Sorti le 19 octobre 2018 sur Nintendo Switch, Dark Souls Remastered signe une rencontre inattendue entre l’un des RPG les plus exigeants de l’histoire du médium et une console portable. Porté par Virtuos, ce remaster du titre fondateur de FromSoftware propose à la fois l’intégralité de l’expérience originale et un défi technique : adapter l’univers sombre, complexe et punitif de Lordran à un matériel fondamentalement nomade.
Mais cette transposition peut-elle réellement préserver l’intensité mécanique, la précision tactique et la puissance d’immersion qui ont défini Dark Souls depuis 2011 ? Ou s’agit-il d’une version allégée, éprouvante plus par ses contraintes que par son exigence ludique ?
Le récit brisé de Lordran
Dans Dark Souls Remastered, la narration reste fidèle au matériau d’origine : cryptique, fragmentée, profondément environnementale. Le joueur incarne un Mort-vivant, marqué par la malédiction, plongé dans les ruines de Lordran, un royaume déchu hanté par les dieux, les dragons et les légendes oubliées.
Aucune cinématique explicative, aucun journal de quête. L’histoire s’assemble à la main, par l’observation minutieuse des lieux, la lecture des descriptions d’objets, et les bribes de dialogue échappées des rares figures rencontrées. Le jeu ne raconte rien de front. Il laisse l’espace au doute, à l’interprétation, et au silence. Cette approche, si singulière, n’est en rien altérée dans la version Switch.
Chaque architecture, chaque relique, chaque feu de camp évoque un monde qui s’effondre sur lui-même. Le cycle de la lumière et des ténèbres, l’ascension puis la chute des seigneurs, l’ambiguïté de la prophétie — tout est encore là, intact, porté par une écriture en creux d’une rare densité.
Seul bémol : en mode portable, la lisibilité visuelle nuit à cette lecture du décor. Certaines inscriptions sont floues, les détails environnementaux s’écrasent sur l’écran réduit, et une partie du récit visuel s’atténue mécaniquement. Mais en termes de contenu narratif pur, l’expérience reste inchangée.
Une mécanique intacte sur un terrain instable
Dark Souls Remastered sur Switch conserve l’intégralité des systèmes de jeu de l’original, sans adaptation ni assouplissement. Le verrouillage d’ennemi, la gestion d’endurance, les roulades, les parades, les frames d’invulnérabilité, les hitboxes précises : tout est là, sans compromis ludique.
Mais cette fidélité absolue devient un handicap sur Switch. Les limitations matérielles, en particulier les Joy-Con, compromettent la précision d’exécution indispensable au bon fonctionnement du système de combat. Les boutons minuscules, le manque de retour physique et l’ergonomie peu adaptée rendent les affrontements plus frustrants qu’exigeants.
Ce n’est pas le jeu qui est plus difficile, c’est la manette qui trahit l’intention initiale. Sur les boss, où chaque esquive mal timée peut être fatale, le moindre flottement d’input devient une condamnation. Le problème ne réside pas dans le game design, mais dans la fracture entre la profondeur des systèmes et les moyens de les manipuler.
Le level design, quant à lui, reste l’un des plus brillamment interconnectés de l’histoire du jeu vidéo. Les zones s’enchaînent avec une logique topographique dense, les raccourcis se révèlent comme des révélations structurelles, et l’apprentissage de l’espace devient une compétence en soi. Rien n’a été modifié dans cette version : la structure de Lordran est intégrale.
En revanche, l’absence de confort moderne se fait ressentir. Pas de touche de raccourci pour le saut (toujours mappé sur une double pression de la roulade), une interface vieillissante, et un système de menu peu lisible sur écran réduit. Le remaster n’a rien fluidifié. Il s’est contenté de transposer.
Une atmosphère affaiblie mais toujours intacte
L’identité visuelle et sonore de Dark Souls repose sur une direction artistique plus que sur la technique brute. Lordran, avec ses citadelles effondrées, ses cathédrales cyclopéennes, ses marécages suffocants et ses tombeaux sans fin, demeure un chef-d’œuvre d’ambiance. Mais sur Switch, cet impact sensoriel perd une partie de sa force.
La version remasterisée tourne à 30 fps constants, même dans des zones historiquement instables comme Blighttown. Un gain non négligeable par rapport aux versions PS3 et Xbox 360. Toutefois, la résolution dynamique, oscillant entre 720p en mode portable et 900p en mode docké, altère la netteté globale. Les textures retravaillées s’affichent en retrait, les effets de lumière perdent leur volume, et les détails architecturaux deviennent plus difficiles à discerner.
Le character design, conçu pour être vu à distance dans des environnements oppressants, souffre sur l’écran réduit de la Switch, où l’échelle se dilue et l’immersion visuelle vacille. En mode portable, certains éléments de décor — clefs, messages, objets — deviennent difficilement lisibles, ce qui affaiblit une partie de la narration environnementale.
Côté son, la compression audio atténue l’impact des effets et des compositions orchestrales. Les bruits de pas sur la pierre, les cris dans les catacombes, le fracas des épées — tout paraît plus lointain, moins charnel. Les musiques de boss, habituellement écrasantes, manquent d’épaisseur et d’ampleur, réduisant la tension dramatique dans les moments cruciaux.
Ce n’est pas une trahison. C’est une atténuation. L’univers de Dark Souls reste présent, mais ses armes les plus sensorielles ont été émoussées.
Une portabilité séduisante au prix de l’ergonomie
Dark Souls Remastered sur Switch repose sur une promesse forte : emporter Lordran partout. Et sur ce point, l’objectif est tenu. Le jeu tourne correctement, la stabilité est au rendez-vous, et l’intégralité du contenu est présente, y compris le DLC Artorias of the Abyss. En apparence, tout fonctionne. Mais derrière cette portabilité réussie, de nombreuses concessions structurelles viennent miner le confort global de jeu.
Premier écueil : l’absence de refonte ergonomique. L’interface n’a pas été retravaillée pour l’écran réduit. Les textes sont petits, certains menus difficilement lisibles en portable, et aucune option d’agrandissement ou de mise à l’échelle n’est proposée. Le jeu vous invite à plonger dans ses systèmes complexes, sans adapter son affichage à ce nouveau format.
Les commandes, elles, sont fonctionnelles en manette Pro ou en mode docké, mais deviennent rapidement laborieuses avec les Joy-Con. L’absence de feedback physique, la faible taille des sticks et des boutons rendent l’exécution imprécise et parfois frustrante, surtout dans les combats les plus tendus.
Côté multijoueur, le système d’invocation et d’invasion reste identique à l’original. Pas d’amélioration de matchmaking, pas de nouvelles options de filtrage. L’ensemble fonctionne, mais reste aussi opaque qu’à l’époque. De même, aucun ajout d’accessibilité moderne : pas de remapping des touches, pas de mode simplifié, pas d’aides visuelles pour les malvoyants ou les joueurs sensibles à l’effort répétitif.
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