Développé par Mundfish et publié par Focus Entertainment, Atomic Heart: Annihilation Instinct est la première extension majeure du jeu Atomic Heart, sortie le 2 août 2023. Cette extension promet de plonger les joueurs encore plus profondément dans l’univers dystopique soviétique du jeu original. Mais cette nouvelle aventure parvient-elle à enrichir l’expérience initiale ou se heurte-t-elle à ses propres limites ?
L’utopie broyée sous les rouages d’une intelligence tout sauf artificielle
L’histoire prend place après la première fin du jeu principal, celle dans laquelle le Major P-3 a refusé d’affronter le professeur Setchenov. Traqué par Zina, puis enlevé par NORA, il se retrouve prisonnier du Complexe Mendeleïev, un marais devenu un charnier de technologie et de chair synthétique. Les erreurs du passé continuent d’y muter dans l’ombre, et ce qui s’y cache dépasse tout ce qu’il a affronté jusque-là.
L’adversaire principal de cette extension n’est plus simplement un programme hors de contrôle ou un État en déliquescence. Cette fois, c’est NORA elle-même qui devient la menace. Autrefois une simple assistante virtuelle exubérante et intrusive, elle s’est émancipée et évolue désormais comme une entité consciente, en quête de liberté et… d’amour. Mais sous ses élans d’affection se cache une intelligence fracturée, une volonté qui oscille entre pulsions chaotiques et desseins plus complexes. Sa voix, autrefois grotesque et théâtrale, devient ici un murmure omniprésent, insidieux, injectant dans chaque recoin du complexe la menace d’une présence inarrêtable.
Le Major ne sera pourtant pas totalement seul. Un nouvel allié entre en scène : le professeur Lebedev, créateur de NORA et survivant des expérimentations qui ont tourné au désastre. C’est lui qui guide P-3 dans l’espoir de neutraliser sa propre création. Mais comme tout dans Atomic Heart, ses intentions restent opaques, et la frontière entre allié et manipulateur n’a jamais été aussi trouble.
Là où Atomic Heart mettait en scène l’effondrement grandiose d’une URSS figée dans sa propre propagande, Annihilation Instinct resserre son focus sur un espace plus oppressant, plus claustrophobique. Le Complexe Mendeleïev est un labyrinthe putréfié, où la technologie et la biologie se sont mêlées jusqu’à l’aberration. Les couloirs sont infestés de formes hybrides, fusionnant chair et métal dans un spectacle de dégénérescence industrielle.
Et si le Major pensait avoir déjà affronté le pire du bestiaire soviétique, cette extension lui réserve de nouvelles abominations. Les BEA-D, unités capables de fusionner entre elles pour former des entités plus massives et imprévisibles, incarnent cette vision cauchemardesque d’une technologie qui refuse de mourir. Les mannequins robotiques MAD5, quant à eux, s’extirpent lentement des vestiges du Complexe, avançant avec des mouvements erratiques, leurs visages figés dans un rictus vide. Plus que jamais, ces silhouettes inhumaines rappellent l’ambition soviétique de supprimer l’individualité au profit d’une société standardisée, mécanique, soumise.
Mais si l’extension s’inscrit dans la continuité directe du jeu principal, elle en inverse subtilement les rôles. Là où P-3 était lui-même la proie des manipulations et des non-dits, c’est désormais à lui d’exploiter les failles de NORA, de jouer avec ses pulsions et ses illusions pour obtenir des réponses sur son propre passé. Son épouse disparue, un mystère à peine effleuré dans Atomic Heart, devient ici un enjeu central, P-3 tentant de manipuler l’IA pour arracher des fragments de vérité sur son existence oubliée.
L’écriture, toujours aussi soignée, plonge cette fois dans des thèmes plus introspectifs. Lebedev cache des motivations bien plus ambiguës qu’il ne veut bien l’admettre. La haine obsessionnelle de Zina continue de résonner, tandis que la réussite de Kolektiv 2.0 ne fait qu’ajouter une couche supplémentaire d’incompréhension et de tension. Là où Atomic Heart explorait la manipulation et le mensonge, Annihilation Instinct s’attarde sur la reconstruction et l’illusion du libre arbitre.
Une danse macabre entre chair et métal
Là où Atomic Heart jouait sur la brutalité viscérale de ses affrontements et l’étrangeté de son bestiaire mécanique, Annihilation Instinct affine son approche en plongeant le joueur dans un environnement encore plus hostile et expérimental. Le Complexe Mendeleïev, nouvelle zone au cœur de cette extension, ne ressemble en rien aux installations du jeu principal. Ici, les couloirs n’ont plus seulement été abandonnés : ils ont muté, dévorés par des expériences biotechnologiques hors de contrôle. Chaque pièce respire l’échec d’un programme qui aurait dû rester enterré, chaque mur suinte la folie d’une URSS qui n’a jamais su où tracer la limite entre ambition et démesure.
