Quand un studio formé par des vétérans de Dead Space, Call of Duty WWII et d’autres grands noms du blockbuster vidéoludique décide de se lancer dans la magie, l’instant retient son souffle. Créé en 2018 par Bret Robbins et une poignée d’artisans chevronnés, Ascendant Studios ne s’est pas aventuré dans l’ombre des indépendants. Il a visé haut. Très haut. Avec Electronic Arts pour totem de guerre, l’équipe a lancé le 22 août 2023 un premier projet au nom aussi solennel que prétentieux : Immortals of Aveum. Un FPS incantatoire destiné à bousculer les fondations d’un genre trop souvent condamné à son cycle balistique.
Ici, nul fusil, nulle mitraille. Les projectiles prennent la forme de glyphes élémentaires, et les canons se camouflent derrière des incantations colorées. Trois magies pour trois voies, trois écoles de destruction, et un seul élu pour les manier toutes. Une promesse simple : remplacer les balles par les runes, sans rien sacrifier de l’adrénaline.
Mais la magie suffit-elle à sublimer la formule ? Ce premier sort lancé par Ascendant Studios vise-t-il juste, ou s’éparpille-t-il comme une volée de particules sans cible ni direction ? Derrière les effets spéciaux et les ambitions scénaristiques, Immortals of Aveum possède-t-il vraiment une âme… ou simplement un joli enrobage digital ?
Contes de fées carbonisés et prophéties de pacotille
Dans le royaume fracturé d’Aveum, la Guerre Éternelle consume les terres, les souvenirs et les corps. Trois couleurs de magie pour trois forces en lutte, trois royaumes aux ambitions rivales, et un gouffre béant au milieu du monde pour rappeler à tous que le vide ne recule jamais. Dans ce chaos, un garçon surgit : Jack, orphelin de Seren, voleur acrobatique au grand cœur, lancé dans une vengeance programmée par les étoiles et propulsé sur les champs de bataille par une prophétie cousue à la hâte.
Le récit tisse un enchaînement d’archétypes où chaque rebondissement semble rédigé à l’encre d’un générateur automatique de clichés. Le héros, beau parleur et bagarreur, découvre sa singularité magique au détour d’un drame familial. L’ennemi, tout droit sorti d’un dictionnaire de fantasy, se nomme Sandrakk, grand seigneur des ténèbres coiffé d’un masque et flanqué d’une armée nommée… les Lames Sombres. Face à lui, l’ordre des Immortels défend le royaume de Lucium, lumineux bastion du Bien, avec tout le sérieux d’une chorale de super-héros cosmopolites.
Les personnages se succèdent avec la régularité d’une série du samedi matin : mentors charismatiques au regard sombre, généraux surentraînés, guerrières masquées à l’identité téléphonée, et compagnes perdues dans les méandres de scripts trop bavards. Tous suivent leur trajectoire sans dévier, encadrés par des dialogues qui échouent à éveiller le moindre relief. L’humour surgit souvent, mais tombe avec la lourdeur d’un sort raté, sans jamais parvenir à alléger le poids d’un récit qui s’enlise dans sa propre ambition cinématographique.
Le scénario cherche la grandeur, invoque des enjeux cosmiques, multiplie les effets de manche et les ralentis dramatiques. Mais chaque envolée s’écrase sur la platitude d’une écriture scolaire, qui oublie que l’émotion ne naît ni du volume sonore ni de la quantité d’explosions. La structure narrative, linéaire jusqu’à l’asphyxie, enchaîne les scènes comme des tableaux de storyboard, sans jamais permettre au joueur de s’attacher, de douter, ou simplement de s’interroger.
Immortals of Aveum tente de bâtir un univers, mais trace seulement un décor. Il empile les factions, les peuples, les conflits et les cartes, sans jamais tisser une légende. Le monde d’Aveum s’efface derrière l’artifice, englouti par une guerre trop convenue pour captiver, trop bruyante pour troubler.
Appuie sur X pour lancer un sort, ou pour tout gâcher
Sous ses dehors flamboyants, Immortals of Aveum est un FPS pur jus, transfiguré par une couche de magie colorée. Ici, les armes traditionnelles laissent place à trois types de sortilèges – rouge, bleu, vert – incarnant chacun une forme de puissance : force brute, précision ou contrôle. Ce système à trois branches, présenté comme une innovation de gameplay, reprend en réalité les bases d’un triangle d’arsenal où l’efficacité repose moins sur des faiblesses élémentaires que sur le bon outil au bon moment.
