Étrange. Surréaliste. Inclassable. Touch Detective 3 + The Complete Case Files, compilation iconique réunissant Touch Detective, Touch Detective 2½ et Touch Detective 3, ressuscite sur Nintendo Switch les aventures loufoques de Mackenzie, jeune détective pince-sans-rire flanquée de Funghi, son champignon domestique, dans un monde peuplé de cornichons insomniaques, de morse dépressif et d’épi de maïs machiavélique. Publié par Nicalis et développé par Beeworks, ce recueil totalement remasterisé, sorti le 28 Mars 2024, propose de revivre ou de découvrir, pour la première fois dans nos contrées occidentales, le troisième épisode jusqu’alors resté inédit hors du Japon.
Fidèle à ses racines point-and-click, cette compilation se pare d’améliorations visuelles, de musiques restaurées, de galeries bonus et de petites nouveautés scénaristiques, tout en préservant l’essence barrée et poétiquement absurde d’un univers unique, oscillant entre burlesque et tendresse. Sur fond de meurtres improbables, de vols de rêves et de concours de sauces piquantes, Mackenzie mène l’enquête avec l’élégance molle d’un personnage sorti d’un rêve lucide.
Mais ce retour inattendu est-il aussi doux qu’une caresse sur l’écran d’une DS oubliée ? Ou bien s’agit-il d’un miroir déformant où les souvenirs brillent davantage que la réalité ? L’heure est venue de faire parler les preuves.
Une brume de mystère au parfum de champignon
L’univers de Touch Detective est une énigme douce, un théâtre absurde où la logique prend des vacances et où les mystères se résolvent parfois à coups de cornichons bavards ou de rêves volés. Dans cette trilogie remasterisée, vous incarnez Mackenzie, détective débutante et stoïque, plongée dans une série d’enquêtes toutes plus déjantées les unes que les autres, en compagnie de son fidèle compagnon Funghi, créature fongique expressive devenue mascotte culte du jeu.
Si les scénarios de Touch Detective 1 & 2½ offraient déjà un éventail d’affaires loufoques et surréalistes – entre disparitions de rêves, enquêtes sur des mascottes volées et duels contre des épis de maïs psychopathes –, le troisième volet, inédit jusqu’ici en Occident, marque une évolution sensible. Non pas en changeant de ton, mais en approfondissant les relations entre les personnages récurrents, en multipliant les dialogues introspectifs, et en étoffant le caractère de Mackenzie, toujours coincée entre son flegme naturel et les exigences de son rôle de détective.
La galerie de personnages secondaires reste fidèle à elle-même : Cromwell, majordome bricoleur capable de construire des machines improbables en un clin d’œil, ou Penelope, meilleure amie perchée aux idées toutes plus absurdes les unes que les autres. On retrouve également la rivale autoproclamée Chloe, toujours aussi inefficace qu’hilarante dans ses tentatives d’introspection héroïque. Chaque figure est taillée dans un humour doux-amer, à la fois caricatural et attachant, renforcé par des dialogues finement ciselés, souvent à double lecture.
Mais ce qui surprend, c’est la cohérence interne de cet univers burlesque. Sous ses allures de non-sens coloré, Touch Detective tisse en filigrane une réflexion sincère sur l’identité, l’isolement et la curiosité enfantine. Mackenzie, derrière ses airs de poupée de cire impassible, incarne une quête d’indépendance, un besoin de reconnaissance dans un monde absurde qui ne cesse de lui échapper. Et à mesure que les enquêtes s’enchaînent, une certaine mélancolie poétique émerge, comme si chaque mystère résolu ne faisait qu’épaissir celui de l’existence elle-même.
Le tout forme une symphonie narrative singulière, à la fois drôle, touchante, et profondément marquée par un ton unique, où chaque énigme dissimule une fable et chaque non-sens, un miroir déformant du réel.
Explorations tactiles et devinettes en apnée cérébrale
Touch Detective 3 + The Complete Case Files s’inscrit dans la tradition pure du point’n click japonais : une interface minimaliste, des commandes classiques, et une structure basée sur l’expérimentation intuitive. Vous touchez, vous inspectez, vous interrogez. Et parfois, miraculeusement, la réponse surgit d’un objet absurde ou d’un dialogue improbable. Les mécaniques restent volontairement simples, mais l’élégance de leur mise en œuvre repose sur l’intelligence du rythme et la force de l’écriture.
Chaque affaire suit un découpage narratif linéaire, avec une progression en chapitres, mais jamais fermée : le jeu vous pousse à explorer, revenir sur vos pas, tester des hypothèses parfois farfelues dans un monde qui obéit à sa propre logique onirique. Il ne s’agit pas ici de puzzles complexes ou de combinaisons d’objets tordues à la Monkey Island, mais plutôt d’un ensemble de petites interactions contextuelles, où chaque clic est un indice potentiel.
Ce fonctionnement se révèle à la fois accessible et déroutant. Les vétérans du genre retrouveront un plaisir rétro familier ; les néophytes, eux, pourraient se heurter à la rigidité parfois désuète de certains enchaînements, où une action n’est validée que si toutes les conditions invisibles sont remplies au préalable. Le passage à la Nintendo Switch, bien qu’appréciable, n’efface pas la lenteur héritée du double écran de la DS, notamment dans les transitions et la navigation, qui peuvent ralentir la dynamique globale.
