Premier projet du studio polonais Dark Point Games, Achilles: Legends Untold débarque comme un coup de glaive dans un champ de géants. Disponible sur Xbox Series, le titre entend mélanger les exigences d’un Souls-like, la perspective isométrique d’un Diablo, et la mythologie grecque façon saga antique. Un programme aussi ambitieux qu’inhabituel pour une équipe de cette taille, qui ose promettre une vingtaine d’heures de jeu, un monde ouvert, une coopération en ligne, et des combats exigeants.
Sur le papier, la prudence s’impose. Mais dès les premières minutes, on comprend qu’il ne s’agit pas d’un coup d’essai désordonné, mais bien d’un projet de passionnés, forgé avec acharnement dans un coin d’Europe trop souvent ignoré du paysage vidéoludique mondial. Loin des promesses creuses, Achilles: Legends Untold tente, ose, chute parfois… mais avance sans jamais trahir ses ambitions.
Alors ce mélange de mythologie sanglante et de gameplay rigoureux tient-il réellement tête aux références du genre ? Ou n’est-il qu’une énième chimère indé indépendante sacrifiée sur l’autel de ses propres rêves ?
Hadès, Hector et autres fantômes du passé
Achilles: Legends Untold débute sur les cendres de l’Iliade, là où d’autres se contenteraient d’un résumé en une ligne. Ici, vous incarnez Achille, héros maudit, tombé au combat sous les flèches de Pâris… avant de se relever dix ans plus tard, ramené par la volonté trouble d’Hadès. Une renaissance sans explication immédiate, une voix sortie des Enfers, et l’étrange certitude que votre guerre est loin d’être terminée.
Dès les premières heures, le ton est donné : nous sommes face à une œuvre qui prend son récit au sérieux, loin du cynisme ambiant des productions contemporaines. Le studio polonais revisite la mythologie grecque avec soin, en tricotant un fil rouge narratif solide, parfois capillotracté, mais toujours ambitieux. L’Iliade, l’Odyssée, les Enfers, les champs de bataille, les dieux revanchards et les héros oubliés se croisent dans une trame originale, structurée, respectueuse, mais jamais soumise.
La narration emprunte autant à Diablo IV qu’à Titan Quest : cutscenes sobres mais efficaces, dialogues doublés (en anglais) avec une mise en scène dépouillée, mais suffisamment cadrée pour fonctionner. C’est l’univers, plus que les individus, qui porte le récit. Une Grèce en ruine, envahie de morts et de créatures mythologiques, reconstruite avec une cohérence diégétique inattendue. Chaque région semble avoir une mémoire, une logique, une place dans l’échiquier global.
Achille, lui, reste plutôt mutique, mais jamais impersonnel. Le scénario évite le piège de l’avatar vide pour proposer un protagoniste sculpté dans le bronze du mythe, que l’on devine brisé, révolté, et lié à une destinée qui le dépasse. Si certains dialogues souffrent d’une traduction française approximative — fautes, incohérences, et va-et-vient entre tutoiement et vouvoiement — l’intention, elle, ne fait aucun doute : raconter quelque chose, avec une structure, un cadre et une vision.
Le jeu parvient même à mêler efficacement les figures majeures de la mythologie grecque à des événements originaux, dans une continuité surprenante mais crédible, parfois comparable à ce qu’avait tenté Rise of the Argonauts sur la génération précédente. On regrettera quelques contorsions narratives un peu forcées, ici et là, pour justifier des mécaniques ou relier certains événements, mais ces moments restent rares et ne brisent jamais complètement l’immersion.
Achilles: Legends Untold réussit ainsi l’essentiel : construire un monde narratif dense, cohérent, et solidement ancré dans son univers. Et si l’écriture manque parfois de nuance, ou de souffle tragique, elle n’en demeure pas moins sincère, bien charpentée, et diablement efficace pour un premier essai.
Diablo, Souls et rondache bien placée
À la croisée des genres, Achilles: Legends Untold assume un positionnement hybride et audacieux : ni tout à fait Souls-like, ni véritable hack’n’slash, mais un action-RPG en vue isométrique, construit autour de combats exigeants, d’exploration méthodique et d’une montée en puissance progressive. Et dès les premières minutes, le message est clair : ici, chaque coup compte.
Le système de combat repose sur un mappage original mais déroutant. Attaques légères sur RB, lourdes sur RT, parade sur LB, lancer de bouclier sur LT. Ce dernier, d’ailleurs, est sans doute la mécanique la plus jouissive du jeu : à la manière d’un Captain America mythologique, Achille peut projeter sa rondache et la rappeler à lui, infligeant des dégâts sur l’aller comme au retour. Un outil aussi tactique que satisfaisant à maîtriser, qui transforme certaines situations de combat en puzzles de positionnement à haute létalité.
À cela s’ajoutent les compétences assignées aux touches principales, les roulades pour esquiver, et une gestion d’endurance à la manière des Souls. Les sanctuaires, véritables feux de camp grecs, permettent de soigner, monter en niveau, réattribuer ses points, tout en ressuscitant l’ensemble des ennemis de la zone. Le jeu repose ainsi sur une logique de boucles, où chaque progression implique un risque de tout perdre… et un besoin constant de mesurer son agressivité.