Le héros Jack, Triarque de son état, peut maîtriser l’ensemble des magies. À mesure que l’aventure progresse, son arsenal s’étoffe de variantes bien connues : tir concentré à moyenne portée, déflagration rouge en combat rapproché, projectiles à dispersion, et sorts d’interruption inspirés du stun traditionnel. Chacune de ces capacités est habilement animée, solidement intégrée, mais rarement surprenante. Derrière l’habillage magique, le level design reste celui d’un shooter moderne, balisé, rythmé par des couloirs, des arènes et des scripts millimétrés.
La prise en main s’appuie sur une ergonomie empruntée aux classiques du genre : gâchette pour tirer, stick droit pour viser, rechargement manuel. Oui, rechargement. Même la magie exige une gestion de munitions, justifiée par une pirouette scénaristique maladroite qui peine à masquer l’empreinte d’un certain Call of Duty. Jack recharge ses sorts comme on rechargerait une carabine. Une décision de design révélatrice : l’innovation visuelle masque une structure familière, voire dérivée.
Le gameplay se densifie avec quelques ajouts fonctionnels : un bouclier magique, une esquive chronométrée, une attaque au corps-à-corps symbolisée par une explosion d’énergie. Mais la véritable complexité surgit ailleurs – dans les contrôles surchargés. Le nombre de sorts et d’actions disponibles excède clairement les limites physiques de la manette. Résultat : des combinaisons de touches contre-intuitives, des actions essentielles mappées sur les mêmes boutons, et des erreurs de manipulation fréquentes. Par exemple, maintenir X ouvre une porte… ou consomme une pierre de mana rarissime. L’interférence est constante, la frustration immédiate.
Malgré ces aspérités, le jeu maintient une cadence soutenue, entre phases de combat intenses et moments d’exploration semi-linéaires, où des puzzles rudimentaires et des défis optionnels viennent rompre la monotonie. Chaque zone cache des coffres, des équipements à améliorer, et des segments secrets rappelant timidement une logique Metroidvania. Ces interludes offrent une respiration bienvenue et soulignent la qualité de certains environnements, plus inspirés que les missions principales, souvent trop chargées en effets de lumière et en scripts explosifs.
Le système de progression repose sur des arbres de talents répartis par couleur de magie. Chaque montée de niveau permet de débloquer des compétences spécifiques, modifiant les mécaniques d’esquive, la puissance brute ou la durée des effets. L’évolution du personnage fonctionne bien, mais ne bouleverse jamais la boucle de gameplay. L’identité magique du jeu reste esthétique, sans jamais atteindre la densité stratégique que son système pouvait laisser espérer.
Immortals of Aveum avance vite, tire fort, enchaîne les effets, mais ne parvient jamais à s’extraire du moule qu’il tente de transcender. Sa magie reste mécanique, ses sorts fonctionnels. L’illusion opère par à-coups, sans jamais imposer une véritable alchimie.
Magie de synthèse et pixels sous stéroïdes
Dans l’univers d’Aveum, la lumière hurle plus qu’elle n’éclaire. Le jeu d’Ascendant Studios déploie une débauche de couleurs saturées, de particules en cascade, de faisceaux entremêlés, jusqu’à l’overdose. Chaque combat devient une performance visuelle où les explosions, les glyphes et les éclairs chromatiques se disputent la première place dans l’œil du joueur. Mais à force de vouloir tout faire briller, Immortals of Aveum perd en lisibilité ce qu’il gagne en intensité.
Les environnements, variés et parfois surprenants dans leur composition, oscillent entre canyons suspendus, villes minérales, ruines verticales et salles rituelles nimbées de magie brute. L’ensemble évoque un monde pensé pour le spectacle, un patchwork de zones conçues pour accueillir le feu d’artifice permanent que constitue le gameplay. Chaque lieu cherche à marquer, à imposer un relief visuel fort, mais laisse peu de place à l’observation silencieuse. Le rythme graphique ne faiblit jamais.
