Sorti le 25 avril 2023 sur Nintendo Switch, PlayStation 4, PlayStation 5 et PC, Fairy Fencer F: Refrain Chord marque le retour inattendu d’une licence que le temps semblait avoir laissée au bord de la route. Héritier direct d’un JRPG mineur datant de 2014, ce nouvel opus rompt brutalement avec l’ADN de son prédécesseur pour s’installer dans un territoire plus balisé : celui du tactical-RPG à la japonaise, fait de cases serrées, de buffs sonores et de stratégies mobiles.
Développé par Compile Heart et édité par Idea Factory, Refrain Chord assume d’emblée son statut d’outsider : il ne cherche pas à rivaliser avec les poids lourds du genre, mais à creuser une niche tactique à la croisée du fan-service, de l’expérimental musical et du recyclage formel. Reste à savoir si cette mélodie composite mérite l’écoute… ou s’il s’agit d’un refrain oublié avant même d’avoir trouvé son tempo.
Des voix sur un damier, une mécanique qui transcende son héritage
Fairy Fencer F: Refrain Chord abandonne les schémas classiques du JRPG pour embrasser pleinement le format du tactical-RPG, dans la droite lignée des Disgaea, Hyperdevotion Noir ou des derniers Fire Emblem. Chaque affrontement se déroule sur une grille restreinte, où la mobilité, la portée, le positionnement et les effets de terrain dictent l’efficacité de vos décisions. Rien de nouveau en apparence. Et pourtant, c’est là que le jeu déploie son véritable potentiel.
Tous les personnages sont des Fencers, liés à une fée qui leur confère des pouvoirs spécifiques, évolutifs et surtout… interchangeables. Ce système, à la fois souple et profondément stratégique, permet de recomposer en permanence votre escouade, sans jamais figer les rôles dans des archétypes rigides. Un soigneur peut devenir tank. Un mage, un soutien. Un DPS, un buffeur. Il suffit de transférer une fée — et l’ensemble de ses compétences acquises — d’un corps à un autre.
Cette versatilité transforme radicalement l’approche du combat : le jeu vous invite à penser en fonctions et non en classes. L’unité n’est plus définie par sa nature, mais par sa synergie temporaire avec l’esprit qui l’habite. Chaque mission devient une occasion d’adapter votre dispositif, de tester de nouveaux agencements, de répondre aux contraintes par la flexibilité pure.
À cette mécanique déjà brillante s’ajoute une autre innovation : les Muses. Ces unités spéciales chantent, littéralement, pendant le combat. Leur chant génère des zones d’influence mouvantes, capables de renforcer vos alliés ou de perturber les buff ennemis. Lorsque deux Muses s’affrontent, leurs chants se superposent, créant des zones conflictuelles amplifiées, à la fois tactiques et visuellement identifiables.
L’idée est à la fois audacieuse et parfaitement exécutée. Car en plus de ses effets mécaniques, la Muse modifie la bande-son du combat. La musique se mêle à l’action, se spatialise, évolue en temps réel. C’est un T-RPG où l’attaque ne se pense plus uniquement en chiffres, mais aussi en résonance.
Enfin, chaque personnage peut fusionner avec sa fée principale, déclenchant une transformation temporaire qui amplifie ses statistiques et débloque des compétences uniques. Ces états de fusion deviennent des pics de rythme, des bascules de puissance qu’il faut apprendre à anticiper autant qu’à contrer.
Ce gameplay dense, précis, versatile, fait de Refrain Chord un exercice tactique passionnant, au niveau des meilleurs du genre. Il ne cherche pas l’innovation de façade, mais la profondeur structurelle. Et il l’atteint, pleinement.
Un RPG prisonnier d’un moteur oublié
Sur le plan visuel, Fairy Fencer F: Refrain Chord accuse un retard qui ne s’explique ni par un choix stylistique, ni par une contrainte budgétaire assumée. Le jeu n’a pas simplement vieilli : il semble n’avoir jamais quitté l’ère de la PlayStation 2. Polygones anguleux, textures floues, aliasing constant, environnements sans profondeur — chaque plan trahit l’absence de mise à niveau technique.
Le moteur ne montre aucun effort d’optimisation sur Nintendo Switch : les modèles de personnages sont figés, les décors figés, les effets visuels réduits à l’essentiel. La lisibilité est correcte, mais la direction artistique ne compense jamais la pauvreté d’exécution. Le character design 2D reste fidèle aux codes Compile Heart — silhouettes exagérées, couleurs saturées, poses archétypales — mais ces illustrations statiques jurent avec la platitude des modèles 3D.
Et pourtant, quelques éléments tentent de surnager. Les cinématiques animées bénéficient d’un soin réel : elles affichent une fluidité inattendue et une mise en scène dynamique qui rappelle les ambitions des génériques d’anime des années 2000. Ces séquences, trop rares, révèlent un potentiel esthétique que le moteur in-game n’est jamais capable de prolonger.
Côté audio, en revanche, Refrain Chord surprend. Les musiques de combat sont variées, énergiques, et intégrées à la mécanique des Muses. Les chants sont véritablement interprétés en temps réel, modifiant l’ambiance musicale du champ de bataille selon les zones de contrôle. Ce travail de spatialisation sonore donne au gameplay une épaisseur sensorielle rare dans le genre.
Mais cette réussite sonore est fragilisée par un autre choix éditorial discutable : le jeu est entièrement doublé en anglais, sans option de voix japonaises, ni traduction française. Et le doublage anglais, sans être catastrophique, ne parvient jamais à crédibiliser les personnages ou à porter les scènes les plus verbeuses. Les dialogues, déjà mal écrits, deviennent artificiels. L’immersion s’effondre.
Fairy Fencer F: Refrain Chord échoue donc à construire un écrin à la hauteur de son système de jeu. Il y a bien une bande-son pensée, une interface fonctionnelle, un effort sur la lisibilité. Mais tout le reste — textures, modélisations, animations — trahit un RPG trop grand pour son moteur.
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