Dans un monde où l’interactivité se contente souvent d’être un prétexte à l’action, Is This Game Trying to Kill Me? vient perturber les certitudes avec l’élégance sourde d’un piège qui se referme lentement. Développé par Stately Snail, un studio indépendant déjà connu pour One More Dungeon, ce huis clos numérique voit le jour sur PC le 12 novembre 2024, dans l’indifférence feinte des algorithmes. Fort de son succès d’estime cependant, le titre s’est étendu aux consoles, débarquant sur Xbox One et Xbox Series X|S le 4 avril 2025 .
Le principe est aussi simple qu’inquiétant : vous êtes seul, sans nom, sans souvenir, et votre unique compagnon est un vieil ordinateur contenant un jeu rétro en pixel art. Mais très vite, l’évidence bascule. Car ce jeu, enfermé dans la machine, commence à modifier votre environnement réel. Une porte s’ouvre. Une lampe clignote. Un mur grince. Et vous comprenez, à mesure que les lignes de code s’animent, que Is This Game Trying to Kill Me? n’est pas un simple puzzle game. C’est un cri silencieux lancé dans l’écho d’un monde cloisonné, une boîte de Schrödinger vidéoludique où chaque clic peut être le dernier.
Alors, ce jeu vous veut-il du mal ? Ou n’est-ce qu’un reflet déformé de vos propres intentions ? Et surtout… si vous quittez la partie, sortirez-vous vraiment du jeu ?
Le miroir aux pixels brisés
Là où la plupart des jeux vous offrent un monde à explorer, Is This Game Trying to Kill Me? vous enferme dans un seul lieu : une cabane en bois, quelque part entre rêve et cauchemar, sans autre issue qu’un terminal poussiéreux branché à un vieux moniteur cathodique. Vous incarnez un personnage sans nom, sans voix, sans souvenirs ni personnalité, prisonnier de cet espace minimaliste dont les murs semblent suinter l’oubli. Ce mutisme narratif n’est pas une faiblesse, mais une méthode brutale d’introspection, vous forçant à chercher le récit non pas dans les dialogues ou les cinématiques, mais dans les échos de vos propres gestes.
Le véritable protagoniste, en réalité, n’est autre que le jeu dans le jeu : Castle Serpentshtain, une parodie volontairement bancale de dungeon crawler des années 80, bourré de sprites agressifs, de donjons cycliques et de pièges absurdes. C’est dans ce labyrinthe fictif que s’inscrit l’intrigue, non linéaire, fragmentée, volontairement confuse, où chaque action dans le monde virtuel déclenche une réaction tangible dans la réalité de la cabane. Une clé trouvée dans le donjon peut faire tomber un tableau. Un levier actionné peut faire sauter les plombs. À travers cette logique étrange, c’est tout un jeu de miroirs entre le code et le concret qui se déploie, jusqu’à faire douter de la nature même de votre existence dans cette narration.
Là où Is This Game Trying to Kill Me? réussit un tour de force inattendu, c’est dans sa capacité à faire naître l’angoisse sans un mot. Le silence de votre avatar devient celui de la solitude, et les rares messages textuels du jeu rétro, volontairement cryptiques ou absurdes, prennent soudain des airs de menaces. Il n’y a pas de grands dialogues à analyser, pas de galerie de personnages à retenir, pas d’antagoniste charismatique. Et pourtant, on sent une présence constante, un regard au-delà de l’écran, une force silencieuse qui observe, juge, et attend que vous fassiez l’erreur de trop.
L’absence de structure narrative classique devient ici un dispositif métanarratif. Il ne s’agit pas de suivre une histoire, mais de la construire à travers la paranoïa. En désactivant volontairement les conventions habituelles de la narration vidéoludique, Stately Snail crée une expérience où le malaise est le langage principal. Vous êtes seul, mais pas vraiment. Vous jouez, mais c’est peut-être vous qu’on manipule. Et ce flou constant entre les rôles, les intentions et les règles du jeu transforme cette brève aventure en expérience existentielle angoissante, où chaque pixel devient un soupçon, chaque interaction un piège.
