Avec King’s Bounty II, le studio russe 1C Entertainment s’attaque à une figure fondatrice du RPG tactique, bien décidée à faire oublier les errements de son lancement initial. Sorti en août 2021 dans une version qui peinait à convaincre, le jeu s’offre une seconde vie depuis le 14 septembre 2023, grâce à une mise à jour next-gen pensée pour sublimer son potentiel technique et redonner ses lettres de noblesse à une licence autrefois incontournable.
Sous la bannière de Prime Matter, cette nouvelle itération ambitionne de conjuguer exploration en monde ouvert et combats tactiques au tour par tour, tout en s’appuyant sur un système d’alignement moral particulièrement ambitieux. Le résultat ? Une expérience singulière, profonde, imparfaite mais résolument atypique, qui s’adresse autant aux amoureux de la stratégie qu’aux amateurs de choix narratifs à conséquences. Car King’s Bounty II n’est pas un jeu d’échecs médiéval : c’est un miroir déformant où chaque décision modèle le monde, les troupes… et vous-même.
Trois visages pour un royaume brisé
King’s Bounty II débute là où tout pouvoir se fissure : dans l’ombre d’un trône menacé, d’un royaume à la dérive, et d’une vérité que chacun interprète à sa manière. Trois héros. Trois regards. Aivar, mercenaire pragmatique et banni. Elisa, paladine animée par la foi et la rébellion. Katharine, noble déchue aux arcanes affûtées. Chacun d’eux porte un fardeau, une blessure, un passé à panser – et c’est à travers ce prisme personnel que s’écrit toute la narration.
Dès l’introduction, le jeu pose sa différence : le point de vue ne change pas le monde, mais change la manière de le percevoir. La trame reste la même, mais le ton, les dialogues, les interactions et les ramifications morales se modifient en fonction du personnage choisi. Là où d’autres RPGs cherchent à tordre le scénario selon les choix du joueur, King’s Bounty II assume une approche plus subtile : ce n’est pas la réalité qui change, c’est votre interprétation d’elle.
Le royaume de Nostria, ravagé par la guerre, rongé par la corruption et agité par des complots occultes, devient alors le théâtre d’une quête moins héroïque que politique, moins épique que personnelle. Vos décisions ne renversent pas l’ordre établi, mais façonnent le regard que l’on porte sur vous. Et c’est là que réside la puissance du jeu : dans cette tension permanente entre idéal et intérêt, devoir et conviction.
Chaque dialogue, chaque quête secondaire, chaque intervention dans les affaires d’un village ou d’une faction révèle une facette de votre héros. Et King’s Bounty II ne cherche jamais à juger vos choix, mais à vous en faire porter le poids narratif. Loin des schémas binaires, le titre propose un système de points d’alignement – Ordre, Anarchie, Force, Finesse – qui ne sont pas que des jauges mécaniques, mais des reflets de votre trajectoire morale.
Les quêtes annexes, nombreuses, sont souvent structurées de manière classique, mais gagnent en saveur grâce à des dialogues soignés, des personnages secondaires bien écrits, et une mise en scène simple mais efficace. S’il manque parfois un souffle épique à l’ensemble, la qualité d’écriture et la cohérence globale de l’univers compensent largement cette retenue.
Loin des récits manichéens, King’s Bounty II propose une histoire au service d’un personnage, et non l’inverse. Un récit intérieur, qui ne cherche pas à bouleverser le monde, mais à explorer les fractures d’un individu face à un royaume dévasté.
L’équilibre des forces, l’instabilité des principes
King’s Bounty II est un RPG tactique à deux visages, qui alterne entre exploration en monde ouvert à la troisième personne et affrontements au tour par tour sur grille hexagonale. Cette dualité structure toute l’expérience. D’un côté, vous parcourez le royaume de Nostria, par monts et villages, à cheval ou à pied, en quête de missions, de recrues et d’indices. De l’autre, vous commandez vos troupes sur des champs de bataille délimités, dans des escarmouches stratégiques d’une redoutable intensité.
