Développé par le studio suédois YCJY Games, Keep Driving est un jeu d’aventure sorti le 6 février 2025 sur PC. Ce titre propose une expérience unique, mêlant gestion de ressources et road trip nostalgique à travers une Amérique fictive des années 2000. Mais cette traversée des paysages pixelisés parvient-elle à capturer l’essence des voyages initiatiques, ou se perd-elle en chemin ?
La route, les ombres et les âmes oubliées
L’asphalte défile sous les roues, la radio grésille et le réservoir se vide lentement. Dans Keep Driving, vous êtes juste quelqu’un qui a pris la route, sans savoir si c’est pour fuir ou pour avancer. Un protagoniste sans nom, sans attaches, qui suit une invitation floue vers un festival de musique dont l’existence elle-même semble incertaine. Le voyage devient rapidement plus qu’un simple trajet : c’est une errance, un passage entre le passé et le présent, une série de rencontres qui font vaciller la frontière entre rêve et réalité.
C’est ici que Keep Driving tente quelque chose d’audacieux : une narration morcelée, où chaque étape du voyage est une nouvelle bribe d’histoire, un puzzle à reconstruire. On croise des inconnus, on écoute leurs histoires, on répond ou on se tait, et on reprend la route. Mais si le concept fonctionne sur le papier, il souffre d’un manque d’impact émotionnel réel.
Les dialogues sont volontairement minimalistes, parfois percutants, souvent trop évasifs pour marquer. Certains personnages, fascinants au premier abord, finissent par tomber dans un registre trop vague, trop éthéré, comme s’ils existaient uniquement pour entretenir une ambiance mystérieuse sans jamais la concrétiser. Il y a des rencontres marquantes – cet homme à la voix brisée qui cherche un endroit qui n’existe plus, cette femme qui fuit sans jamais dire quoi – mais elles sont souvent noyées dans un rythme narratif inégal, où certaines conversations se terminent sans laisser d’empreinte.
Là où Keep Driving échoue, c’est dans sa structure trop répétitive. Les rencontres, bien que bien écrites dans l’ensemble, manquent de variété dans leur traitement. Le jeu propose bien des embranchements narratifs et plusieurs fins, mais ces variations restent superficielles : les dialogues changent, quelques situations évoluent, mais le sentiment d’avoir un réel impact sur le voyage reste limité.
Et puis il y a les silences, ces instants où personne ne parle, où seuls le moteur et la musique existent. Keep Driving ne cherche pas à combler le vide par du superflu, ce qui est une de ses plus grandes forces. Le problème, c’est qu’il ne sait pas toujours quand s’arrêter. Il y a des moments où le jeu semble étirer inutilement ces séquences contemplatives, sans offrir de récompense narrative suffisante, ce qui peut lasser sur le long terme.
L’idée d’un road trip narratif, où l’on façonne son propre itinéraire et où l’on décide de l’importance de chaque rencontre, est indéniablement séduisante. Mais Keep Driving s’englue parfois dans son propre minimalisme, laissant trop souvent au joueur le soin d’imaginer ce que le jeu aurait pu raconter. Est-ce un choix artistique intelligent, ou simplement un manque de substance ? La frontière est mince, et tous les joueurs n’y trouveront pas la même valeur.
L’Art de la Route et de ses Embûches
Keep Driving se distingue par son approche unique du gameplay, mêlant gestion de ressources et interactions narratives dans un cadre de road trip nostalgique. Le jeu vous place au volant d’un véhicule vieillissant, où chaque trajet est une combinaison de décisions stratégiques et de rencontres imprévues.
La mécanique centrale repose sur la gestion de quatre ressources clés : l’argent, le carburant, l’énergie du conducteur et la durabilité du véhicule. Chaque voyage nécessite une planification minutieuse, car une mauvaise gestion peut rapidement transformer une escapade paisible en cauchemar logistique. Les événements aléatoires sur la route, tels que des nids-de-poule ou des animaux errants, ajoutent une couche de défi supplémentaire, exigeant des réactions rapides et des choix judicieux. Cette dynamique crée une tension constante entre l’exploration libre et la nécessité de surveiller attentivement vos ressources.
Les rencontres avec les auto-stoppeurs sont au cœur de l’expérience de Keep Driving. Chaque passager potentiel possède des traits distincts qui peuvent influencer positivement ou négativement votre voyage. Un auto-stoppeur peut offrir des compétences utiles pour surmonter des obstacles, tandis qu’un autre peut introduire des complications inattendues. Ces interactions ne sont pas seulement des ajouts narratifs, mais modifient également le cours de votre aventure, rendant chaque partie unique et imprévisible.
Le level design de Keep Driving est conçu pour refléter la diversité et l’imprévisibilité des voyages routiers. Les routes sont générées de manière procédurale, offrant une variété de paysages et de défis à chaque nouvelle partie. Cette approche assure que les joueurs ne traversent jamais deux fois le même itinéraire, encourageant l’exploration et la rejouabilité. Cependant, cette génération aléatoire peut parfois conduire à des déséquilibres, où certaines routes deviennent excessivement difficiles ou, au contraire, trop faciles, ce qui affecte l’expérience globale.