Des énigmes qui vous épient
Is This Game Trying to Kill Me? repose sur un principe à la fois élémentaire et machiavélique : deux mondes imbriqués, deux grammaires vidéoludiques qui se parasitent mutuellement. D’un côté, un jeu rétro en pixel art à l’esthétique volontairement datée ; de l’autre, une cabane réaliste, silencieuse, parfois inquiétante, où l’espace n’est pas si figé qu’il y paraît. La mécanique centrale est simple à énoncer mais terriblement retorse à appréhender : ce que vous faites dans le jeu influe sur le monde réel… et inversement.
Dans Castle Serpentshtain, chaque énigme ou interaction modifie l’environnement physique de la cabane. Actionner un levier virtuel ? Une trappe s’ouvre derrière vous. Résoudre une énigme ? Une radio grésille, émettant un code inconnu. Il ne s’agit donc pas simplement de « progresser », mais de déchiffrer une logique croisée, où les mécaniques de puzzle répondent à une architecture invisible, faite de conditionnements, de faux-semblants et de leurres.
Cette idée de dualité mécanique pousse à un gameplay lent, réfléchi, presque obsessionnel. Vous devez constamment alterner entre les deux interfaces : clavier et environnement 3D; pour tester des hypothèses, vérifier si un événement pixelisé a eu un impact tangible sur le décor. Le rythme est volontairement tendu par cette incertitude permanente : ai-je raté un indice ou n’y avait-il rien à voir ? L’intelligence du level design ne réside pas dans sa variété spatiale (La cabane est étroite, le jeu rétro répétitif) mais dans sa capacité à tordre votre perception des espaces clos, à vous faire douter de chaque élément statique.
Certaines séquences se corsent en introduisant des défis temporels, où vous devez agir rapidement dans un monde pour empêcher une catastrophe dans l’autre. Ces moments créent un sentiment de panique contrôlée, malheureusement parfois gâché par une caméra capricieuse et une gestion de la perspective qui nuit à la précision des interactions. Ce défaut technique vient heurter de plein fouet une structure ludique pourtant ingénieuse, forçant parfois à rejouer plusieurs fois une séquence simplement à cause d’un mouvement mal interprété.
Le jeu n’offre aucune aide, aucun repère visuel classique. Pas de tutoriel, pas de HUD explicite, pas de carte ou d’indicateur. Tout repose sur votre capacité à observer, à mémoriser, à tirer des liens entre le signifiant et l’insignifiant. Et si vous échouez, ce n’est pas par manque de compétence brute, mais parce que vous avez pensé comme un joueur traditionnel, alors que Is This Game Trying to Kill Me? exige de penser comme une machine prise dans ses propres cauchemars.
C’est dans cette tension cognitive que le titre trouve sa singularité : vous n’affrontez pas des ennemis, vous affrontez une logique instable, presque organique, qui vous pousse à tout remettre en question. Le plaisir de jeu ne vient pas d’un sentiment de puissance, mais d’un soulagement fragile lorsque, après avoir tout tenté, un détail finit par céder. Et lorsque le code vous laisse passer… ce n’est peut-être pas une victoire.
Des pixels pour les yeux, du silence pour les nerfs
Le jeu joue constamment sur le contraste entre deux esthétiques visuelles, l’une ancrée dans un imaginaire rétro rudimentaire, l’autre dans une reconstitution sobre mais oppressante d’un lieu tangible. Le jeu dans le jeu, Castle Serpentshtain, adopte un pixel art volontairement rugueux, presque caricatural, digne des premiers titres DOS des années 80. Sprites fixes, animations saccadées, palettes limitées… Rien n’est fait pour flatter la rétine, et c’est justement ce minimalisme cru qui confère à cette partie virtuelle son étrangeté presque inquiétante. Chaque couloir est trop répétitif, chaque ennemi trop figé, chaque interaction trop simpliste; comme si quelque chose de profondément faux dormait sous la surface de ces pixels.