Les énigmes, quant à elles, oscillent entre inspiration brillante et logique lunaire. Résoudre un mystère peut parfois nécessiter un raisonnement parfaitement logique… ou bien exiger de montrer une tranche de pain moisi à un perroquet qui a perdu sa voix. C’est le charme du jeu autant que sa frustration principale.
Mais là où Touch Detective se distingue, c’est dans la construction de ses espaces et de ses interactions. Les lieux sont petits, mais denses ; les dialogues, concis, mais révélateurs. Et le gameplay s’enrichit d’éléments annexes bien pensés : quêtes secondaires, galeries de collections, fiches de personnages, et même deux mini-aventures entièrement consacrées à Funghi, qui rompent avec la formule de base sans en trahir l’ADN.
Enfin, on note une volonté de lisibilité et de fluidité dans les menus, même si certains contrôles tactiles (en mode portable) manquent encore de précision. La navigation reste claire, et l’inventaire, bien que sommaire, se montre efficace. En somme, un gameplay à l’ancienne, taillé pour les amateurs de boucles courtes, d’essais répétés, et d’absurde méthodique.
Une enquête en pastel et en soupirs électroniques
La trilogie Touch Detective remasterisée sur Nintendo Switch est un étrange mirage visuel : à la fois terriblement datée et artistiquement intemporelle. L’univers de Mackenzie, peuplé de personnages absurdes et de mystères absurdes, bénéficie ici d’un lifting respectueux, qui conserve le style inimitable de la série tout en lui apportant la netteté nécessaire pour briller sur les écrans modernes.
Les décors en 2D sont minimalistes mais expressifs, colorés avec cette patine douce qui évoque les carnets de croquis d’un illustrateur déjanté. Chaque lieu regorge de petits détails incongrus, de clins d’œil visuels et de non-sens graphique parfaitement assumé. L’interface, elle, demeure sobre et lisible, renforçant ce charme désuet mais jamais poussif.
Les animations sont fluides, fidèles à l’esthétique d’origine, et chaque micro-mouvement de Mackenzie ou de ses comparses traduit une intention claire, souvent comique. Le design de Funghi — personnage muet mais éminemment expressif — condense à lui seul toute l’identité visuelle du jeu : une absurdité qui fonctionne par sa cohérence interne et sa sincérité formelle.
Du côté sonore, Touch Detective 3 + The Complete Case Files déroule une bande originale à la fois discrète et délicieusement décalée. Composée de thèmes légers, parfois mélancoliques, parfois burlesques, elle accompagne l’enquête sans jamais l’alourdir. Les bruitages, eux, sont typiquement DS : synthétiques, marqués, volontiers caricaturaux, mais toujours bien placés.
Le jeu ne propose aucun doublage vocal, un choix cohérent au regard de son ADN textuel, mais qui peut paraître un peu chiche à l’ère des productions intégralement interprétées. En revanche, les filtres visuels (type CRT, noir et blanc ou teintes sépia) offrent aux joueurs la possibilité de personnaliser l’ambiance, renforçant l’effet “souvenir numérique” qui sied si bien à cette série.
Ce n’est pas une prouesse technologique. C’est une esthétique de niche, affirmée, maîtrisée, qui ne cherche jamais à séduire au-delà de son public naturel. Et c’est précisément pour cela que cette remasterisation fonctionne : elle ne trahit jamais l’âme graphique ni sonore de la série, et lui redonne même un lustre mérité.
Petit champignon deviendra enquête
La compilation Touch Detective 3 + The Complete Case Files se présente comme une offre généreuse, tant en matière de contenu que de présentation. En plus des trois jeux principaux entièrement remasterisés, le titre propose deux enquêtes bonus centrées sur Funghi, ainsi qu’une galerie d’illustrations et un juke-box musical qui viennent flatter la fibre nostalgique des vétérans.
Côté interface, l’adaptation à la Nintendo Switch fonctionne convenablement, sans pour autant atteindre une parfaite ergonomie. Le tactile fonctionne mais manque parfois de réactivité, notamment dans les interactions précises ou les transitions rapides. En mode docké, la navigation à la manette reste fluide, mais l’absence d’un vrai remaniement des menus laisse un goût d’inachevé.
Techniquement, le portage est stable. Pas de bugs notables, pas de ralentissements, et un affichage en 720p natif sur Switch Lite comme en portable classique. Le 1080p en docké donne quant à lui un rendu propre, sans artéfacts visibles. En revanche, l’absence de traduction française est difficilement excusable pour une compilation de cette ampleur, d’autant plus que les jeux reposent quasi exclusivement sur le texte.
Côté accessibilité, pas d’options spécifiques proposées : ni filtres pour daltoniens, ni fonctions de lecture automatique ou d’agrandissement des textes. Ce choix de rester “à l’ancienne” est assumé, mais pourrait dérouter les nouveaux venus ou les publics plus jeunes.
Enfin, la durée de vie cumulée dépasse largement la vingtaine d’heures, sans compter les multiples fins et les objets à collectionner. Les amoureux de complétion auront de quoi faire, d’autant plus que le rythme des enquêtes incite naturellement à fouiller chaque recoin et à interagir avec tout ce qui clignote.
Touch Detective 3 + The Complete Case Files est donc une édition complète et bien pensée, mais qui manque parfois de modernisation sur le plan technique et ergonomique. On aurait aimé quelques ajustements pour fluidifier l’expérience, sans pour autant sacrifier l’âme des originaux.
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