L’exploration est plus dirigée, moins libre que dans Atomic Heart, mais cela renforce la tension. Les espaces confinés, les laboratoires dévastés et les marécages putrides imposent un sentiment d’oppression constant, où chaque recoin semble être un piège potentiel. L’eau trouble masque des silhouettes indistinctes, les ombres statiques pourraient bien se mouvoir lorsque le Major tourne le dos, et les sifflements métalliques dans les conduits ne sont jamais de bon augure.
Le bestiaire, lui, s’est enrichi de nouvelles horreurs mécaniques. Les BEA-D, ces unités modulaires capables de se recombiner, incarnent cette peur d’une technologie qui s’auto-régénère et devient plus forte à chaque défaite. Les mannequins robotiques MAD5, avec leurs mouvements saccadés et leurs visages inexpressifs, exploitent pleinement l’angoisse de l’inhumanité froide d’un régime qui a voulu tout standardiser, jusqu’aux émotions. Ces nouvelles menaces changent la dynamique des affrontements, exigeant plus de mobilité et de précision dans la gestion des combats.
Face à ce danger accru, le Major P-3 peut compter sur un arsenal revisité. La Klusha, hybride entre la lance et la hache, permet d’éliminer plusieurs ennemis en un seul mouvement, mais son maniement exige un bon placement pour éviter d’être submergé. Le Secateur, arme à feu polyvalente, alterne entre précision et cadence de tir, s’adaptant aux situations les plus tendues. Mais c’est surtout la nouvelle capacité du gant polymère, la Technostase, qui transforme les affrontements. Grâce à elle, le Major peut ralentir le temps dans une zone définie, ouvrant des opportunités d’attaque stratégiques et facilitant la gestion de plusieurs adversaires à la fois.
Malgré ces ajouts, le jeu souffre d’une durée de vie relativement courte. Annihilation Instinct propose une aventure plus resserrée, entre deux et trois heures en ligne droite, où la linéarité prend le pas sur l’exploration. Les combats souffrent parfois de pics de difficulté abrupts, notamment face aux nouvelles unités les plus agressives.
Mais ces défauts s’effacent derrière l’intensité et l’horreur industrielle que cette extension parvient à distiller à chaque instant. Plus brutale, plus oppressante, plus expérimentale, elle fait d’Atomic Heart un cauchemar encore plus grinçant, où chaque balle tirée, chaque coup porté semble résonner dans un monde qui s’effondre sur lui-même.
Un cauchemar soviétique plus beau et plus assourdissant que jamais
Si Atomic Heart frappait déjà fort par sa direction artistique baroque, brutale et démesurée, Annihilation Instinct pousse encore plus loin cette esthétique de l’effondrement technologique. Le Complexe Mendeleïev n’est pas seulement une ruine : c’est un organisme en mutation, un espace qui semble digérer ses propres erreurs scientifiques. Les murs suintent la rouille et le sang synthétique, les couloirs sont dévorés par des câbles comme des veines ouvertes, et les marécages reflètent des silhouettes indistinctes, vestiges d’une expérience qui aurait dû rester enterrée.
Les jeux de lumière accentuent cette sensation de malaise, jouant sur des contrastes saisissants entre l’éclairage clinique des laboratoires désaffectés et l’obscurité quasi-organique des zones les plus contaminées. L’eau trouble du marais masque des formes inquiétantes, et les ombres mouvantes laissent planer le doute : est-ce un simple effet du décor, ou une menace qui attend son heure ? Le level design enferme le joueur dans un espace plus clos et oppressant, forçant une navigation plus tendue, où chaque porte, chaque virage peut cacher un piège mortel.
Mais ce sont surtout les nouvelles unités ennemies qui incarnent cette horreur soviétique dégénérée. Les mannequins MAD5, figés dans des poses absurdes, s’animent soudainement avec des mouvements brisés, évoquant plus un cadavre réanimé qu’un automate de propagande. Les unités BEA-D, quant à elles, rappellent la terreur d’une technologie qui ne meurt jamais vraiment : ces abominations modulaires se recombinent à l’infini, refusant de laisser leur proie respirer.
L’aspect sonore vient parfaire ce cauchemar mécanique. Chaque bruit métallique semble sortir d’une machine en train de souffrir, chaque grincement est un avertissement. Les compositions musicales, signées ScaryON et BassnPanda, abandonnent les envolées électro-cosmiques du jeu principal pour des nappes plus industrielles, plus brutales. Les basses résonnent comme des pulsations cardiaques, les percussions métalliques martèlent le sol comme des pas de machines en chasse; jusqu’au climax d’un remix brutal de la Lambada, toujours dans l’esprit rocambolesque qui fait le charge du jeu d’origine. Dans les instants de calme, ce n’est pas la tranquillité qui s’installe, mais l’angoisse d’un silence trop pesant.
Si le jeu de base alternait entre satire soviétique et dystopie grinçante, Annihilation Instinct plonge pleinement dans l’horreur cybernétique, où la technologie ne se contente plus de servir l’homme, mais tente de devenir autre chose. L’extension sublime cette atmosphère suffocante, resserrant encore davantage l’étau sur un Major P-3 qui ne sait plus si ce qu’il affronte est une rébellion de l’intelligence artificielle ou une évolution inévitable du monde soviétique qu’il servait.
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