Vingt ans après sa première apparition sur PlayStation 2, Phantom Brave revient sous une nouvelle forme avec The Lost Hero, une édition enrichie pensée pour la Nintendo Switch. Toujours développé par Nippon Ichi Software, ce RPG tactique hors normes propose à nouveau de plonger dans un monde insulaire, peuplé de souvenirs blessés et d’âmes errantes. Derrière son apparente douceur visuelle se cache une mécanique stratégique acérée, où la gestion des Phantoms, ces esprits liés aux objets, devient la clé de chaque combat… et de chaque salut.
Mais cette réédition de cœur suffit-elle à rallumer la flamme des anciens joueurs ? Et pourra-t-elle captiver un public neuf dans un genre devenu plus exigeant que jamais ?
Fardeaux invisibles, pactes éternels
Vous incarnez Marona, jeune fille capable de voir les morts… et de leur parler. Dans l’archipel isolé d’Ivoire, cette aptitude fait d’elle une paria. Pourtant, c’est elle qu’on appelle à l’aide lorsque les vestiges d’une guerre oubliée resurgissent. À ses côtés, Apricot, protectrice énigmatique au passé fracturé, marche dans l’ombre d’une amitié sacrée — un lien aussi puissant qu’instable.
L’histoire de Phantom Brave: The Lost Hero ne cède jamais à la facilité. Ici, les fantômes ont un nom, une histoire, un regret. Les Phantoms, que Marona invoque en les liant à des objets du monde réel, ne sont pas de simples esprits mécaniques : ils sont les fragments d’un monde brisé. Le jeu ne les convoque pas uniquement pour le combat, mais pour explorer ce que signifie vivre, mourir… et persister.
Chaque personnage, même secondaire, porte sa propre mélancolie. Les dialogues, souvent empreints de douceur et de douleur mêlées, évitent l’emphase dramatique pour mieux laisser l’émotion affleurer. La solitude de Marona, le mystère d’Apricot, les confessions des Phantoms : tout est murmuré, jamais crié.
L’intrigue avance par strates — guerre ancienne, secrets familiaux, pouvoir mal compris — et ne cesse de mettre les liens émotionnels au centre. Ce n’est pas une fresque épique. C’est un récit intimiste, tissé d’absences et de survivances, où chaque combat reflète un attachement, une perte ou une promesse.
En choisissant de donner une voix à ses morts, The Lost Hero raconte moins la guerre que la mémoire de la guerre, et l’impossibilité d’en guérir seul.
Liens éthérés, tactiques incarnées
Phantom Brave: The Lost Hero ne reproduit pas les codes du RPG tactique — il les contourne. Ici, pas de cases, pas de grille, pas de parcours balisé. Le jeu repose sur un système de liberté totale de mouvement, où chaque unité se déplace librement dans une aire circulaire, dépendante de ses capacités. Le terrain devient une matière à exploiter, un champ d’opportunités aussi bien qu’un piège stratégique.
Mais la singularité du système repose ailleurs : les Phantoms. Ces esprits, que Marona invoque en les liant à des objets physiques, ne restent sur le champ de bataille qu’un nombre de tours limité. Une pierre devient un archer. Une herbe, un mage. Une épée rouillée, un berserker. Le joueur doit composer avec ces liens éphémères, anticiper le moment où chaque Phantom disparaîtra, et jouer avec le terrain comme un puzzle mouvant.
La complexité ne vient pas de la densité, mais de la gestion fine de l’impermanence. Il ne s’agit pas de gagner par la puissance brute, mais par la planification minutieuse des placements, des tours, des interactions. Car chaque objet a une influence sur les statistiques du Phantom qu’il accueille. Choisir le bon support devient une science en soi.
Le level design, quant à lui, multiplie les subtilités : hauteurs, obstacles, effets de terrain, zones spéciales. Les cartes sont ouvertes, variées, et offrent toujours plusieurs angles d’approche. Les missions secondaires enrichissent cette structure en proposant des défis tactiques singuliers ou des conditions de victoire alternatives, prolongeant la durée de vie et la densité stratégique.
Le système de progression, lui aussi, se distingue. On améliore non seulement les Phantoms et leurs capacités, mais également les objets, les lieux, et même l’île de Marona, qui fait office de hub central. Le joueur ne gère pas simplement une équipe, mais un écosystème de liens, de forces et de souvenirs.
En surface, le jeu semble doux. Mais sous son vernis pastel, il dissimule une profondeur tactique redoutable, où la moindre décision peut précipiter une victoire… ou une disparition prématurée.
Pastels fantômes, mélodies suspendues
Il y a dans Phantom Brave: The Lost Hero une douceur visuelle qui désarme. Les contours sont flous, les couleurs comme lavées par le temps, et les personnages semblent flotter dans un monde à mi-chemin entre l’aquarelle et le rêve. Nippon Ichi Software ne cherche pas le réalisme, mais la poésie : un rendu 2D stylisé, où chaque Phantom, chaque carte, chaque effet visuel participe à cette impression d’onirisme teinté de mélancolie.
Les animations sont simples mais expressives. Les invocations apparaissent dans un souffle d’éther, les attaques s’enchaînent avec un éclat de lumière, et les combats, bien que stratégiques, restent visuellement légers, presque chorégraphiques. Le choix de ne pas surcharger l’interface ou les effets visuels permet à l’action de rester lisible, même dans les affrontements les plus complexes.
Les environnements — forêts éthérées, ruines suspendues, plages lumineuses — sont plus que de simples décors : ils racontent un monde en équilibre fragile entre la vie et l’oubli. Chaque île, chaque terrain de bataille porte en lui une atmosphère propre, renforcée par un travail subtil sur la lumière, les textures et les détails en arrière-plan.
La bande-son, signée Tenpei Sato, est une pièce maîtresse du jeu. Entre ballades mélancoliques, envolées lyriques et nappes discrètes, la musique accompagne sans jamais s’imposer. Chaque thème semble murmurer à l’oreille du joueur, comme un souvenir qui refuse de s’éteindre. Les compositions mêlent cordes délicates, flûtes errantes, piano introspectif, créant une ambiance suspendue entre espoir et résignation.
Les effets sonores sont discrets mais évocateurs : bruissements, échos d’invocation, sons d’objets animés… L’univers sonore ne cherche pas à impressionner, mais à envelopper. À bercer l’action plutôt qu’à la souligner. Un choix cohérent avec la tonalité générale du jeu.
Phantom Brave: The Lost Hero ne fait pas de bruit. Il chante doucement dans le vent.
0 commentaires