Au cœur de ce système : l’alignement. Vos choix narratifs, vos réponses en dialogue, vos actions sur le terrain nourrissent l’un des quatre axes éthiques du jeu : Ordre, Anarchie, Force, Finesse. Ces choix ne se contentent pas d’orienter vos aptitudes : ils déterminent les unités que vous êtes autorisé à recruter. Un paladin de l’Ordre refusera de suivre un mercenaire en quête de profit. Une créature liée à l’Anarchie désertera si vous penchez vers l’autorité. L’équilibre idéologique devient alors une mécanique tactique à part entière.
Chaque arbre d’alignement dispose de son propre style de jeu : l’Ordre renforce la cohésion et les soins, la Force privilégie la robustesse et la brutalité, la Finesse s’appuie sur la magie et les effets de statut, tandis que l’Anarchie favorise la mobilité, les coups critiques et les actions déstabilisantes. Le système pousse à l’hybridation modérée : deux arbres complémentaires permettent une armée cohérente, tandis que la dispersion dilue votre efficacité.
Les combats, quant à eux, reposent sur une structure éprouvée. Chaque affrontement commence par une phase de déploiement, où vous placez vos unités dans une zone déterminée. Le héros, quant à lui, n’intervient pas directement sur le champ de bataille, mais projette des sorts de soutien ou de destruction, dont la puissance dépend de ses compétences personnelles. Il influe aussi sur le moral, la vitesse, et la synergie globale de l’armée.
Les unités fonctionnent par groupes, chaque groupe représentant une escouade : trois lanciers, cinq archers, deux cavaliers… Plus le groupe est entamé, moins il est performant. La gestion des pertes devient cruciale : un soldat tombé ne revient pas, sauf si vous le remplacez par une nouvelle unité. Le soin ne peut ramener à la vie, mais uniquement stabiliser ce qui reste. Il en découle une stratégie à long terme, où la prudence vaut parfois mieux qu’un assaut mal préparé.
Chaque unité dispose de compétences passives et actives, de statistiques propres, et d’un comportement conditionné par son alignement. Certaines troupes refusent d’obéir si votre conduite les contredit. D’autres déclenchent des effets bonus lorsqu’elles sont alignées avec vos choix. Le positionnement, les attaques de flanc, la prise de hauteur, et la gestion du terrain s’ajoutent à cette complexité, pour créer des affrontements lents, exigeants et tendus.
En dehors du champ de bataille, la progression suit un canevas plus classique : quêtes principales, missions annexes, dialogues à embranchements, exploration libre. Mais ici encore, l’alignement influe : certains choix ferment des portes, interdisent l’accès à certains PNJ, ou déclenchent des réactions hostiles. La liberté est réelle, mais structurellement cadrée par vos décisions.
Seul bémol : la courbe de difficulté, parfois imprévisible. L’exploration non linéaire vous amène régulièrement à croiser des ennemis bien au-dessus de votre niveau, sans avertissement clair. Le monde est vaste, mais son balisage reste perfectible.
Miroirs de brume et éclats de gloire
Dans cette version optimisée pour Xbox Series, King’s Bounty II s’offre une seconde vie graphique, bien au-delà d’un simple lifting technique. Le moteur, déjà solide sur PC, gagne ici en netteté, distance d’affichage, fluidité et profondeur de champ, redonnant souffle à un univers qui peinait parfois à convaincre à sa sortie initiale.
Le monde de Nostria, imprégné d’un folklore médiéval slave, s’affiche désormais dans toute sa densité. L’exploration traverse des vallées brumeuses, des forteresses effondrées, des villages battus par le vent, des forêts hantées de murmures. Chaque environnement bénéficie d’un traitement atmosphérique soigné, où la lumière perce à travers les nuages, où la neige crisse sous les sabots, où les ombres s’étirent sur les flancs de collines abandonnées.
La direction artistique, sobre mais élégante, repose sur un mélange d’architecture romanesque, de couleurs froides, et d’éléments fantastiques discrets. Le résultat, moins flamboyant que les grandes productions AAA, n’en demeure pas moins cohérent et immersif, avec une vraie personnalité visuelle. Certains panoramas évoquent même les toiles de la peinture romantique russe, tout en conservant une lisibilité parfaite pour le gameplay.
