemin optimal et s’adapter aux changements imprévus. Les 50 stages du jeu montent en difficulté de façon abrupte, obligeant à maîtriser non seulement la mémoire des patterns, mais aussi le placement millimétré et la gestion du stress sous la pression constante du chrono.
La grande force du titre réside dans sa courbe d’apprentissage instantanée mais exigeante : les premiers stages se laissent parcourir avec une aisance presque trompeuse, avant que la difficulté n’explose subitement, rendant chaque niveau une véritable épreuve de survie.
Le remake ajoute quelques options bienvenues : des filtres CRT pour simuler l’effet écran cathodique, un mode coopératif local pour deux à quatre joueurs permettant des stratégies plus folles… mais sans jamais trahir l’esprit arcade initial. Ici, pas de compétences à débloquer, pas d’équipements, pas d’arbre de talents : juste vous, votre agilité et votre capacité à apprendre de vos échecs.
Cependant, ce respect quasi-religieux de la formule d’origine a un revers : la redondance. Si les premières heures emballent par leur nervosité, la répétitivité des situations finit par poindre, notamment en solo. L’absence d’évolution mécanique réelle entre les stages creuse peu à peu une lassitude inévitable, que seuls les plus acharnés parviendront à repousser.
Spy Bros. reste avant tout un hommage fidèle aux dogmes de l’arcade, sans concession, pour le meilleur… et pour ses limites aussi.
Pixels, bips et nostalgie calibrée
Spy Bros.: Pipi & Bibi’s DX n’a jamais eu pour ambition d’atteindre les sommets esthétiques du pixel art contemporain. Son objectif est clair : recréer l’expérience visuelle brute des arcades du début des années 90, sans fioritures, ni nostalgie édulcorée.
Les sprites des personnages, tout comme les décors, restent volontairement simples et anguleux, évoquant l’ère des écrans cathodiques et des animations rudimentaires. Pourtant, loin de sombrer dans la paresse graphique, RAWRLAB Games a retravaillé les couleurs, adouci les contours et fluidifié les animations juste assez pour rendre l’ensemble agréable à l’œil sur un écran moderne. Les filtres CRT optionnels permettent de plonger encore davantage dans l’illusion de l’arcade d’antan, apportant une touche de grain et de flou qui sied parfaitement à l’ambiance générale.
Les environnements, eux, font preuve d’une variété modeste mais suffisante. Centres commerciaux, gratte-ciels high-tech, complexes industriels : chaque zone propose un fond de décor cohérent, sans jamais voler la vedette à l’action nerveuse au premier plan.
Côté bande-son, Spy Bros. reste fidèle à ses racines. Les musiques sont des boucles synthétiques ultra-énergiques, calibrées pour maintenir la pression sans devenir trop intrusives. Chaque niveau est accompagné de mélodies simples mais efficaces, typiques des compositions 8/16 bits, tandis que les bruitages — détonations sèches, bips d’alerte, cris robotiques — claquent avec une brutalité authentique.
Aucune orchestration moderne, aucun remix électro ou clin d’œil anachronique ne vient parasiter l’expérience : le respect de l’époque est total, jusqu’à la raideur parfois spartiate de certains effets sonores.
Ce choix artistique assumé fera sourire les amateurs d’authenticité, mais pourra aussi dérouter ceux qui attendaient un relooking plus audacieux. Car au fond, Spy Bros. n’a pas été pensé pour moderniser son héritage, mais pour l’exhumer dans toute sa rugosité intacte, comme un artefact d’une autre ère vidéoludique.
Monnayeur fantôme et coop canapé
En tant que pur produit de l’héritage arcade, Spy Bros.: Pipi & Bibi’s DX ne cherche pas à s’encombrer de systèmes modernes. L’ensemble tient dans un mouchoir de poche technique : pas de multijoueur en ligne, pas de modes alternatifs, pas d’options d’accessibilité, pas même de galerie ou de bonus à débloquer. On lance, on joue, on recommence. Un choix qui séduira les puristes, mais qui laisse peu de place à la générosité.
Le seul véritable ajout notable est la coopération locale, qui permet à deux joueurs — voire jusqu’à quatre avec une rotation rapide des vies — de parcourir ensemble les niveaux, dans une ambiance de compétition silencieuse et de coordination empirique. L’expérience prend alors une tout autre saveur : chaotique, nerveuse, hilarante. Le moindre faux pas déclenche une cascade d’échecs, de jurons, et d’éclats de rire. Un esprit canapé authentique, mais inexistant en ligne, un manque regrettable à l’ère du multijoueur omniprésent.
Techniquement, le jeu tourne sans accroc sur Nintendo Switch, que ce soit en mode docké ou portable. Les temps de chargement sont inexistants, la fluidité est impeccable, et les commandes répondent au doigt et à l’œil — encore heureux, compte tenu de la précision requise dans les niveaux avancés. Aucune latence, aucun bug signalé, et une interface limpide : le travail est propre, discret, invisible, à l’image du projet dans son ensemble.
Le plus gros défaut reste sans doute l’absence de contenu complémentaire. Aucune version alternative, aucun niveau inédit, aucun mode Time Attack ou défi à score. Les développeurs ont choisi de respecter l’œuvre d’origine dans sa structure la plus brute, au risque de laisser sur leur faim ceux qui attendaient un hommage plus ambitieux, ou une forme de relecture créative. En l’état, Spy Bros. est un portage plus qu’un remaster, une capsule temporelle bien nettoyée, mais refermée à double tour.
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