Dans un paysage vidéoludique où les STR classiques peinent à survivre face à l’hégémonie des MOBAs et des jeux de gestion plus contemplatifs, certains studios entendent bien ressusciter la flamme du combat en temps réel à l’ancienne. C’est le cas de Tempest Rising, un projet co-développé par Slipgate Ironworks (déjà responsable du nerveux Ghostrunner) et par le studio polonais 2B Games, sous la houlette de l’éditeur 3D Realms. Un héritage revendiqué, une ambition claire : rendre hommage à la série mythique Command & Conquer.
Mais entre hommage sincère et clonage un peu trop appuyé, Tempest Rising semble encore chercher sa propre voix. La preview jouable actuellement disponible ne propose qu’une seule des deux factions prévues à la sortie, mais offre un aperçu suffisant pour saisir les contours de l’expérience… et constater que derrière ses intentions louables, le jeu trébuche déjà sur des mécaniques datées, une ergonomie d’un autre âge, et un classicisme qui frôle l’inertie.
Une guerre sans visage
À l’heure actuelle, Tempest Rising ne s’embarrasse guère de contexte scénaristique développé. Les premières missions jouables esquissent à peine un univers : deux factions s’affrontent pour le contrôle d’une ressource précieuse, dans un monde post-crise énergétique aux relents dystopiques. On devine une opposition entre ordre militaire occidental et révolutionnaires aux méthodes brutales… mais sans que rien ne dépasse le cadre de l’arrière-plan fonctionnel.
Pas de cinématiques marquantes, pas de protagonistes identifiables, pas même de doublages immersifs : le récit tient pour l’instant en quelques lignes de briefing lues en silence. Ce minimalisme pourrait s’expliquer par le stade de développement — aucune date de sortie n’a encore été annoncée — mais il illustre aussi le manque d’ambition narrative qui plane sur cette preview. Là où un Command & Conquer savait injecter du charisme, du second degré, voire une certaine ironie dans son univers, Tempest Rising reste purement utilitaire.
Ajoutons à cela une absence totale de localisation française, et l’expérience devient encore plus distante. Ce n’est pas tant que l’histoire soit mauvaise : elle est absente, ou du moins reléguée au rôle de prétexte. En l’état, aucune accroche, aucun enjeu émotionnel, aucune raison de s’attacher à cette guerre autrement que pour le plaisir d’aligner des unités.
Une mécanique coincée dans un bunker de 1998
Au premier abord, Tempest Rising coche toutes les cases du STR classique : récolte de ressources, production d’unités, construction de base, capture de points stratégiques, et affrontement frontal entre deux armées. Une formule connue, éprouvée, qui a fait les belles heures du genre. Et à ce titre, la mission est presque réussie : la prise en main rappelle immédiatement Command & Conquer, jusque dans l’affichage des bâtiments, les effets sonores et l’architecture des cartes. Mais très vite, la nostalgie laisse place à la frustration.
Car en tentant de reproduire à l’identique les sensations d’un STR des années 90, Tempest Rising en oublie tout ce que le genre a appris depuis. La sélection d’unités est basique : impossible de grouper rapidement les mêmes types de troupes, aucun raccourci de sélection intelligent, aucune commande de formation, aucun outil tactique moderne. Résultat : chaque combat devient une mêlée anarchique, où l’on jette ses unités au front en espérant un bon différentiel de DPS.
Pire encore : les contrôles sont volontairement contre-intuitifs. Là où tous les RTS modernes (et même les anciens patchés) ont standardisé l’usage du clic droit pour déplacer ou attaquer, ici il faut utiliser la touche X pour donner un ordre, puis valider avec clic gauche. Un archaïsme incompréhensible qui allonge inutilement chaque action et brise le rythme dans les moments de tension.
Les mécaniques de jeu, elles, ne proposent rien de neuf. La gestion des ressources est rigide (extraction minière, production d’énergie, stockage), les bâtiments sont posés selon un système de rayons d’influence daté, et aucune des unités disponibles n’apporte de twist stratégique intéressant. Pas de contre-unités subtiles, pas de capacité active marquante, pas de synergie particulière. On joue à Tempest Rising comme on rejouerait une vieille campagne de Tiberian Sun… sans les cinématiques en FMV et sans le génie sonore de Frank Klepacki.
La seule note d’espoir vient de la fluidité générale et du rythme : le jeu est stable, les animations sont nettes, les affrontements ont une certaine énergie. Mais sans ergonomie moderne ni mécanique différenciante, tout cela ne suffit pas à masquer le manque cruel de profondeur stratégique.
Un vernis rétro qui peine à briller
Visuellement, Tempest Rising joue sur un registre connu : celui du réalisme stylisé hérité des STR de la fin des années 2000. Les décors sont lisibles, les unités bien différenciées, les explosions suffisamment spectaculaires pour donner de l’impact aux affrontements. On retrouve cette esthétique militaire semi-futuriste, entre bunkers, tarmacs grillagés, véhicules blindés aux silhouettes anguleuses et effets de particules sobres mais lisibles.
Mais si l’ensemble reste propre, il est loin d’être marquant. Aucun effort particulier n’est visible dans la mise en scène des cartes, aucune inspiration artistique ne vient relever l’univers. Les environnements se répètent, les bâtiments partagent les mêmes textures grises et métalliques, et les unités manquent de personnalité. On navigue dans un STR fonctionnel, sans identité visuelle affirmée, qui évoque Command & Conquer sans jamais en égaler l’élégance ou la brutalité visuelle.
Les animations sont correctes, avec quelques effets sympathiques lors des impacts et destructions, mais aucune originalité ne se dégage de l’ensemble. C’est solide, c’est propre, c’est plat.
Côté sonore, le constat est similaire. Les effets d’armes sont convenables, les explosions percutantes, mais l’absence de doublage français et la pauvreté des voix en anglais laissent une impression d’inachevé. Les unités s’expriment peu, les interactions sont minimales, et l’ambiance sonore générale est étonnamment creuse. Même la musique, pourtant essentielle dans un jeu de stratégie en temps réel, se fait discrète, générique, oubliable. On est très loin des compositions iconiques d’un Generals ou d’un Red Alert.
Tempest Rising ne souffre pas d’un déficit technique : le jeu tourne bien, il est stable, il est lisible. Mais en matière d’identité graphique et sonore, il n’apporte rien d’autre que du déjà-vu. Et dans un genre où le charisme est une arme, c’est un manque difficile à ignorer.
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