Dans les replis de la mémoire génétique, certains fragments refusent de sombrer. Assassin’s Creed: The Rebel Collection, débarqué sur Nintendo Switch le 6 décembre 2019 grâce à Ubisoft, exhume deux de ces éclats d’un âge d’or : Black Flag et Rogue, deux chapitres où l’assassinat se conjugue à la liberté sauvage de l’océan.
En réunissant ces odyssées maritimes dans une même collection, Ubisoft promet une plongée dans les eaux troubles d’une époque où le sabre tranche autant que les serments. Entre les flots des Caraïbes baignés de sang et les glaces traîtresses de l’Atlantique Nord, vous incarnez non plus de purs idéalistes, mais des hommes rongés par leurs contradictions, tiraillés entre fraternité et trahison.
Mais, portée sur la console hybride de Nintendo, cette double épopée conserve-t-elle toute sa fougue et sa majesté, ou s’abîme-t-elle dans les ressacs d’un portage contraint par la technique ? Les vents de l’aventure soufflent-ils encore assez fort pour faire vibrer la voile, ou ne reste-t-il que le craquement désolé d’une mâture oubliée ?
Frères d’ombre et traîtres au vent
Dans Assassin’s Creed: The Rebel Collection, l’héritage des lames cachées est souillé par la poudre noire et les trahisons étouffées. Vous incarnez deux figures atypiques : Edward Kenway dans Black Flag, pirate impétueux préférant l’or aux idéaux, et Shay Patrick Cormac dans Rogue, assassin déchu dont la trahison griffe au fer rouge les dogmes de sa confrérie.
Edward est tout sauf un héros traditionnel. Flibustier sans foi ni loi, il navigue entre ambition personnelle et désir de liberté, traçant son chemin à coups de sabre plutôt qu’au nom d’une quelconque croisade philosophique. Son évolution, patiente et sinueuse, le voit passer d’aventurier cupide à homme hanté par ses propres pertes, pris dans la tourmente d’un monde où l’utopie d’un âge d’or s’échoue inexorablement sur les récifs de la cupidité humaine.
À l’opposé, Shay incarne la chute vertigineuse. Dans Rogue, vous ne suivez pas l’ascension d’un héros, mais l’effritement méthodique d’une croyance. Témoignant des dérives meurtrières de ses frères assassins, il choisit la dissidence, et par ce choix, condamne son âme à errer entre deux mondes — celui des traîtres et celui des parias. Là où d’autres opus glorifiaient la loyauté aveugle, Rogue interroge la valeur réelle des idéaux lorsqu’ils sont maculés de sang innocent.
La force de The Rebel Collection réside dans cette dualité narrative : deux destins où la liberté se paie toujours au prix de l’isolement. Edward et Shay ne deviennent pas des légendes radieuses. Ils deviennent des cicatrices vivantes, errant entre des empires effondrés et des révolutions avortées, témoins désabusés d’un combat sans fin où les drapeaux ne sont que des leurres.
Autour d’eux gravitent des personnages secondaires marqués par l’ambiguïté : corsaires traîtres à leur roi, assassins fanatiques, templiers pragmatiques. Nul n’est totalement innocent, nul n’est totalement coupable. C’est un monde où les serments s’effilochent sous les vents du doute, et où chaque visage amical peut cacher la main qui vous précipitera par-dessus bord.
Sabres au clair et océans de verre brisé
Dans Assassin’s Creed: The Rebel Collection, la lame ne suffit plus : il faut savoir lire les vents, sentir la houle et entendre le murmure des canons avant de choisir sa proie.
Black Flag et Rogue déplacent la danse des assassins sur les mers ouvertes, substituant aux ruelles étroites des villes la vastitude impitoyable de l’océan.
Au sol, les mécaniques classiques d’infiltration, de parkour et de combat à deux lames retrouvent leur familiarité. Le saut silencieux depuis les toits, le poignard glissé sous une cape, la fuite agile entre les échoppes : tout respire encore cette grâce nerveuse qui fit la réputation de la série. Mais c’est en mer que la véritable mue s’opère. Votre navire, qu’il s’agisse du Jackdaw d’Edward ou du Morrigan de Shay, devient votre arme, votre foyer, votre instrument de survie.
La navigation est un art en soi. Ajuster les voiles pour tirer profit du vent, manœuvrer pour éviter les bordées ennemies, répartir vos boulets entre tir de précision et salves destructrices… Chaque rencontre navale est une danse mortelle où l’improvisation est reine. Aborder un galion espagnol, piller une frégate britannique, esquiver une embuscade templière : tout se joue sur un équilibre fragile entre audace et prudence.
Le level design, quant à lui, épouse la nature éclatée de l’univers. Les îles éparses, les avant-postes dissimulés dans les criques, les villes aux ruelles labyrinthiques — tout est pensé pour favoriser la liberté d’approche. Ici, pas de chemin imposé : c’est au joueur de choisir s’il veut frapper comme un spectre ou faire rugir ses canons sans prévenir.