Du côté des personnages, le constat se révèle plus austère. Les visages affichent une rigidité gênante, accentuée par un aliasing persistant et des expressions limitées. Les séquences narratives, pourtant omniprésentes, peinent à émouvoir tant les figures restent figées dans une Uncanny Valley peu engageante. Les tenues sont travaillées, mais leur texture manque de matière. Le contraste est flagrant entre l’effort de mise en scène et la pauvreté de certaines finitions techniques.
La direction artistique souffre d’un tiraillement permanent entre l’esthétique du FPS militaire et les codes de la fantasy moderne. Les armes sont absentes, remplacées par des gantelets magiques aux lignes acérées, mais tout le reste évoque des champs de bataille futuristes. Ce choix de ton, volontairement hybride, donne une identité étrange au jeu, sans jamais établir une cohérence pleinement convaincante.
Côté bande-son, Immortals of Aveum s’appuie sur une composition orchestrale efficace, sans éclat marquant. Les thèmes soulignent l’action, accompagnent la tension, mais ne laissent que peu de traces en mémoire. Les bruitages, en revanche, affichent une puissance sonore appréciable : chaque sort déclenche une onde, chaque impact magique résonne avec précision, et le mixage dynamique valorise bien les affrontements. Le tout s’intègre dans une spatialisation fluide, qui permet de lire les menaces sonores avec clarté.
Le doublage français, intégralement disponible, bénéficie d’un casting solide et investi. Les comédiens livrent une performance convaincante, même lorsque les dialogues s’empêtrent dans des envolées maladroites. Ce soin porté à la localisation renforce l’accessibilité du titre et permet de s’immerger pleinement sans recourir à la VO.
Enfin, un mot sur l’expérience console. Sur Xbox Series, Immortals of Aveum propose une fluidité stable, sans ralentissements notables, mais affiche des textures moyennes, des modèles parfois datés, et un niveau de finition global en retrait face aux standards actuels du triple A. L’ambition visuelle est réelle, mais la réalisation peine à la suivre.
Options de confort pour un sort mal ficelé
Immortals of Aveum se concentre exclusivement sur une expérience solo. Pas de multijoueur, pas de coopératif, pas d’éléments persistants : toute l’aventure est conçue comme une grande campagne linéaire, découpée en zones semi-ouvertes reliées par des couloirs scénarisés. Ce choix renforce l’aspect narratif du projet, tout en conservant une certaine liberté d’exploration entre les missions. Quelques défis optionnels, des puzzles élémentaires, des passages secrets et un système de forge viennent enrichir la progression sans jamais en briser le rythme.
L’interface, épurée et lisible, met en avant un système d’amélioration simple, permettant d’améliorer ses équipements et de gérer ses sorts. La structure se montre suffisamment fluide pour maintenir l’attention, même si certains choix de mapping sur console créent des interférences préjudiciables à l’action. Le double emploi de certaines touches, comme l’utilisation de la touche X à la fois pour interagir avec l’environnement et pour consommer un objet rare, provoque des erreurs fréquentes, sources de frustration inutile. Cette situation révèle un calibrage pensé en priorité pour le clavier-souris, avec une adaptation manette moins rigoureuse.
Le contenu global s’étend sur une quinzaine d’heures de jeu, avec quelques bonus à glaner pour les complétionnistes. La durée reste honnête, mais la densité varie fortement selon les séquences. Certaines zones regorgent de défis intéressants et de raccourcis bien conçus, d’autres déroulent des couloirs sans relief jusqu’au prochain point de déclenchement de cutscene. Le dosage manque parfois de souplesse, mais l’ensemble conserve une forme de cohérence grâce à son rythme soutenu et à la variété des environnements.
Un point mérite d’être souligné : Immortals of Aveum intègre un nombre conséquent d’options d’accessibilité. Réduction des effets de caméra, ajustement des tremblements, personnalisation des sous-titres, modes daltonisme, tout a été pensé pour permettre à chacun de jouer dans des conditions adaptées. Ce souci d’ouverture marque une volonté sincère d’inclure un public large, sans sacrifier la cohérence du jeu.
Enfin, la stabilité technique du titre reste solide. Aucun bug bloquant, aucun crash recensé. Le moteur tient le choc, même en pleine effusion magique, ce qui permet à la mise en scène de conserver son intensité sans interruption. Le jeu se montre réactif, fluide, et les temps de chargement courts permettent de maintenir l’immersion.
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