À l’opposé, l’environnement de la cabane en 3D adopte un réalisme discret, presque clinique, fait de textures boisées, de poussières en suspension, de lumière tamisée et de détails minuscules qui donnent à cet espace clos une densité étrange. L’architecture du lieu ne change jamais vraiment, mais l’atmosphère, elle, mute au fil de votre progression. Une ampoule grésille. Une fenêtre laisse passer une lumière un peu plus froide. Un meuble semble déplacé. Ces micro-variations visuelles, imperceptibles mais troublantes, participent pleinement à l’érosion de vos repères.
Ce travail visuel est appuyé par une ambiance sonore d’une rare économie, mais redoutablement efficace. Il n’y a pas de grande bande originale orchestrale. À peine quelques nappes électroniques discrètes, parfois dissonantes, parfois presque absentes, laissant place au vrai protagoniste sonore : le silence. Un silence que viennent perforer des bruits isolés – un cliquetis métallique, un craquement de plancher, le souffle lointain du vent – toujours placés avec un soin chirurgical. L’effet est immédiat : chaque son devient suspect, chaque absence de son devient inquiétante.
Les effets sonores dans le jeu rétro, eux, jouent la carte du pastiche : bip électroniques, bruitages synthétiques, jingle de fin de niveau volontairement désuets. Mais là encore, une anomalie s’insinue : certains sons ne semblent pas à leur place. Un cri trop long. Un écho étrange. Un bug sonore qui semble vouloir vous dire quelque chose. Et si ces erreurs étaient… intentionnelles ?
Il n’y a ni voix, ni dialogues, mais ce mutisme est un choix artistique fort. En refusant tout langage articulé, Is This Game Trying to Kill Me? vous enferme dans un univers sensoriel où l’angoisse naît des interstices, des absences, des parasites. Et à travers cette sécheresse auditive assumée, le jeu finit par faire entendre ce qu’il ne dit jamais.
Derrière l’écran, la machine tousse
Porter une expérience aussi introspective et millimétrée que Is This Game Trying to Kill Me? sur console relève d’un pari risqué. Sur Xbox Series X|S, le jeu conserve l’intégralité de sa structure originale, sans altération du contenu narratif ni des mécaniques principales. Toutefois, la transition clavier/souris vers une interface entièrement pensée pour la manette n’est pas sans conséquences, et certaines concessions viennent moduler la perception de cette expérience claustrophobe.
Première adaptation notable : l’ergonomie. Les contrôles à la manette sont globalement bien retranscrits. Le stick gauche pour les déplacements, le droit pour la caméra, les gâchettes pour interagir avec les objets. Rien d’inhabituel, et pourtant, la précision en prend un coup, notamment dans les phases demandant une interaction fine avec l’environnement, comme l’activation de leviers ou la navigation dans le jeu rétro. Là où la souris permettait des mouvements rapides et exacts, la manette impose un tempo plus lent, frustrant lors des énigmes temporellement limitées.
Sur le plan visuel, la version Xbox s’en sort avec les honneurs, surtout sur Series X. Le jeu tourne en résolution 4K à 60 FPS, avec une fluidité constante, même dans les transitions entre le monde de la cabane et l’interface rétro du terminal. Les textures, modestes par nature, conservent leur netteté.
Côté interface, les développeurs ont eu la bonne idée de simplifier certains éléments du HUD, notamment dans le jeu rétro, avec une navigation adaptée aux boutons ABXY sans surcharge. Toutefois, la navigation dans les menus reste minimaliste, sans option de reconfiguration poussée, ce qui pourra gêner les joueurs habitués à une personnalisation plus fine des commandes.
La stabilité technique est, dans l’ensemble, excellente sur Series X|S : aucun crash, des temps de chargement quasi-inexistants, et une parfaite compatibilité avec les fonctions de mise en veille rapide.
Enfin, on notera que le jeu ne propose toujours aucun doublage ni contenu vocal, mais des sous-titres adaptés à l’affichage console, bien lisibles et confortables en jeu. Aucun ajout spécifique à la version console n’a été introduit (pas de vibration contextuelle, pas d’options d’accessibilité supplémentaires, pas de succès Xbox particulièrement inventifs), ce qui rend ce portage fonctionnel mais strictement équivalent à la version PC, sans bonification notable.
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