Le jeu introduit également des systèmes de statut qui affectent les performances du conducteur. La consommation d’alcool entraîne un état d’ébriété, rendant la gestion des ressources plus complexe et augmentant les risques sur la route. À l’inverse, d’autres substances peuvent avoir des effets moins prononcés, soulevant des questions sur la représentation réaliste de leurs impacts. Cette mécanique ajoute une dimension supplémentaire à la prise de décision, obligeant les joueurs à peser les avantages et les inconvénients de chaque choix.
Si Keep Driving excelle dans la création d’une atmosphère immersive et d’un sentiment authentique de voyage, certains aspects du gameplay sont répétitifs sur le long terme. La boucle de jeu, centrée sur la gestion des ressources et les rencontres aléatoires manque de profondeur, surtout après plusieurs heures de jeu. De plus, bien que les interactions avec les auto-stoppeurs ajoutent de la variété, leur impact sur le déroulement global peut parfois paraître limité, réduisant ainsi la portée des choix.
L’errance envoûtante d’un voyage sans fin ou un mirage qui s’évapore ?
La nuit avale l’asphalte, les phares découpent des fragments d’un monde en perpétuelle fuite. Visuellement, Keep Driving adopte une esthétique rétro-moderne, à mi-chemin entre le réalisme stylisé et la nostalgie du pixel art. Mais si l’ambiance fonctionne à merveille lors des premières heures, elle finit par révéler un problème majeur : un manque flagrant de diversité.
Les décors se répètent trop vite, recyclant les mêmes stations-service abandonnées, les mêmes motels défraîchis, les mêmes lignes droites sous un ciel rougeoyant. Certes, cela accentue l’aspect hypnotique du voyage, mais après plusieurs heures, l’impression de déjà-vu s’installe lourdement. Là où des jeux comme Kentucky Route Zero ou Road 96 parvenaient à renouveler constamment leurs environnements, Keep Driving semble enfermé dans une boucle esthétique, incapable de surprendre au-delà de ses premières heures. L’ambiance est efficace, mais trop statique pour captiver sur la durée.
Les jeux de lumière, en revanche, sont une franche réussite. Les couchers de soleil transforment le paysage en une toile mouvante d’orange et de pourpre, tandis que la nuit impose une obscurité pesante, rendant chaque détour incertain. Ce cycle jour-nuit ne se limite pas à un effet esthétique ; il impacte directement l’expérience du voyage, puisque certaines rencontres ne se produisent qu’à certaines heures. Pourtant, malgré cette attention portée à l’ambiance lumineuse, les environnements manquent cruellement de vie. Les villes traversées semblent désertes, sans le moindre signe d’activité humaine, et cette absence de dynamisme brise par moments l’immersion, donnant au monde un aspect figé, presque artificiel.
D’un point de vue technique, le jeu est fluide et stable, mais souffre de bugs graphiques qui trahissent un manque de finition. Les ombres se déplacent parfois de manière incohérente, certains personnages disparaissent brutalement après un dialogue et des textures floues viennent ternir l’aspect visuel par endroits. Rien de rédhibitoire, mais ces imperfections rappellent que l’expérience aurait mérité un peaufinage supplémentaire.
Si les graphismes finissent par lasser, la musique et le sound design sont sans conteste les grandes réussites du jeu. Chaque station de radio propose une atmosphère différente, et les nappes synthétiques, mêlées à des guitares mélancoliques, renforcent l’impression d’être seul sur la route. Chaque morceau semble conçu pour accompagner l’errance du joueur, transformant certains trajets anodins en véritables instants de contemplation. Pourtant, là encore, la diversité fait défaut. Après quelques heures, les mêmes morceaux reviennent trop souvent, et l’absence de nouvelles pistes réduit progressivement l’impact émotionnel de la bande-son. Contrairement à un Outer Wilds où la musique évolue en fonction du voyage, Keep Driving reste figé dans un cycle sonore qui peine à se renouveler.
Le sound design, lui, ne souffre d’aucune fausse note. Le ronronnement du moteur, les grincements de l’habitacle, le souffle du vent s’engouffrant par une fenêtre entrouverte, tout est pensé pour renforcer l’immersion. On ressent la fatigue du conducteur dans le poids de la pédale d’accélération, dans la rugosité du revêtement routier sous les pneus, dans les cliquetis du clignotant qui rythment le silence. Ce souci du détail sonore confère au jeu une identité sensorielle unique, rendant le simple fait de conduire envoûtant.
Là où le jeu trébuche, c’est sur le mixage des voix. Les dialogues sont parfois étouffés par la musique ou par le bruit ambiant, rendant certaines répliques difficilement audibles. C’est un problème frustrant, car les interactions avec les auto-stoppeurs sont censées être un élément central du jeu. Certaines conversations, pourtant bien écrites, perdent ainsi en impact à cause de ce déséquilibre sonore.
Si Keep Driving séduit immédiatement par son esthétique nostalgique et sa bande-son envoûtante, son manque de renouvellement visuel et musical finit par briser l’illusion du voyage. L’ambiance fonctionne, mais elle repose trop sur la répétition, sans jamais surprendre véritablement le joueur après les premières heures. Le jeu réussit à capturer l’essence d’un road trip solitaire, mais finit par tourner en rond, s’égarant quelque part entre l’hypnotique et l’oubliable.
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