Sorti le 19 octobre 2021 sur Nintendo Switch, Youtubers Life 2 est le fruit du studio indépendant Uplay Online, distribué par Raiser Games. Suite directe d’un premier épisode aussi tiède que confus, ce second opus prétend affiner sa formule entre simulation de vie et gestion d’une carrière d’influenceur. Le programme est clair : vous propulser au sommet de la hiérarchie des créateurs de contenu numériques, micro en main et algorithmes aux trousses.
Mais à vouloir singer les codes du succès numérique sans en comprendre les ressorts, le jeu livre une parodie involontaire de ce qu’il tente de reproduire. Derrière les pixels souriants et les avatars trop lisses, se cache une mécanique grinçante, rongée par des défauts techniques criants et un système de progression cadenassé.
Peut-on bâtir un empire numérique crédible sur les ruines d’un gameplay instable et d’une direction sans vision ? Le doute s’invite dès les premiers instants de jeu, et ne vous quitte plus.
Selfies, scripts et syndrome de la Story parfaite
Dans Youtubers Life 2, vous incarnez un créateur en devenir, fraîchement débarqué dans une ville peuplée d’influenceurs, où chaque ruelle semble construite pour servir de décor à une story Instagram. Dès votre installation, le ton est donné : votre quotidien se partage entre tournages, montages, achats compulsifs et quêtes calibrées autour d’objectifs numériques. Ce qui devait être une satire douce-amère d’un monde saturé par les apparences devient une immersion totale dans ses codes les plus creux.
La progression narrative repose sur un découpage en “missions principales”, censées retracer l’ascension d’un influenceur vers les sommets de la plateforme U-Tube. Vous choisissez un quartier, définissez une orientation de contenu, mais très vite, les spécificités initiales s’estompent. Quel que soit le profil sélectionné, les mêmes visages vous accueillent, les mêmes quêtes se succèdent, les mêmes contraintes rythment votre emploi du temps. Les “stars” croisées au fil de l’aventure — comme le très réel Inoxtag — ne sont pas des personnages, mais des trophées, des cases à cocher pour valider votre progression.
Le monde qui vous entoure se veut vibrant, mais suit un schéma rigide. Chaque PNJ se présente comme une mécanique sociale à activer : augmenter son niveau d’affinité pour débloquer des collaborations, répondre à ses besoins pour obtenir des bonus. Ce fonctionnement gamifié des relations humaines réduit chaque interaction à une statistique à optimiser. Loin d’une écriture incarnée, on traverse des dialogues plats, sans aspérité, dictés par l’algorithme interne du jeu comme par celui de la plateforme fictive.
L’univers dépeint dans Youtubers Life 2 ne met pas en scène une quête personnelle ni un récit d’ambition contrariée. Il déroule un mode d’emploi. Chaque choix semble présélectionné, chaque trajectoire prédéfinie. Le protagoniste ne se débat pas contre les codes du système : il les épouse, les reproduit, les glorifie. Ce n’est pas une histoire, c’est un tableau de bord. Et l’on y évolue moins en personnage qu’en profil publicitaire.
L’algorithme commande, vous exécutez
Le cœur mécanique de Youtubers Life 2 bat au rythme d’un calendrier de micro-tâches, guidé par l’obsession d’une visibilité numérique toujours plus grande. Chaque journée débute avec la pression silencieuse de l’algorithme U-Tube, véritable divinité du jeu, qui dicte vos choix, vos déplacements et jusqu’à vos moindres gestes. Créer du contenu, suivre les tendances, optimiser les tags : tout est orienté vers une seule finalité, accumuler des vues à la chaîne.
Le système de gameplay repose sur une boucle simple, presque hypnotique : capter une séquence, la ponctuer de “cartes” symbolisant vos réactions, puis assembler le tout dans un mini-jeu de montage sommaire. L’outil de création, censé représenter le cœur de votre activité, fonctionne davantage comme un puzzle à résoudre mécaniquement que comme une interface de création libre. Aucun plan ne s’élabore, aucune narration ne s’esquisse. La vidéo devient une addition de points, une ligne dans un tableur.
Votre quotidien s’articule autour de déplacements réguliers dans différents quartiers de la ville. Chaque lieu regorge d’activités secondaires, de personnages à rencontrer, d’objets à collectionner. En surface, le jeu semble offrir une certaine liberté d’action. Mais très vite, cette illusion se dissipe. Les objectifs principaux imposent des passages obligés dans chaque zone, brisant toute sensation de choix véritable. Impossible de se spécialiser ou d’ignorer certains pans du gameplay : chaque mécanique doit être activée, chaque fonctionnalité exploitée.
Les tendances évoluent en temps réel, forçant à une veille constante. Faire un pas de côté, ignorer une mode passagère ou créer un contenu plus personnel revient à saboter votre propre progression. L’expérience s’apparente à une simulation d’épuisement : jongler entre les stories, les lives, les montages express, les publications sociales. Loin de vous donner les moyens de raconter une trajectoire singulière, le jeu vous impose une méthode, une posture, une ligne éditoriale.
Même les objets achetés — meubles, consoles, costumes — s’insèrent dans cette logique algorithmique. Leur fonction dépasse largement le décor ou le style personnel : ils influencent directement vos résultats. Un nouveau canapé n’est pas un choix esthétique mais un multiplicateur de vues. Un chapeau ridicule devient un outil stratégique. Cette logique transforme chaque élément du jeu en levier de performance, réduisant l’ensemble à une mécanique froide et calibrée.