Les modèles de personnages bénéficient d’une amélioration notable. Sans atteindre le photoréalisme, ils gagnent en détails, en animation, et en présence à l’écran. Les unités militaires, nombreuses et variées, affichent des silhouettes distinctes et facilement identifiables en combat. Chaque alignement possède ses propres codes visuels : noblesse pour l’Ordre, brutalité pour la Force, étrangeté pour la Finesse, chaos pour l’Anarchie.
Côté bande-son, le jeu déploie une partition orchestrale sobre mais efficace, où violoncelles, tambours lointains et nappes ambient accompagnent l’exploration sans jamais saturer l’espace sonore. Les musiques se font plus tendues en combat, plus éthérées dans les zones paisibles, avec une justesse de ton qui renforce l’ambiance plutôt que de la dicter.
Les doublages, en revanche, méritent une attention particulière. La version anglaise, pourtant standard par défaut, souffre d’un manque flagrant d’implication. Les intonations sont fades, les pauses mal dosées, les échanges souvent déconnectés du ton réel de la scène. Inversement, la version russe s’impose comme une évidence. Plus incarnée, plus dense, plus dramatique, elle colle parfaitement à l’univers et à ses inspirations culturelles, offrant une expérience sonore nettement supérieure.
Sur le plan technique, le jeu tourne de manière stable, avec des temps de chargement raccourcis, des textures propres, et aucune chute de framerate notable. Les animations restent sobres mais lisibles, et l’interface gagne en réactivité. Cette version next-gen corrige sans fanfare de nombreux petits défauts de fluidité et rend enfin justice à l’envergure visuelle du jeu.
L’équilibre fragile d’un monde vivant
King’s Bounty II s’ouvre sur un monde ouvert semi-dirigé, où l’exploration repose sur des zones cloisonnées, mais suffisamment vastes pour donner le sentiment de liberté. Chaque région propose ses villages, ses ruines, ses batailles cachées, et surtout ses quêtes secondaires. Si leur structure reste souvent classique (escorter, enquêter, éliminer), elles tirent leur force d’une écriture soignée, d’un contexte crédible, et d’un lien organique à votre alignement. Accepter ou refuser une mission, user de diplomatie ou d’intimidation, réclamer une récompense ou non : tout influe sur la construction de votre personnage.
Le jeu évite le piège des mécaniques superflues. Pas de crafting inutile, pas de collecte automatique à outrance. Chaque choix a du poids, chaque interaction une raison d’exister. L’économie repose sur la gestion de votre armée : payer des unités, les entretenir, les remplacer. Le titre ne cherche jamais à masquer sa nature tactique sous des artifices de RPG moderne. Il assume sa rigueur, quitte à perdre les amateurs de jeux plus permissifs.
Cette exigence se retrouve dans la gestion de la difficulté. Le jeu ne tient pas la main. Il vous laisse explorer à votre rythme… mais sans vous prévenir lorsque vous quittez votre zone de confort. Certains affrontements s’avèrent brutalement plus complexes, sans montée en puissance progressive. Une lecture plus claire de la puissance ennemie aurait sans doute permis d’éviter ces ruptures de rythme brutales.
Du côté de l’interface, cette version Xbox Series gagne en lisibilité. Les menus répondent mieux, les chargements s’enchaînent plus vite, et la carte du monde devient plus agréable à parcourir. Mais certaines lourdeurs persistent : l’inventaire manque encore d’options de tri, les descriptions d’unités sont parfois peu détaillées, et les déplacements du héros conservent une certaine inertie malgré l’ajout de la monture.
Enfin, côté contenu, le jeu ne propose pas de mode multijoueur ni de new game +. L’expérience reste fondamentalement solo, pensée pour être vécue d’une traite, avec une durée de vie qui oscille entre 35 et 50 heures, selon votre style de jeu et votre gestion des combats. Le choix d’un unique alignement majeur par partie limite la rejouabilité, mais encourage une approche cohérente de votre avatar.
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