Développé par Ice Code Games et publié par Tripwire Presents, Rogue Waters est sorti le 04 février 2025 sur Xbox Series. Ce titre ambitieux propose une expérience mêlant thématiques pirates, combats navals et rogue-lite. Mais cette combinaison parvient-elle à offrir une aventure mémorable ou se perd-elle dans les flots de ses propres ambitions ?
Le chant des flibustiers oubliés
Les jeux de pirates ont souvent du mal à capturer l’essence même de cette époque : une ère de libertés brisées, de conflits sanglants et de trésors cachés derrière des promesses de gloire. Rogue Waters tente d’apporter sa propre vision du mythe, mais plutôt que de proposer un scénario épique et dense, il opte pour une narration minimaliste, un prétexte pour lancer le joueur dans des batailles navales à répétition. Ce choix aurait pu fonctionner… si seulement l’univers parvenait à être autre chose qu’un décor de carton-pâte, une mer sans histoire, une légende sans conteurs.
L’histoire repose sur une rivalité ancestrale entre factions de pirates, marchands et impérialistes, dans un monde où les eaux sont aussi dangereuses que les hommes qui les gouvernent. Mais là où d’autres jeux auraient pris le temps de construire un univers riche en figures charismatiques et en enjeux clairs, Rogue Waters se contente d’un contexte flou, un assemblage de lieux communs sans grande originalité. Il y a bien des îles à explorer, des ports où négocier, des personnages à croiser… mais rien ne dépasse jamais le stade de la surface. L’écriture est fonctionnelle, sans relief, et aucun personnage ne parvient à marquer le joueur par une présence forte ou un développement intéressant.
Le protagoniste, un capitaine sans nom que le joueur personnalise, n’a aucune véritable identité, ce qui pourrait être un choix pertinent dans un rogue-lite où l’on meurt et renaît sans cesse. Mais cela signifie aussi qu’il n’y a aucune implication émotionnelle : pas de motivation personnelle, pas d’histoire à dérouler, juste une succession d’événements prétextes à enchaîner les combats et les pillages. Même les rares interactions narratives ne sont que des bouts de texte souvent génériques, où l’on choisit entre quelques lignes de dialogue qui n’ont aucune conséquence réelle sur le déroulement du jeu.
Les antagonistes et factions qui peuplent cet univers ne brillent pas plus. On retrouve les éternels gouverneurs corrompus, les capitaines légendaires déchus, les marchands avides, mais tous manquent de présence et d’impact. Ils sont des obstacles fonctionnels, jamais des forces réellement menaçantes ou mémorables. Les îles et les ports que l’on visite n’ont pas de lore marquant, pas d’événements majeurs qui viendraient pimenter l’exploration. On vogue d’un point A à un point B sans jamais avoir le sentiment de faire partie d’un monde vivant.
Il aurait été possible de compenser ce manque de profondeur par une ambiance forte, une atmosphère qui donnerait l’illusion que chaque vague, chaque combat, chaque port regorge de secrets et de dangers. Mais là encore, Rogue Waters échoue à capturer la poésie brutale de la piraterie. Pas de journal de bord rempli de notes éparses, pas de rumeurs à traquer dans les tavernes, pas de grands récits de batailles perdues dans les tréfonds de la mer. Juste un monde généré procéduralement, où tout finit par se ressembler.
Là où un jeu comme Assassin’s Creed IV: Black Flag offrait une galerie de personnages fascinants et un univers en perpétuelle évolution, Rogue Waters ne fait que simuler cette richesse sans jamais l’atteindre. Et dans un genre où l’attachement à un équipage, à un navire, à une cause peut transformer une simple chasse au trésor en une aventure mémorable, cette absence de narration impactante laisse un grand vide.
Rogue Waters avait le potentiel d’être une grande fresque de la piraterie, mais il se contente d’être un contenant vide, un océan vaste mais sans profondeur. Une histoire qui n’en est pas une, où l’on ne retient rien ni personne une fois la dernière vague passée.