La ville en carton-pâte et le silence creux des likes
Visuellement, Youtubers Life 2 affiche une esthétique colorée, presque sucrée, qui cherche à séduire un jeune public par des environnements joyeux, des avatars rieurs et des interfaces saturées de néons. La ville se compose de plusieurs quartiers distincts, chacun conçu pour représenter un pan spécifique de la vie numérique : gaming, mode, cuisine… Mais sous cette façade lumineuse se cache un décor figé, sans respiration ni âme véritable.
Les modèles de personnages arborent une silhouette caricaturale et rigide, héritée d’un design daté, avec des animations rudimentaires qui peinent à traduire la moindre intention. Les expressions faciales demeurent minimalistes, tandis que les déplacements manquent de fluidité. Chaque mouvement semble animé à la chaîne, sans nuance ni personnalité. Les PNJ se répètent à l’identique, tant par leurs comportements que par leurs tenues, renforçant la sensation de traverser un décor préfabriqué.
Les environnements, bien qu’agréablement agencés dans leur architecture, souffrent d’un manque de détail flagrant. Les textures apparaissent ternes, les intérieurs sont dépourvus de vie, et la ville entière semble en pause, comme si elle attendait votre passage pour s’animer brièvement avant de replonger dans l’inertie. Même les éléments supposés dynamiques, comme les bornes d’interaction ou les accessoires de décoration, sont peu réactifs et servent davantage d’ornement que de vecteur de gameplay.
La direction artistique, quant à elle, assume un ton volontairement léger, mais refuse d’en faire un terrain de contraste ou de satire. Aucun effort ne vient rompre l’uniformité visuelle. Tout est lisse, aseptisé, calibré pour ressembler à une chaîne YouTube jeunesse, sans variation ni relief. Ce choix, cohérent avec l’univers qu’il cherche à représenter, n’en reste pas moins étriqué.
Côté ambiance sonore, Youtubers Life 2 opte pour des mélodies génériques, très orientées vers des boucles musicales sans âme, répétées jusqu’à l’usure. Aucune composition ne marque, aucun thème ne s’impose. Le fond sonore se contente d’occuper l’espace, comme un bruit de fond de stream laissé en autoplay. Les bruitages d’interaction, eux aussi, se veulent fonctionnels sans jamais renforcer l’atmosphère ou offrir la moindre variation sensible.
Le doublage est absent, remplacé par des onomatopées artificielles et des textes affichés sans mise en scène vocale. L’absence de voix affaiblit encore davantage l’attachement aux personnages, réduits à des figurines décoratives dénuées de substance. Le résultat global s’apparente à un habillage de surface, pensé pour séduire au premier coup d’œil, mais incapable de soutenir une expérience plus profonde ou cohérente.
Scripts cassés et réseaux figés
Dès les premières minutes, Youtubers Life 2 dévoile une facette technique particulièrement instable. La création de personnage, censée être votre porte d’entrée dans cet univers connecté, se heurte à une avalanche de dysfonctionnements. Animations manquantes, textures aléatoires, objets qui s’évaporent à l’écran : tout semble indiquer un moteur peu maîtrisé, incapable de garantir la moindre cohérence visuelle ou fonctionnelle.
Sur Nintendo Switch, l’expérience souffre d’une optimisation négligée. Les ralentissements sont fréquents, les chargements parfois interminables, et les crashs ponctuent certaines sessions sans prévenir. Mais au-delà de la simple performance, c’est surtout la fragilité structurelle du jeu qui interpelle. Certains scripts de quêtes échouent à se déclencher, des objets-clés disparaissent après une simple manipulation, et certains bugs bloquent littéralement la progression. Le plus emblématique reste ce moment où le tutoriel, pourtant censé guider les premiers pas du joueur, peut vous enfermer dans une impasse dès l’installation de votre première console.
Aucun correctif n’a été apporté pour pallier ces dysfonctionnements pourtant majeurs, alors même que le jeu est disponible depuis plus de deux ans. Cette inertie renforce l’impression d’un produit figé dans son état de sortie, sans volonté d’amélioration ou de suivi. Ce constat s’applique aussi aux interactions sociales, souvent interrompues par des PNJ qui refusent d’apparaître, ou des séquences qui se déclenchent dans le désordre, au mépris de la logique du scénario.
La structure générale du jeu, bien que théoriquement pensée pour offrir de multiples parcours, limite considérablement la rejouabilité. Les choix initiaux, comme le quartier d’arrivée ou le type de contenu favorisé, n’influencent que la surface de l’expérience. Le squelette des objectifs reste identique, les scripts suivent un déroulé linéaire, et la progression obéit à une logique unique. Aucun embranchement narratif, aucune alternative marquante ne vient redéfinir l’aventure lors d’une seconde partie.
Le titre ne propose ni mode multijoueur, ni options sociales innovantes, malgré le sujet central qu’il exploite. Aucune véritable connexion ne s’instaure entre les joueurs, aucun système communautaire ne vient nourrir ou diversifier l’expérience. Cette absence de lien extérieur, dans un jeu centré sur les réseaux, accentue encore le paradoxe fondamental de sa conception.
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