Dernier volet d’une trilogie signée Yoko Taro, Voice of Cards: The Beasts of Burden arrive le 4 mai 2023 sur Xbox Series, six mois à peine après un second opus qui avait su convaincre par sa mélancolie subtile. En l’espace de neuf mois, Alim boucle une série de trois épisodes, une cadence qui interroge sur la capacité du studio à maintenir l’élan créatif et la fraîcheur nécessaires. Entre continuité esthétique, mécaniques familières et tentatives d’innovation, ce troisième épisode peine à dissimuler l’usure d’un concept qui tourne en rond.
Une quête de vengeance sans relief
Voice of Cards: The Beasts of Burden plonge le joueur dans un monde où humains et monstres se livrent une guerre sans fin. Vous incarnez Alphée, une jeune fille vivant recluse dans une cité souterraine, marquée par un drame qui va la pousser à entreprendre une vendetta contre les créatures responsables du massacre de son village. Sauvée in extremis par un mystérieux jeune homme, elle découvre bientôt un pouvoir rare : la capacité de capturer et d’invoquer les monstres ennemis pour les utiliser en combat.
Si la série avait su, jusque-là, cultiver une narration teintée de mélancolie et de poésie, ce troisième opus s’engouffre dans une intrigue convenue, réduite à une histoire de vengeance dénuée de subtilité. L’humour discret et les moments d’humanité qui ponctuaient The Forsaken Maiden cèdent ici la place à une noirceur artificielle et des personnages principaux taillés dans les clichés du shōnen. Le duo formé par Alphée et son compagnon anonyme manque cruellement de nuance : regards ténébreux, traumatismes téléphonés, et dialogues d’une platitude confondante.
Le changement de narrateur, qui aurait pu apporter une bouffée d’air frais, finit d’achever l’immersion. La voix féminine, au ton monocorde et ponctuée de sarcasmes mal dosés, brise la magie instaurée par ses prédécesseurs. Là où la narration de The Forsaken Maiden parvenait à captiver, The Beasts of Burden échoue à susciter le moindre attachement.
Une mécanique de capture qui tourne à vide
À première vue, The Beasts of Burden semble reprendre fidèlement la formule des deux précédents opus : un plateau intégralement composé de cartes, des combats au tour par tour, et une exploration lente et méthodique d’un univers morcelé. Mais derrière cette façade familière se cache une innovation centrale : la capacité pour Alphée de capturer les monstres rencontrés et de les invoquer en combat.
Sur le papier, cette mécanique rappelle les grands classiques du genre, de Dragon Quest V à Octopath Traveler, et laissait espérer une profondeur stratégique inédite dans la série. En pratique, elle se révèle plus gadget que révolutionnaire. La capture impose de multiplier les combats, amplifiant la sensation de répétition déjà présente dans les deux premiers jeux. Les créatures capturées, bien qu’utiles pour varier les attaques, peinent à apporter un véritable renouvellement à une boucle de gameplay qui s’épuise rapidement.
Le rythme narratif, autrefois ponctué de respirations subtiles, se voit brisé par des combats aléatoires trop fréquents. Cette profusion de rencontres parasite l’exploration et alourdit une progression qui n’a jamais été pensée pour accueillir un tel système.
Enfin, les petites variations de mise en scène – choix de dialogues, effets visuels, micro-événements – ne suffisent pas à masquer une réalisation mécanique et sans âme, qui trahit l’essoufflement d’un concept exploité trois fois en moins d’un an.
Un écrin visuel raffiné miné par une narration désaccordée
Sur le plan esthétique, The Beasts of Burden conserve la patte artistique élégante qui a fait la renommée de la trilogie. Les illustrations de cartes, toujours aussi soignées, dévoilent un bestiaire riche et des environnements variés, oscillant entre plaines désolées et déserts brûlants. Chaque planche est un tableau minutieusement travaillé qui, malgré une certaine redondance, continue de séduire par sa finesse.
La bande-son, signée Keiichi Okabe, s’inscrit dans la continuité des deux premiers volets. Les thèmes mélancoliques et les harmonies délicates accompagnent l’aventure avec justesse, mais peinent à se renouveler. Aucune composition ne parvient à égaler l’impact émotionnel des morceaux emblématiques de The Forsaken Maiden.
Là où le bât blesse véritablement, c’est du côté de la narration audio. Le changement de narrateur, déjà évoqué, s’avère désastreux. La voix féminine, dénuée de la chaleur et du phrasé captivant de son prédécesseur, impose un ton désincarné qui brise l’immersion. Ses inflexions sarcastiques, mal intégrées, trahissent une direction artistique en perte d’équilibre.
Si la forme reste séduisante, le fond révèle une série qui tourne en rond, prisonnière d’un cadre trop étroit pour porter l’émotion et l’impact qu’elle ambitionne.
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