Une mer d’opportunités qui tourne en rond
Un jeu de pirates, plus qu’un simple décor maritime, doit capturer la sensation de liberté, ce frisson de naviguer vers l’inconnu, d’engager des batailles navales imprévisibles et de vivre une aventure où chaque île est une promesse de découvertes et de dangers. Rogue Waters, avec sa structure de rogue-lite, aurait pu être un terrain de jeu idéal pour une piraterie dynamique et exaltante. Mais au lieu de cela, il s’embourbe dans une boucle répétitive, où l’adrénaline s’émousse et où chaque nouvelle expédition finit par ressembler à la précédente.
Les bases du gameplay sont solides sur le papier : un monde procédural généré à chaque nouvelle partie, des batailles navales en temps réel où l’on manœuvre son navire avec précision, et une gestion des ressources essentielle à la survie. Chaque sortie en mer est censée être un défi : combattre des flottes adverses, éviter les dangers environnementaux, accumuler du butin et rentrer en vie au port. Mais dans les faits, l’expérience manque cruellement de variété.
Les batailles navales, cœur du jeu, sont techniquement bien réalisées, avec un maniement du navire qui repose sur l’inertie et le positionnement tactique. Tirer au bon moment, ajuster sa trajectoire face aux vents, éviter les abordages ennemis… tout cela fonctionne bien au début. Mais rapidement, les affrontements deviennent mécaniques, les stratégies trop limitées, et l’absence d’évolution significative des combats finit par rendre chaque engagement prévisible.
Les ennemis, qu’il s’agisse de vaisseaux impériaux, de pirates rivaux ou de créatures marines, suivent toujours les mêmes schémas, avec une IA qui manque d’agressivité et de diversité. On enchaîne les confrontations sans jamais avoir ce frisson de danger ou d’inconnu qui devrait caractériser une vie de flibustier. Même les boss, censés être des défis majeurs, sont trop souvent des versions plus résistantes des ennemis standards, sans mécaniques uniques ou moments marquants.
L’exploration, élément fondamental d’un jeu de piraterie, est quant à elle terne et sans surprise. Le monde, bien que vaste, est générique et sans véritable incitation à l’aventure. Les îles ne sont que des escales à objectifs fixes : récupérer du butin, améliorer son navire, recruter un équipage… mais rien qui ne pousse réellement à prendre des risques ou à se perdre volontairement. L’aléatoire de la génération procédurale n’apporte pas l’émerveillement escompté : au contraire, il renforce une sensation de déjà-vu, comme si l’on revisitait sans cesse les mêmes endroits sous des angles légèrement différents.
Le système de progression, basé sur des améliorations permanentes entre chaque run, aurait pu donner de la profondeur au rogue-lite… mais il est trop limité pour être réellement motivant. On améliore son navire, on débloque des compétences passives, mais les sensations de puissance ou d’évolution sont trop faibles pour que le jeu réussisse à captiver sur la durée. Contrairement à un Hades ou un Dead Cells, où chaque nouvelle tentative se traduit par un apprentissage concret et un gain tangible, ici, la progression semble artificielle, donnant peu de raisons de s’accrocher après plusieurs défaites.
L’économie du jeu repose sur la collecte de trésors et de ressources pour améliorer son équipage et son arsenal, mais là encore, les options sont trop restreintes. Le choix entre différents types de navires ou de canons devrait être une décision stratégique importante… mais dans la pratique, certaines configurations sont clairement supérieures à d’autres, rendant le système d’amélioration plus rigide qu’il ne devrait l’être. L’absence d’un véritable commerce dynamique enlève aussi une part de profondeur : il n’y a pas ce sentiment de négocier ses gains, d’influencer le marché ou de se spécialiser dans un type de piraterie particulier.
Enfin, la gestion de l’équipage, qui aurait pu être un aspect clé du jeu, est réduite à sa plus simple expression. Pas de relations à développer, pas de tensions internes, pas d’histoires émergentes… juste une série de chiffres et de statistiques à améliorer. Cela enlève toute attache émotionnelle, rendant le concept d’avoir un équipage presque anecdotique.