Mais là où Achilles surprend, c’est dans son rythme. Loin des hordes à la Diablo, les combats sont posés, lents, brutaux. Chaque affrontement devient un duel, voire un piège, où le placement, le timing et la lecture des animations ennemies sont essentiels. Le début de l’aventure est rude : équipement pauvre, ennemis résistants, marge d’erreur faible. Et c’est précisément ce qui rend la progression si gratifiante… dans un premier temps.
Car malheureusement, la courbe de difficulté s’effondre rapidement. Le loot, organisé selon un système de rareté à la ARPG, devient trop généreux, trop vite. Au bout de quelques heures, vous voilà équipé d’armes violettes surpuissantes, balayant en deux coups ce qui vous faisait trembler quelques niveaux plus tôt. Seuls les boss résistent un tant soit peu, mais là encore, leur design reste moins mémorable que dans un Souls, avec des patterns plus prévisibles et une mise en scène moins dramatique.
Côté exploration, le monde ouvert fonctionne sur un modèle semi-linéaire bien ficelé. Chaque biome est distinct, cohérent, et relié aux autres par une architecture logique, avec raccourcis à débloquer et zones secrètes à découvrir. L’orientation, parfois frustrante dans les jeux à la vue isométrique, reste ici claire, fluide, intuitive, servie par un level design intelligent, rarement répétitif.
Le multijoueur, encore en développement lors de certaines phases, apporte une couche supplémentaire d’intérêt. Le titre est conçu pour être joué en solo, mais l’arrivée d’un allié dans certaines sections débloque des synergies intéressantes et allège certaines frustrations.
Reste un défaut structurel : la rejouabilité quasi nulle. Une fois l’aventure terminée, aucune boucle endgame, aucun mode new game +, aucun défi additionnel ne vient prolonger l’expérience. C’est dommage. Car le système de combat, malgré ses limites, aurait mérité d’être éprouvé dans un cadre plus durable et plus punitif.
Mais dans l’ensemble, Achilles: Legends Untold impressionne par sa rigueur, sa précision et son efficacité, là où beaucoup de productions de cette envergure se contentent de copier sans comprendre.
Poussière d’Iliade et reflets de bronze
À défaut d’en mettre plein la rétine, Achilles: Legends Untold opte pour une direction artistique cohérente, soignée, et pleinement assumée, bien plus précieuse que la simple démonstration de force graphique. Le jeu n’a pas les moyens d’un Diablo IV, c’est évident. Mais ce qu’il propose, il le propose avec un sens du détail et une rigueur visuelle qui forcent le respect.
Le monde d’Achille est vaste, varié, et traversé par une vraie logique géographique et architecturale. Chaque biome — marécages, champs de ruines, nécropoles, bastions antiques — possède sa propre identité visuelle, sans jamais recourir au copier-coller ou à la répétition masquée. Le level design participe pleinement à cette immersion, donnant toujours l’impression d’un territoire crédible, ancré dans une mythologie revisitée mais respectée.
Certes, certains éléments techniques trahissent le budget restreint. Des textures incomplètes, quelques placeholders oubliés, des artefacts visuels ponctuels : autant de détails qui rappellent que le jeu aurait eu besoin de quelques mois de polish supplémentaires. Mais jamais ces défauts ne viennent compromettre la lisibilité de l’action ou la cohérence esthétique du monde.
Les personnages, eux, sont bien modélisés sans être révolutionnaires. Les animations sont efficaces mais fonctionnelles, sans fioritures. On sent que les ressources ont été placées là où elles étaient nécessaires : dans les environnements, dans les mises en scène sobres mais lisibles, dans la stabilité générale de l’expérience.
Car oui, Achilles est parfaitement fluide, même sur Xbox Series. Aucun crash, aucun ralentissement majeur. L’optimisation est remarquable, surtout pour une production de cette envergure. Une preuve de plus que le studio a ciblé intelligemment ses priorités, préférant la solidité au tape-à-l’œil.
Côté son, la partition est plus discrète, mais pas absente. La bande-son accompagne les combats avec des nappes orchestrales classiques, parfois un peu génériques, mais toujours à propos. Les musiques ne cherchent pas à s’imposer. Elles soutiennent, elles soulignent, elles enveloppent. Sans briller, elles font le travail.
Les voix (en anglais) sont correctes, bien dirigées, sans être particulièrement marquantes. Mais le fait que tous les dialogues soient doublés dans un jeu indépendant de cette ampleur mérite d’être souligné. C’est un effort rare, et cela participe grandement à l’ambiance épique et à la crédibilité de l’univers.
En somme, Achilles: Legends Untold n’est pas un monstre de technologie. Mais il est un modèle de cohérence visuelle et sonore, et ce malgré des moyens limités, là où tant d’autres productions de taille équivalente se noient dans la prétention technique sans jamais trouver leur style.
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