Développé par Olive Panda, branche de LongYou Game, Krzyżacy: The Knights of the Cross est sorti sur PC le 20 juillet 2023 dans une indifférence polie. Le titre se présente comme un croisement entre deckbuilder et RPG tactique, avec en prime une inspiration littéraire venue d’un roman polonais de 1900, et une direction artistique qui, elle, n’a clairement rien lu d’autre que Senran Kagura.
Sur le papier, on pourrait se dire que le mélange est improbable, mais pourquoi pas. En pratique, le résultat est un RPG bancal qui semble vouloir tout faire : stratégie, VN, romance, guerre médiévale, deckbuilding… et qui finit par se contenter d’enchaîner les combats et les clichés, en espérant que vous ne verrez pas trop vite à quel point l’écriture est absente, les personnages plats, et l’univers creux comme un vin de messe tiède.
Mais le pire, c’est que Krzyżacy n’est pas dénué de qualités. C’est justement ce qui le rend aussi frustrant.
Une plume oubliée sous un rouleau de fan-service
Ne vous fiez pas au nom du jeu. Krzyżacy se revendique adaptation du roman de Henryk Sienkiewicz, mais il n’en garde qu’un décor, deux noms propres et un vague air de guerre médiévale. Zbyszko est bien là, Danusia aussi, mais le scénario n’a strictement rien à voir avec l’œuvre d’origine. On se retrouve rapidement propulsé dans une intrigue ultra-linéaire, où trois factions s’affrontent mollement, sans jamais vraiment prendre corps.
Le mariage entre Zbyszko et Danusia devait être un point de départ ; ce sera en réalité le seul événement marquant d’un scénario qui n’enchaîne que des péripéties téléphonées avec des personnages aussi écrits que des panneaux de signalisation. Le gentil chevalier est noble, l’oncle fait office de mentor, la princesse a du caractère « mais pas trop », et les méchants… sont méchants, parce qu’il en fallait. On est là pour dérouler, pas pour raconter.
Mais ce n’est pas le vide scénaristique qui surprend. C’est la manière dont il est maquillé. Car pour pallier l’absence d’écriture, les développeurs ont choisi une autre voie : le fan-service frontal. Et pas à moitié. Tous vos compagnons sont des jeunes femmes aguichantes, dotées de tenues qui défient autant le climat polonais que la cohérence de l’univers. Poitrines XXL, poses lascives, sourires de gacha : on n’est jamais très loin du lobby d’un visual novel mobile, avec la musique de guerre en fond pour tenter de sauver la façade.
Alors oui, Krzyżacy a une galerie de personnages. Oui, certains dialogues tentent parfois une esquisse de personnalité. Mais aucun protagoniste n’évolue, aucun ne prend corps, et surtout, rien dans leur traitement n’est jamais à la hauteur de ce que le cadre pourrait permettre. Tout est figé, archétypal, convenu — et ce ne sont pas deux blagues sur des champignons ou une scène de panique devant une araignée qui suffiront à donner du relief à l’équipe.
À aucun moment on ne sent une volonté de creuser quoi que ce soit. On enchaîne les séquences comme on coche une checklist : un boss, un campement, une scène de tension, et retour aux boobs qui rebondissent à chaque écran de victoire.
Deckbuilding d’élite, RPG au rabais
Dès les premières minutes, Krzyżacy met les choses au clair : vous ne contrôlez qu’un seul personnage, votre chevalier attitré. Les autres membres de l’équipe ? Automatiques. L’IA s’en charge. Et si vous pensiez qu’il s’agissait d’un choix de design pour renforcer la tactique, détrompez-vous : c’est surtout un moyen de masquer l’absence d’ambition structurelle, tout en limitant les responsabilités du joueur à quelques clics bien placés.
Les combats reposent sur un système de cartes assez classique. À chaque tour, vous piochez cinq actions issues d’un deck personnalisable. Vous pouvez en jouer autant que vous le souhaitez, à condition d’avoir l’énergie nécessaire, ou en conserver deux pour le tour suivant. Une jauge spéciale se remplit à chaque action réussie, permettant de piocher de nouvelles cartes ou de relancer un tour.
Et c’est là que réside le paradoxe du jeu : ce système est bon. Vraiment bon. Les cartes sont claires, les couleurs bien codifiées (rouge pour le physique, bleu pour la magie, blanc pour la défense, vert pour le soutien), et les effets sont lisibles avant validation. Vous voyez les dégâts avant de les infliger, les buffs avant de les poser — c’est fluide, immédiat, intelligent. Rien à dire là-dessus.
Mais le reste ne suit pas. Le RPG, en dehors du combat, est un enrobage creux. Aucun village à visiter, aucune exploration libre, aucun détour. Vous naviguez sur une carte, façon T-RPG à l’ancienne, en cliquant sur des points fixes qui déclenchent soit un combat, soit une scène de dialogue. C’est propre, fonctionnel… et vide de tout ce qui fait un RPG vivant.