Rogue Waters avait l’opportunité de proposer une boucle de gameplay dynamique, exigeante et palpitante, mais il s’égare dans une répétitivité trop rigide, où les mécaniques sont fonctionnelles mais jamais exaltantes. Un océan vaste… mais bien trop calme pour donner envie d’y naviguer longtemps.
Un océan sans profondeur et un chant du large oubliable
Un bon jeu de pirates ne se limite pas à sa mécanique de navigation ou à ses batailles navales. Il doit aussi immerger le joueur dans un monde qui respire, où chaque vague, chaque tempête, chaque lever de soleil raconte une histoire. Rogue Waters aurait pu s’appuyer sur une direction artistique forte et une bande-son envoûtante pour compenser ses lacunes en gameplay. Malheureusement, ce n’est pas le cas : le jeu échoue à capturer l’âme du grand large, ne proposant qu’une mer sans relief et un habillage sonore trop fade pour marquer les esprits.
Visuellement, Rogue Waters opte pour un style cartoon stylisé, qui aurait pu être un choix pertinent pour donner une identité propre à l’univers du jeu. Mais au lieu d’offrir un monde coloré et plein de vie, il se contente de textures génériques, d’îles qui se ressemblent toutes et d’un océan qui manque cruellement de diversité. La mer, censée être un personnage à part entière, est ici plate et sans âme : pas de véritables tempêtes, pas de variations marquées entre les différentes régions du monde, et surtout, aucun sentiment de grandeur ou d’inconnu lorsque l’on met les voiles.
Les navires, qui devraient être le cœur visuel du jeu, souffrent également d’un manque de personnalisation et de caractère. Les designs sont corrects, mais aucun ne se démarque vraiment, et les effets visuels des canonnades et des abordages sont minimalistes, sans impact réel. Pire encore, l’absence de détériorations visibles lors des batailles enlève tout le poids des affrontements : peu importe combien de boulets de canon vous encaissez, votre navire reste curieusement intact, privant le joueur d’un élément visuel crucial pour renforcer l’immersion.
Les environnements souffrent du même problème. Chaque île semble sortie du même moule, avec des variations mineures qui ne suffisent pas à donner une réelle identité aux lieux visités. Pas de ports grouillants de vie, pas de tavernes animées où l’on ressent la tension d’un repaire de pirates, pas de temples anciens dissimulés sous des lianes luxuriantes. On explore des lieux… mais aucun ne raconte quoi que ce soit. Un monde vaste, mais désespérément vide.
La bande-son aurait pu compenser ce manque d’identité visuelle par une ambiance musicale immersive, mais elle se contente du strict minimum. Les thèmes sont génériques, manquent de dynamisme et ne parviennent jamais à capturer la tension d’une bataille navale ni la mélancolie d’un marin solitaire voguant vers l’inconnu. Contrairement à des jeux comme Sea of Thieves, où chaque note accompagne l’exploration et où les chants de pirates renforcent le sentiment d’aventure, ici, on oublie la musique aussi vite qu’elle démarre.
Les effets sonores, eux aussi, sont sous-exploités. L’impact des tirs de canon manque de puissance, les vagues n’ont pas ce grondement sourd qui rappelle l’immensité de l’océan, et l’absence de véritables bruits d’ambiance sur les îles renforce cette impression de vide. Là où d’autres jeux parviennent à faire ressentir la présence du vent dans les voiles, le craquement du bois sous la pression des flots, Rogue Waters se contente de remplir un cahier des charges minimal.
L’un des aspects les plus frustrants reste l’absence totale de voix. Les personnages sont réduits à des dialogues écrits sans aucune interprétation vocale, ce qui tue toute émotion dans les rares moments où le jeu tente de raconter quelque chose. Un bon doublage aurait pu donner un peu de charisme aux personnages et renforcer l’attachement du joueur à son équipage, mais ce silence rend encore plus fades les interactions déjà limitées.
Rogue Waters manque d’une signature visuelle et sonore forte, incapable de capturer la magie d’une épopée en haute mer. C’est un jeu qui a l’apparence d’une aventure maritime, mais qui ne parvient jamais à la faire ressentir. Un océan sans vagues, une symphonie sans âme.
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