Sorti le 2 août 2023 sur PC, Ninja or Die: Shadow of the Sun est le tout premier jeu du studio japonais Neo Games, édité par Marvelous. Un titre qui, dès les premières secondes, impose un univers tranché, une direction artistique affûtée, et surtout une proposition de gameplay aussi atypique que radicale.
Sur le papier, tout est là : un pixel-art ravageur, une ambiance fantastique portée par une narration solide, une structure roguelite bien calibrée… et cette idée folle : jouer un plateformer entier avec un seul doigt. L’intention est claire, la promesse limpide.
Reste à savoir si cette formule tient plus de la fulgurance maîtrisée ou du concept trop ambitieux pour son propre bien.
Du mythe, du sang et des punchlines
L’action de Ninja or Die: Shadow of the Sun prend place dans un Japon féodal revisité, en pleine apocalypse mystique. Le monde se disloque sous l’effet d’un cataclysme surnaturel – le Châtiment Céleste – et les habitants, tout comme leurs corps, se métamorphosent. Vous incarnez le fils d’une reine des voleurs, balancé malgré lui dans cette fin du monde, et rapidement doté de capacités hors-normes.
Mais ici, pas de samouraï solennel ni de prophétie à réciter en voix-off. Les personnages de Ninja or Die sont secs, nerveux, et violemment caractérisés. Le marchand devient assassin. La maiko vire tueuse. Le voleur devient une légende. Et dans ce théâtre explosif, chacun a sa réplique, son code, son style.
L’écriture va droit au but, avec une narration dense mais toujours lisible, portée par des dialogues efficaces, souvent percutants. Le tout est entièrement en français, bien localisé, et suffisamment rythmé pour qu’on suive sans décrocher entre deux sauts meurtriers.
L’histoire ne cherche jamais à tirer la couverture à elle. Elle est là pour donner de la chair au décor, pour poser des enjeux clairs, et accompagner un gameplay déjà survolté par sa propre nature. Et c’est sans doute pour ça que ça fonctionne aussi bien.
Un doigt, un bond, un kill
C’est ici que Ninja or Die: Shadow of the Sun abat sa carte. Et quelle carte. Pas de déplacement classique, pas de bouton d’attaque, pas de saut en l’air. Vous jouez avec un seul doigt – ou un seul stick – pour viser, charger et bondir. Chaque saut est une attaque. Chaque trajectoire est une esquive. Tout est dans le mouvement.
Sur le papier, ça paraît gadget. En main, c’est brutal, exigeant, viscéral. La courbe de progression est raide, mais juste. On se trompe, on chute, on recommence. Les premiers niveaux font figure de terrain d’essai, les suivants de labyrinthe piégé où chaque milliseconde compte.
Le saut chargé permet de franchir des distances plus importantes, d’attaquer avec plus de puissance, ou d’atteindre des zones autrement inaccessibles. Mais ce système, aussi simple soit-il, devient un outil de précision chirurgicale une fois qu’on en comprend les subtilités. C’est nerveux, instable, furieux. Un vrai gameplay à dompter.
Côté level design, le boulot est fait. Chaque mur, chaque plateforme, chaque piège est placé au pixel près. Le jeu pousse à l’optimisation, à l’anticipation. Mais il le fait avec une lisibilité parfois discutable, surtout quand tout s’enchaîne à grande vitesse. Le bullet time, censé aider à la lecture de l’action, n’intervient qu’au moment du chargement du saut, ce qui limite son intérêt. Quelques ratés, donc. Mais rien de rédhibitoire.
En revanche, là où le jeu commence à perdre pied, c’est dans son empilement de mécaniques annexes. Développement de village, équipements, progression RPG, éléments roguelite… tout est là, mais rien n’est vraiment nécessaire. L’essence du jeu est dans le saut. Le reste, c’est du bruit.
Pixel affûté, lumière contrôlée
Graphiquement, Ninja or Die: Shadow of the Sun en impose. Le pixel art est fin, travaillé, chargé en détails sans jamais perdre en lisibilité (hors phases de chaos complet). Les effets de lumière, les particules, les déformations d’écran – tout respire le soin, le style, la maîtrise. Le Japon féodal déstructuré par l’apocalypse a rarement été aussi bien habillé.
Chaque niveau a sa palette, sa structure, sa tension. Le jeu sait construire une ambiance. Couleurs saturées, filtres dynamiques, ruptures visuelles : Ninja or Die ne se contente pas d’un enrobage rétro, il l’utilise. Et c’est ce qui fait la différence.
Côté sound design, même constat : ça tape fort. Les musiques alternent entre nappes tendues et montées percussives. Le mixage est propre, les impacts sonores bien placés, et les quelques dialogues parlés sont discrets mais efficaces. Mention spéciale au sens du rythme général : tout est pensé pour accompagner l’action, sans jamais la couvrir.
C’est simple : Ninja or Die a une gueule. Et un son. Deux choses que la plupart des jeux du genre n’ont plus le luxe de se payer.
Des systèmes en trop pour un jeu qui allait droit
Ninja or Die: Shadow of the Sun n’avait pas besoin de plus. Mais il a voulu. Et c’est là que le trop-plein commence à gratter. Le jeu intègre un système de progression façon RPG, des équipements à looter, des objets à équiper, un hub à développer, des villageois à sauver, et une structure roguelite bricolée autour de tout ça.
Le problème, c’est que rien de tout ça n’apporte quoi que ce soit d’essentiel. L’XP monte, les niveaux passent, mais le gameplay ne change pas. Les objets s’équipent, mais le menu est un cauchemar : une liste déroulante longue comme un jour sans dash, sans tri, sans filtre. La progression du hub central, censée offrir des bonus permanents, peut être totalement ignorée sans pénalité majeure.
Quant au côté roguelite, il se limite à rejouer les niveaux déjà parcourus avec d’autres personnages, récupérer une ou deux clés pour un coffre oublié, et basta. Pas de run unique, pas de génération aléatoire, pas de vraie montée en tension. Une idée à moitié intégrée, et qui finit par diluer le cœur de l’expérience plutôt que de le renforcer.
Techniquement, le jeu est stable. Pas de bug majeur, pas de chute de framerate. Et la localisation française, intégrale, est propre. Mais sur le reste, les couches ajoutées ralentissent plus qu’elles ne densifient. Un jeu qui allait droit, et qui a décidé d’alourdir son sac en cours de route.
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