Mais cette vastitude a aussi ses revers. Sur la durée, l’océan devient parfois son propre piège : une répétitivité latente s’installe dans les missions secondaires, dans les assauts de convois, dans les collectes de trésors disséminés sur les fonds marins. Le frisson des premières conquêtes laisse alors place à une routine plus mécanique, où l’émerveillement premier menace de s’éroder sous la lassitude.
Sur Nintendo Switch, l’adaptation des contrôles tactiles et l’ajout de visées gyroscopiques offrent des ajustements appréciables, même si la maniabilité des abordages reste parfois rigide sur les phases les plus chaotiques.
Mais dans l’ensemble, la mer reste vaste, les lames affûtées, et la promesse d’aventure pulse encore sous chaque voile gonflée par le vent.
Éclats d’écume et ballades oubliées
Sur Nintendo Switch, Assassin’s Creed: The Rebel Collection tente de capturer la majesté de deux mondes en ruine : l’immensité azur des Caraïbes et les neiges traîtresses de l’Atlantique Nord. Le pari, audacieux, n’est pas sans concessions, mais il conserve l’essentiel : ce souffle salé qui gonfle les voiles et ce murmure lancinant qui accompagne chaque lever de brume.
Visuellement, Black Flag étale encore ses cartes postales maritimes : océans d’un bleu déchirant, îles luxuriantes étouffées sous la canopée, citadelles rongées par le sel. Rogue, plus austère, tisse des panoramas de banquise éclatée, de forêts décharnées, de ports endormis sous un ciel de cendres. Les textures, forcément lissées pour s’adapter aux limites techniques de la Switch, perdent parfois en finesse, notamment sur les détails lointains ou dans les séquences denses en effets climatiques. Mais à portée d’épée, l’illusion tient bon, portée par une direction artistique toujours aussi cohérente.
Les animations, bien que vieillies, conservent cette souplesse nerveuse typique de l’ancienne école Ubisoft. Les combats, même allégés, restent lisibles. Les séquences d’abordage, malgré des chutes légères de fluidité dans les moments de chaos extrême, gardent cette frénésie rugueuse, ce goût d’acier et de poudre mouillée.
Côté sonore, The Rebel Collection frappe toujours juste. Les compositions de Brian Tyler et Elitsa Alexandrova enveloppent le joueur dans des nappes orchestrales puissantes, mêlant envolées épiques et complaintes marines. Chaque port résonne de rumeurs étouffées, chaque navire frémit sous les chants rauques des matelots. Les voix, qu’elles soient celles de vieux loups de mer ou d’assassins dissimulés dans l’ombre, sonnent avec une authenticité brute, rappelant que ce monde est peuplé de survivants, non de héros.
La spatialisation sonore, même sur Switch, parvient à préserver une immersion étonnante : entendre le craquement du bois sur la houle, le souffle du vent s’engouffrant dans les voiles, ou le claquement sec d’un tir de mousquet dans la nuit reste un plaisir brutal, presque animal.
Cordages usés et mirages de liberté
The Rebel Collection ne se contente pas d’empiler deux jeux emblématiques : elle ajuste son gréement pour mieux tenir le cap sur Nintendo Switch. Le portage inclut tous les contenus solo additionnels : les missions spéciales, les armes bonus, et La Trahison de Washington pour Rogue, offrant ainsi une fresque complète sans besoin de téléchargement supplémentaire.
Côté technique, la Switch s’en tire avec les honneurs, mais non sans quelques concessions. La fluidité plafonne à 30 images par seconde, parfois secouée lors des abordages en pleine tempête ou des combats de rue les plus densément peuplés. Les détails graphiques, notamment en mode portable, subissent une compression visible sur les environnements lointains et les effets de particules. Pourtant, malgré ces accrocs, l’ensemble reste robuste : les voyages en mer conservent leur souffle, les cités bruissement de vie, et l’élan narratif n’est jamais entravé par la technique.
En termes d’ergonomie, The Rebel Collection ajoute un contrôle tactile dans les menus et les cartes, une visée gyroscopique plus naturelle pour les armes à feu et les canons, ainsi qu’un système de sauvegarde manuel renforcé, très appréciable pour découper les longues traversées en sessions plus digestes.
Cependant, si l’expérience solo est parfaitement respectée, elle laisse aussi intactes certaines lourdeurs d’époque : trajets parfois répétitifs, missions d’espionnage au rythme poussif, mécaniques d’infiltration moins fines qu’elles ne le paraissent aujourd’hui. The Rebel Collection est fidèle, jusqu’à ses cicatrices.
Il faut aussi souligner l’absence totale de contenu multijoueur, contrairement aux versions d’origine : un choix assumé, mais qui prive la compilation d’une part de son ADN compétitif. Reste alors une aventure solitaire, tendue entre le fracas des vagues et les murmures de trahison.
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