Même les missions deviennent vite prévisibles. Un code couleur différencie les quêtes principales, secondaires, et événements aléatoires, mais le contenu reste désespérément identique : combat, dialogue, loot. Répété, ad nauseam. On coche des cases. Rien n’étonne, rien ne respire. Et surtout, rien ne se construit. On ne progresse pas dans un monde : on parcourt un tableur déguisé en carte.
Le jeu aurait gagné à embrasser totalement son aspect tactique, à creuser ses combats, à faire évoluer ses compagnons autrement que via des bonus passifs. Au lieu de ça, il fait semblant d’être un RPG, tout en alignant des combats efficaces mais déconnectés du moindre enjeu narratif.
Une belle mécanique, prise au piège d’un emballage fade.
Un pixel-art somptueux au service du vide
S’il y a bien un domaine où Krzyżacy impressionne dès les premières secondes, c’est visuellement. Le jeu adopte une 2,5D en pixel-art d’une qualité rare, avec des arrière-plans léchés, des effets visuels maîtrisés et une finesse dans les animations qui rappelle immédiatement Octopath Traveler. Tout y est : les filtres de lumière, les effets de particules, les transitions élégantes. C’est beau, propre, précis. Un vrai plaisir pour les yeux.
Les personnages, eux aussi, sont bien dessinés. Trop, même. Car si les artworks sont techniquement irréprochables, ils servent avant tout à mettre en avant un fan-service bien gras. Les alliées féminines sont toutes des caricatures sur pattes : poses suggestives, tenues dignes d’une convention hentai, proportions qui défient les lois de l’anatomie. On est censé parler de guerre médiévale — mais apparemment, personne ne songe à l’existence d’un corset ou d’un manteau. Même en pleine bataille, tout le monde semble prêt pour une pub de lingerie.
Et c’est d’autant plus regrettable que l’ambiance aurait pu fonctionner. Le jeu dispose d’un vrai sens du cadre, d’un style cohérent, et d’un moteur parfaitement optimisé. Le souci, c’est qu’au lieu de s’en servir pour enrichir son univers, Krzyżacy préfère coller des avatars sexy sur des dialogues plats, en espérant que les joueurs ne remarquent pas l’absence de mise en scène ou la répétition des décors.
Côté son, en revanche, rien à redire. Les compositions musicales jouent la carte du classicisme, avec des chœurs, des instruments d’époque, et une ambiance globalement bien calée sur le contexte. C’est sobre, bien écrit, et surtout jamais envahissant. Les musiques savent se taire quand il faut, se faire entendre quand ça compte. Un travail soigné, discret, mais efficace.
Aucun doublage, ni anglais ni autre. Et tant mieux. Vu la platitude des dialogues, un mauvais acting aurait été la goutte de trop.
Menu rigide, anglais obligatoire, et illusion de profondeur
En dehors de ses combats et de ses visuels flatteurs, Krzyżacy ne propose pas grand-chose d’autre. Aucun mode de difficulté à proprement parler, aucun contenu annexe marquant, aucun mini-jeu pour détendre l’atmosphère. On est dans un système fermé, qui aligne les missions, débloque quelques bonus passifs, et repart pour une boucle strictement identique d’un chapitre à l’autre.
Les compagnons, s’ils gagnent bien quelques améliorations, n’ont aucune implication réelle dans les combats. Ils agissent selon leur IA, sans que vous ne puissiez intervenir. Impossible de changer leur deck, leur ordre d’action, ou même d’orienter leur stratégie. Ce sont des supports animés, rien de plus. Et ça commence à se voir après trois ou quatre heures, quand vous comprenez que leur présence n’a aucun impact tactique réel.
L’interface, quant à elle, est correcte sans briller. Les menus sont lisibles, les informations essentielles bien accessibles… mais l’ergonomie est parfois rigide, notamment dans la gestion des cartes ou l’accès aux fiches de personnage. On sent un manque de finition, ou à tout le moins l’absence de retours utilisateurs poussés durant le développement.
Et puis il y a la question de la langue. Krzyżacy est uniquement disponible en anglais, avec aucune option de localisation, pas même en chinois, ce qui est plutôt curieux vu l’origine du projet. L’anglais utilisé est simple, mais pas toujours clair. Certaines tournures sont maladroites, d’autres ambiguës. Rien de catastrophique… mais dans un jeu reposant à ce point sur ses dialogues, ça finit par peser.
Enfin, il faut bien le dire : le système de progression est plan-plan. Il y a quelques cartes à débloquer, des talents passifs à choisir, mais rien qui transforme vraiment votre manière de jouer. Ce n’est pas un jeu qui vous pousse à repenser vos builds ou à expérimenter. C’est un jeu qui vous donne une stratégie, et vous demande de la répéter en boucle jusqu’au dernier acte.
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